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Cacophonie autour de la libéralisation de l'audiovisuel en Algérie

par Abderrahmane Mebtoul

Fondement des libertés au sens large, je considère, avec la révolution du système des télécommunications, qu'en ce XXIème siècle, posséder l'information n'est plus le quatrième pouvoir mais le pouvoir lui-même.

MONOPOLE ET ETAT DE NON-DROIT

Les propos au début rassurants tenus par le gouvernement sur l'ouverture médiatique n'étaient qu'un mirage à l'instar des autres réformes politiques et économiques promises sous la pression, au lendemain du printemps arabe. Nous sommes toujours en situation de monopole : politique, économique, social et culturel. Il faut le reconnaître avec objectivité, les cinq télévisons publiques algériennes n'ont plus ou peu d'impacts, étant en situation de monopole néfaste et de verrouillage du paysage médiatique, ne répondant plus aux attentes des téléspectateurs locaux. ENTV, Canal Algérie, A3 et les deux autres annexes étant des copies conformes. Ils reproduisent des images et des discours lassants, sans tenir compte ni des mutations mondiales ni internes, étant un facteur de démobilisation et un gaspillage financier. La population algérienne en majorité parabolée et, surtout notre jeunesse, se tourne vers d'autres chaînes satellitaires étrangères.

Cela traduit le manque de vision avec des propos contradictoires à intervalles réguliers des responsables cette instabilité juridique perpétuelle qui décourage d'ailleurs tout investissement sérieux. Cela est la conséquence d'une gouvernance mitigée, du manque de visibilité et de cohérence dans la politique socio-économique étant le produit des rapports de forces qui se neutralisent, étant donc dans le statu quo.

Cependant depuis l'annonce de l'ouverture audiovisuelle aux privés, plusieurs chaînes de télévision algériennes ont été mises sur orbite contournant le blocage en diffusant leurs émissions depuis l'étranger. Echorouk TV, Ennahar TV, El Djazairia, Al Magharibia, El Adala et Dzair Shop TV ont ainsi fait leur entrée dans le paysage audiovisuel algérien, avec des sièges à l'étranger notamment au Liban et en Jordanie mais les journalistes et techniciens employés sur ces chaînes étant basés en Algérie. Cependant force est de signaler qu'à part Al Magharibia TV, qui est de droit britannique et qui est détenue par des capitaux provenant de privés algériens et des opérateurs qataris, et dont le dossier a été déposé au niveau de l'Ofcom (Independent regulator and competition authority for the UK communications industries), l'équivalent du CSA (Conseil supérieur audiovisuel français) et Beur TV qui est de droit français, la majorité de ces nouvelles chaînes de télévision n'ont pas d'existence administrative et sont considérées comme des télévisions offshore. Tôt ou tard, ces chaînes seront confrontées au respect des règles strictes du transfert des changes. Paradoxe, le ministre reconnaît l'impuissance de son département face à cette situation. « Je ne puis intervenir face à cette profusion de télévisions à cause du vide juridique », a déclaré le ministre le 02 mai 2012 dans un entretien accordé à l'APS à la veille de la célébration de la journée mondiale de la liberté de la presse. Comment dès lors un pays peut-il se faire respecter tant par d'autres nations que par ses citoyens lorsqu'il ne respecte pas ses propres lois. Dans ce cadre, nous sommes dans un Etat de non-droit traduisant le divorce Etat citoyens. La liberté au sens large permet de réaliser une symbiose entre l'Etat et les citoyens. En Algérie, les élections du 10 mai 2012 ont montré un large fossé du fait que l'addition du taux d'abstention, des bulletins nuls et le pourcentage de citoyens en âge de voter qui ne se sont pas inscrits, l'on arrive à 75%. La lecture attentive en langage diplomatique du rapport des observateurs européens arrive à cette conclusion, bien que ces élections se soient déroulées dans le calme, du fait de la faible transparence, à un désintérêt des citoyens algériens pour ces élections, donnant une assemblée non représentative. Un message qui selon mes informations a été bien décodé en haut lieu.

