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Les enfants de la ville et le reste

par Mohammed Beghdad

«Donc si tu connais mon père, c'est que tu sais qui je suis. Donc, tu ne me reconnais pas comme un oueld elbled sciemment. Tu es donc le juge qui décide celui qui l'est de celui qui ne l'est pas. La prochaine fois, mets un tablier de procureur et porte un marteau en bois. En ce qui me concerne, c'est la valeur des hommes qui m'intéresse, oueld elbled ou pas. Aller je te laisse à ta représentation archaïque du monde. »

Ces mots émanent d'un échange sur Facebook entre un ami et son interlocuteur qui lui dénigre le droit de parler parce qu'il n'est pas un oueld elbled.

Justement, cette notion a dépassé la citoyenneté dans son sens le plus profond. Pour aller dans la facilité, on colle tous les défauts à ceux venant de l'extérieur et qui ont envahit la ville, d'après leurs propos gratuits, comme si ces derniers ne sont que des citoyens de seconde zone. Heureusement que ces propos d'un certain âge ne sortent de la bouche que de certains qu'on pourrait qualifier d'extrémistes. Exactement comme en Europe où l'extrême droite appose tous leurs malheurs aux émigrés dont on a plus besoin aujourd'hui après avoir occupé tous les travaux durs et ingrats.

Une société moderne doit être régie par les mêmes droits et devoirs de ses membres. S'ils appliquent et respectent ces notions, ils acquièrent le statut de citoyens qu'ils viennent de l'extérieur, qu'ils soient nés dans la campagne ou natifs de la ville. La construction d'une ville moderne, d'un pays commence par ces fondements de base. Qu'ils soient mis en quarantaine ou déférés aux mains de la justice s'ils faillent à ces principes. Un oueld elbled n'est pas exempt de tous reproches, il peut tout aussi pêcher, frauder, dilapider des biens publics ou voler qu'un paysan.

Ce discours dans le pays, des ouled elbled à tous prix, ressemble étrangement à celui de l'extrême droite en France où tout est la faute des étrangers ou des émigrés malgré qu'ils travaillent en suant de leur front et qu'ils paient leurs impôts. C'est aussi celui des colons qui excluaient naguère les algériens dans leur quartier indigène appelé également souvent sous la dénomination péjorative de village nègre et leur école indigène, loin des centres-villes et des quartiers européens non sans les avoir exploités jusqu'à la moelle épinière. C'est la même politique que certains Algériens veulent appliquer sournoisement à leurs propres concitoyens. Ils veulent perpétuer la supériorité qui existait au temps de la domination coloniale. Pourtant, ici en Algérie, il s'agit des mêmes enfants du pays qui ont tous souffert du colonialisme et de ses méfaits, les paysans beaucoup plus que les citadins. C'est une vérité que tout le monde ne peut la nier. Il ne faut oublier que le premier exode rural est dû à la sauvagerie de la colonisation qui a vu le déplacement de millions de personnes durant la dernière guerre de libération et bien avant lors des différentes insurrections. Ajoutant à cela, la période postindépendance où un nombre impressionnant d'algériens voulaient goûter aux bienfaits de l'indépendance. La ville était d'ailleurs plus attractive sur tous les plans par rapport à la paysannerie, encouragés en cela par le départ massif des colons de la ville beaucoup plus nombreux que ceux de la campagne.

Leurs maisons sont allées tout droit aux algériens des quartiers arabes tandis que ceux de la campagne ne pouvaient pas demeurer en reste dans le dénuement. Ce qui est d'ailleurs tout à fait légitime où le développement rural mettait beaucoup plus de temps à se mettre en place. Il n'y a pas de sous-algériens et de super-algériens, il y a des algériens tout court animés par la même volonté d'aspirer à une meilleure qualité de la vie, à un meilleur avenir dans une Algérie libre et indépendante.

Rebattons une société où seules la compétence, l'honnêteté et l'intégrité doivent être les seules critères d'accès aux responsabilités. Si ces références se rassemblent sur des ouled elbled, tant mieux encore pour les plus déterminés. Mais ne mettons pas la charrue avant les bœufs en inversant la logique des choses.

Donc cette discrimination inquiétante entre le monde paysan et le monde citadin n'est pas faite pour souder les liens des algériens déjà secoués par d'autres problèmes plus complexes les uns que les autres, au contraire elle les divise davantage en les poussant à plus d'enfermement sur soi due surtout à nos mentalités de sous-développés avec ces esprits rétrogrades qui règnent en maîtres absolus.

 Heureusement que dans certaines régions montagneuses où personne ne dit être originaire d'une ville qu'il sait pertinemment être celles des colons mais par contre il parle fièrement de sa dechra, il y tient beaucoup à son attachement ancestral. Sincèrement, je les admire, ces gens de la montagne, pour leur conscience collective et leur dévouement à la tradition.

Pourquoi dans certaines contrées des villes, on a presque honte de parler de leurs origines peut-être qu'ils se sentent être « civilisés » beaucoup plus avant tout le monde par les colons. Ils ignorent qu'ils sont venus de tel ou tel douar comme aux alentours des villes coloniales qui n'existent que depuis les années 1840. Ils parlent qu'ils sont nés dans la ville mais n'évoquent point les origines parentales comme s'ils portaient la gale.

On doit être toujours dignes de ses origines, fiers de ses parents, qu'on ne peut choisir, qu'ils nous ont mis dans ce monde, qu'on soit né sur une montagne, dans une plaine, dans un douar, dans une dechra ou dans la ville. L'important ce n'est pas le lieu de naissance mais de recevoir l'éducation nécessaire pour respecter son entourage et être utile par des actes concrets et être pleinement disponible à la société en général, à sa ville ou à son douar en particulier et au lieu où il a choisi d'y vivre.