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On prête des fonds au FMI ! Oui mais est-ce un motif de satisfaction ?

par Mohamed Ghriss

Comme on ne le sait que trop bien, le FMI a récemment sollicité l'Algérie pour un prêt d'argent compte tenu de son confortable matelas financier, un recours qui n'a pas été sans susciter un motif de satisfaction chez nombre d'Algériens. Et pour cause.

En effet, il n'y a guère très longtemps c'était plutôt le pays « tiers-mondiste » algérien qui sollicitait l'instance financière internationale pour se tirer de situation. Or les rôles semblent inversés maintenant : c'est plutôt le puissant qui recourt à l'assistance du modeste pays émergent par rapport à l'envergure des pays nantis de l'occident ou des dragons de l'Asie et autres hyperindustrialisés d'Amérique ! D'où ce sentiment d'une certaine fierté affichée chez des Algériens, d'aucuns de souligner, il est vrai, les bonnes visées des prudentes estimations budgétaires d'auparavant qui s'étaient basées, alors, sur une sage évaluation approximative à 19 dollars US le cout du baril de pétrole, étalée à moyen terme. Et avec l'explosion du prix des hydrocarbures qui s'en est suivie pendant un bon moment (et persistant relativement encore), on voit aisément comment l'aubaine de l'accroissement fulgurant des revenus pétroliers est venue renflouer avantageusement les caisses de l'Etat.

La bonne santé financière de l'Algérie a ainsi permis au pays de régler, pour une grande part sa dette faramineuse, et d'être cité sur l'échiquier international en exemple en matière de croissance économique performante, encore faut-il distinguer entre croissance et développement économique. Comme il convient de ne point se leurrer : le FMI ne crie pas au secours ! Il saisit simplement l'opportunité qu'offre la disponibilité du pactole algérien pour solliciter un prêt afin de parer à la crise grecque surtout. Et il semble que le Fonds Monétaire International a pu régler cette question de procuration de finances. Quant au prêt algérien, il est de l'ordre du facultatif à présent, le pays en répondant quand même aux sollicitations du FMI peut toujours escompter se prévoir, de la sorte, des possibilités de bons offices internationaux à l'avenir. Mais cela n'est pas évident car que pèsent les fonds d'épargne du pays par rapport à ceux de puissance financières et pétrolifères quasi-permanentes pourrait-on dire ? Selon des spécialistes, les prouesses algériennes réalisées en matière d'épargne de fonds représentent en tout quelques 2°/° seulement des réserves mondiales. Et il faut savoir que le fait de prêter de l'argent au FMI ne présente pas des formes de garantie ou d'avantages substantiels pour l'avenir, sans quoi un pays omnipotent comme le Canada n'aurait pas refusé d'accorder un sou pour cette institution transfrontières dont il semble, apparemment, bien connaitre les rouages et modalités de fonctionnement mieux que quiconque.

Par ailleurs, et pour aborder sur un autre plan cette question d'aisance financière de l'Algérie, - qui, pour le rappeler encore une fois, n'était pas chose courante par le passé, - force est de constater que le taux exponentiel de cette importante marge bénéficiaire réalisée est dû surtout, à une surexploitation maxima, en un temps délimité, des ressources naturelles du pays, tirant profit de l'opportunité des prix montant en flèche des hydrocarbures. Autrement dit, le patrimoine du sous-sol algérien a été soumis à rude épreuve, une quantité impressionnante de ressources énergétiques ayant été pompées hors de leurs dépôts millénaires pour être transformées en autres ressources utiles de substitution : c'est-à-dire ces richesses patrimoniales ont été métamorphosées en moyens financiers nécessaires pour la croissance socioéconomique du pays.

Or, le fameux pactole réalisé est-il réellement employé dans le sens pragmatique concret du développement rationnel du pays ? Là est vraiment la question car si d'aucuns parmi les spécialistes du domaine de tabler sur les avantages des placements à l'étranger, au FMI, aux USA, ou ailleurs, d'autres d'observer à juste titre que ce qui devrait primer, en principe, c'est l'investissement de cet argent frais dans la mise en place d'institutions productrices et créatrices de richesses nationales surtout, à même de préserver le pays de la dépendance extérieure sous toutes ses formes. Certes, des réalisations ont vu le jour dans le pays , telles que les autoroutes, le métro, des programmes d'habitats, l'installation de conduites d'eau et de gaz dans des zones déshéritées, etc., mais cela ne constitue pas pour autant une réponse adéquate à la question fondamentale : à savoir l'utilisation des fonds publics suivant un mode de gestion et de management rationnel qui saura prendre en considération le facteur production dans un environnement « sudiste- tiers-mondiste » défavorable, qui risque fort de faire les frais à l'avenir d'une politique de prestige privilégiant le coté grandiose et éphémère des choses au détriment des multitudes de réalisations sobres mais solides et persistantes, garantes de l'avenir des générations montantes du pays. Déjà que le spectre de la récession s'annonce à l'horizon, interpellant les consciences à plus de rationalité et de prévoyance dans la gestion rigoureuse des deniers publics.