CACOPHONIE AUTOUR DE L'OUVERTURE DE L'AUDIOVISUEL

Nous sommes en pleine cacophonie du fait qu'au niveau des hautes structures du pouvoir, il n'y pas de consensus à ce sujet. En effet, le ministre de l'information annonce suite au Conseil des ministres du 12 septembre 2011 que «le champ audiovisuel sera ouvert en 2012». Puis dans une seconde déclaration, il exclut tout partenaire étranger. Une autre déclaration date de fin février 2012, je le cite « nous commençons d'abord avec les chaînes thématiques. Après, il y aura peut-être une évolution de la législation et, en fonction de cela, la future loi sur l'audiovisuel qui fixera ce qui sera autorisé ». Et le 07 aout 2012, le ministère de la Communication par la voie d'un de ses conseillers (information reproduite par APS) affirme «qu'une commission d'experts a été installée en mai 2012 et un séminaire pour le mois de septembre 2012», sans aucune date précise ni sur la date de promulgation de la nouvelle loi de l'information, ni surtout des prérogatives précises de l'autorité de régulation et de sa composition. Ces atermoiements, il ne faut pas être naïf, ne sont pas le fait du ministre ou de son conseiller mais proviennent d'une autorité supérieure. Et se pose cette question: l'objectif n'est-il pas de vouloir faire des nouvelles chaînes des annexes des télévisons publiques avec comme pression la publicité dans laquelle aucune chaîne de télévision privée ne peut durer ?

Pourtant le large discrédit avait été prononcé par le ministre de l'information lui-même lors du forum à El Khabar en septembre 2011. Je le cite : « Si l'année dernière, je me suis excusé auprès des Algériens, aujourd'hui, je pleure avec eux, pour ce qui se passe à l'ENTV ». Après cette décision, bon nombre de journalistes algériens, et ils sont nombreux à être compétents, iront vers les chaînes internationales étrangères où ils s'épanouiront. Cette cacophonie désarçonne ceux qui ont cru, au seul respect de la loi algérienne, de geler leur initiative.

L'objectif stratégique n'est-il pas d'éviter la monopolisation néfaste des décisions et de favoriser la concurrence des idées, favoriser le dialogue des cultures entre l'Orient et l'Occident, source d'enrichissement mutuel, afin d'éviter le racisme et les faux préjugés. Mais que l'on s'entende bien. La pérennité et la crédibilité de toute chaîne sont fonction d'un bon management stratégique et de la qualité de la ressource humaine et nécessitent un important capital social de départ, la rentabilité n'étant acquise qu'à moyen terme. Tôt ou tard, à moins d'un partenariat international algériens/étrangers, tout en respectant la règle des 49/51%, certaines chaînes privées made in Algeria, ou de certaines chaînes Etat/privé national véritablement indépendantes du pouvoir, seront non rentables dans la mesure où nous ne pensons pas avec cette concurrence internationale et l'ère d'Internet, que les chaînes sportives et autres, made in Algeria, puissent concurrencer celles de l'international.

En conclusion, il est temps que les dirigeants algériens se mettent au diapason du monde moderne et évitent l'illusion de l'ère soviétique des années 1970 marquée par la propagande de ses médias. Au XXIème siècle, le fondement de la démocratie et le développement des libertés passent forcément par la liberté d'expression. Pourtant, l'ouverture médiatique en Algérie, fondement de tout processus démocratique fiable, est encore une chimère supposant une nette volonté politique de démocratisation. Entre les paroles, surtout pour la consommation extérieure et les actes au niveau intérieur, existe un divorce croissant. A l'heure où le monde et devenu une maison de verre, cela ne peut que conduire au discrédit national et international de tout pouvoir se fondant sur cette propagande devenue au cours du temps contreproductive.