En d'autres termes, il y a lieu, semble- t'il, de veiller rigoureusement à la bonne gestion de l'économie du pays, dans un mixte harmonieux de partenariat public- privé adéquat, tout en tenant compte non seulement des besoins actuels de la nation mais également de la préservation des droits des générations futures ! Cependant, ces exhortations ne doivent nullement être interprétées à tort par certains apparatchiks, qui ne nous ont que trop habitués par leurs mesures préventives, à chaque circonstance de serrement de la ceinture : leur politique malicieuse du « taqachouf » (anti-gaspillage) de mesures draconiennes de réduction de dépenses devant toujours être supportées par les travailleurs et le menu peuple essentiellement? alors que les privilégiés des hautes sphères et leurs acolytes affidés ne sont jamais dérangés par ces mesures réductives, notamment dans les salaires. Que ces derniers méditent l'exemple, entre autres, de cet homme d'Etat algérien, et non moins des moindres car s'agissant de l'Emir Abdelkader qui faisait souvent don de son traitement, imité par ses valeureux hommes, au profit des fonds publics (« beyt el mel ») afin de subvenir aux besoins de son pays à défendre de la mainmise étrangère. (Bien évidemment, il ne s'agit pas ici d'exhorter nombre de nantis d'Algérie à suivre cet exemple patriotique, on est sans illusion là ? dessus : comme le répercute la vox populi : chez nous on ajoute à celui qui possède en plus et on enlève à celui qui possède en moins (« 3andna izidou el ?ma lel b'har ou yegal3ou ?h'chicha el m'3icha men Sahra »). Faut pas s'attendre, donc, à des traitements judicieux mais que l'on essaye au moins de ne pas trop charger le bon dos du peuple : surtout à l'approche du mois sacré de Ramadhan durant lequel les grossistes et affairistes de l'informel du bled profitent de l'opportunité de ce mois à forte consommation pour réaliser en général les meilleurs surprofits illicites de l'année, la piété en ce mois d'exception ils s'en contrebalancent, l'argent quoique en surplus illégal étant prioritaire pour eux!

Bref, l'économie d'un pays repose sur le travail productif et non ma rente de ses ressources tôt ou tard périssable ou remplaçables par d'autres sources énergétiques ou nouvelles formes de substitution auxquelles la science et le progrès ne manqueront pas d'aboutir un jour. L'avenir est synonyme de créativité, de recherche, travail de prospection, de rénovation et de productions novatrices voire révolutionnaires comme pourrait l'être le désert du Sahara le jour où on décidera de s'y investir résolument pour en faire, nous également, notre verte Californie à nous, soit notre plus sure épargne pour demain et chez soi !       Là ce sera vraiment un légitime motif de fierté nationale, rien que de tenter d'amorcer l'entreprise de cette noble initiative. Nul doute que l'on verrait des élans intéressés se manifester de divers horizons, publics et privé , incluant également les apports d'instances internationales comme le FMI, pour peu que l'économie du pays daigne s'ouvrir aux investissements libres internes et externes en vue de soutenir hardiment cette dynamique d'action hautement créatrice et valorisante du travail productif. Pour rappel, le Sahara représente un grenier potentiel pour la sécurité alimentaire future non seulement pour l'Algérie mais pour une bonne partie de la population intercontinentale : là voilà la richesse nationale à profusion du futur dans laquelle il faut investir sans attendre.

C'est stratégiquement beaucoup plus avantageux que la politique de bricolage et de prestige du tout béton armé d'un environnement cimenté et clôturé de partout ( au sens propre et figuré) mais qui risque fort de se retrouver un jour totalement désarmé par la faute de visées grandiloquentes inconséquentes.

Par ailleurs, décider d'une telle raisonnable et prévoyante entreprise de projet Grand Sud, n'est pas sans s'inscrire dans le cadre du développement territorial national équilibré- harmonieux et dont l'évocation tombe à point par les présentes circonstances de la commémoration du cinquantenaire de l'indépendance nationale.

Un anniversaire bien évidemment loin , très loin des folles espérances attendues en matière de justice sociale, de droits et libertés humaines , d'emploi, de logements, d'éducation et culture populaires, etc.?50 ans déchantant d'une réjouissance indépendantiste mitigée dont on ne répétera jamais les recommandations des historiques Novembristes qui considéraient que la restauration de la souveraineté nationale se devrait d'être à l'avenir , consolidée, promue, et affirmée continuellement sur les plans économique, social, culturel et autres d'émancipation des droits de la femme, d'expressions collectives et individuelles.

Autrement dit, allant dans le sens de l'approfondissement de l'incontournable processus de démocratisation pluraliste engagé, tendant à l'établissement progressif d'un Etat de droit, de Loi et de Foi non hypocrite. A ces conditions là, le motif de fierté des Algériens peut être invoqué plus légitimement. Mais prêter des fonds au FMI et évoquer à l'occasion la fierté de l'Algérie pour son pactole réalisé? pendant qu'on matraque dans la rue des revendicateurs de droits en leur répétant qu'il n'y a pas assez de fisc au moment où des sommes faramineuses sont gaspillées dans des festivités et festivals pour catégories d' invités et consorts , voilà de quoi susciter le courroux des paisibles bonnes gens scandalisés par de tels recours ! Le comble, c'est que les pouvoirs centraux viennent toujours s'interroger naïvement par la suite, comment en sont-ils arrivés à se faire fortement désavouer de la sorte, par pratiquement la quasi-majorité de la population aspirant plus que jamais au renouveau sociétaire national. Avec des institutions viables et fiables, ne se payant pas la tète de ses citoyens qui voient tous, de nos jours à travers le globe, comment se comportent les gouvernances respectueuses des droits de leurs peuples et comment ces derniers savent le leur rendre en retour. Quand on est conséquent vis-à-vis de soi avant de l'être vis-à-vis des autres.