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Entre le marteau des gens «d'en haut» et l'enclume des gens «d'en bas»

par Belkacem AHCENE-DJABALLAH

A tout s(a)igneur (s), tout honneur. «Ceux d'en haut» ! Une ville quelque part en Algérie. Une circulation automobile devenue monstrueusement compliquée. Déjà, dans les années 80, nos urbanistes et autres spécialistes des transports urbains s'étaient penchés, ici et là, sur la question - et, il faut le re-dire, pour seulement prouver que bien des problèmes de ce pays ne sont pas totalement dus à l' «incompétence de nos cadres» - des plans d'aménagement de nouvelles voies routières urbaines avaient été conçus, adoptés?et lancés pour leur réalisation. Mais, mais? Il se trouve qu'en un lieu donné (un quartier alors quasi-désert, mais devenu très rapidement résidentiel par la force des choses et des pouvoirs en place ), la nouvelle voie expresse s'est trouvée brusquement stoppée, ne pouvant aller plus loin, une bonne partie du terrain à transformer étant occupée par une très vieille maison de maître devenue propriété d'un «grand» homme du pays. Un blocage qui dure encore. Une impasse, malgré toutes les tentatives de conciliation, de supplications, de contraintes?.Entre-temps, sur d'autres tronçons du parcours, des bâtisses nouvelles ont vu le jour, construites soit par des privés «bien introduits» soit par des institutions étatiques. Entre-temps, la circulation se trouve sinon bloquée, du moins très ralentie. ?

«Ceux d' en bas» !

Un tout petit village. Plus haut, à environ 5 km, le siège de la commune. Entre les deux, un chemin qui monte. Une route goudronnée, mais un chemin quand même. De part et d'autre, des fermettes et des baraques??mais aussi, depuis des années, un collège, le lycée du coin... et un hôtel en construction annonciateur, pour très bientôt, de folles nuits campagnardes. Déjà plusieurs accidents, la dite route étant sans trottoir, étant elle-même assez étroite permettant tout juste à deux véhicules de se croiser. Les dos d'âne n'ont pas suffi à décourager les chauffards qui descendent ou montent à toute vitesse causant plusieurs accidents graves. Depuis peu, après un accident mortel, un écolier ayant été percuté, mortellement je crois, la réalisation d'un large trottoir (avec élargissement de la route là où c'est possible) a été entamé. Tout allait bien?.... jusqu'à l'arrivée des travaux ?à hauteur non d'une bâtisse déjà existante, non en raison de terres à vocation agricole?.. mais tout simplement d'une grande baraque ( faite de bouts de bois, de tôle et de ficelle ) «appartenant» à quelques «jeunes» qui ont élargi leur commerce de cigarettes à celui de vente de cailles, de canards , de lapins et et de poulets?.. grillés et à consommer in situ ou à emporter. Un commerce qui occupe toute la largeur programmée du trottoir, mais aussi, une petite partie de la route elle-même, forçant les automobilistes à n'avoir plus qu'un trois-quart de voie, donc de ralentir et de ce fait , d' «écouter» les «aboyeurs» (après les gardiens de parking, voilà la nouvelle race de «délégués commerciaux»). On a donc, depuis déjà un bon bout de temps, un trottoir à moitié terminé, non fini?et qui, à ce que l'on voit, chacun se défilant devant les attitudes résolument «décidées» de nos commerçants de l'informel, durera assez longtemps.

Deux projets d'Etat , utiles à la société , se trouvent donc bloqués et restent non pas irréalisables, mais tout simplement à moitié réalisés, accentuant l'image d'un pays qui n'arrive pas à aller jusqu'au bout de ses ambitions et de ses projets (comme toutes ces centaines de bâtisses, publiques ou privées, non terminées, comme ces centaines de magasins inoccupés, en plein centre des grandes cités , et livrés aux rats et aux délinquants, comme ces trottoirs occupés par la quincaillerie de magasins devenus trop étroits?..). Non en raison d'un manque de volonté, ou d'argent, ou de conceptualisation ; mais à cause de l'existence de volontés contraires et contrariantes, en haut mais aussi en bas de la pyramide sociale, bien souvent bassement matérielles et égoistes . Et, en raison d'une certaine démission de l'Etat qui n'arrive pas , ou plus, à faire face surtout à ses attributions et obligations les plus élémentaires , c'est-à-dire celles qui le mettent en face de ses responsabilités citoyennes, celles, bien sûr, qui ne sont pas protégées par un «guichet». Dans une telle situation, Kafka n'est pas loin, chacun rejetant la responsabilité (pour solutionner le problème) sur les autres : l 'APC sur la Daira ou la Wilaya, les services de Sécurité sur la Justice, la Justice sur le respect de la Loi et une saisine, les citoyens «d'en bas» sur la Hogra , menacant avec des «émeutes» et des «immolations par le feu» , les citoyens d' «en haut» sur les «règlements de compte» et faisant appel aux «amis» , toujours «bien placés»?..

Faut-il donc s'étonner du récent classement émis par le rapport annuel «Index des Etats déliquescents» (Failed states Index) réalisé pour l'année 2012 par le magazine Foreign Policy ? Plus un pays est proche de la première place, plus celui-ci est considéré comme un pays sinistré ou en faillite?..Pour l'Algérie , c'est l'alerte orange. Ouf ! Sur 117 pays étudiés, elle se trouve classée au 77è rang. 12 paramètres sont agrégés. Certes, l'Egypte est à la 31è place, la Mauritanie à la 38è, le Yémen et l'Irak à la 8è et 9è places, et la Somalie, la RD Congo et le Soudan forment le trio de tête. Mais, il n'en reste pas moins que le pays méritait bien mieux . A signaler qu'on a engrangé 8,1 points (10 étant la pire situation) pour les «griefs des groupes cherchant la vengeance», 7,1 pour la «dégradation de la situation sécuritaire», 6,8 pour la «dispersion de l'élite et la fuite des cerveaux»?.5,9 pour la «détérioration des services publics» et 5,5 pour l' «intervention des acteurs extérieurs»?.

Il est des révoltes et des comportements à la limite de l'acceptable et du supportable. Comme par exemple le commerce informel qui, on a tendance à l'oublier bien vite, a été érigé en organisation quasi-officielle du commerce national à la fin des années 80, les conseilleurs d'alors ? algériens et étrangers - pensant que cela , tout en résolvant, dans un premier temps, les problèmes socio-économiques immédiats des jeunes citoyens, allait ,dans un deuxième temps, «booster» ou «créer» l'esprit d'entreprise d'une population qui s'ouvrait au libéralisme. D'autres en ont profité : surtout ceux du «haut» qui se sont adjoints quelques entrepreneurs du «bas». D'où la naissance d'une couche (classe ?) d'affairistes, ce qui a beaucoup nui aux hommes d'affaires vrais?et aux entreprises publiques abandonnées à leur sort ou tout simplement bradées.

Mais, il en est d'inacceptables et d'insupportables : les comportements nuisibles à la qualité de vie du citoyen, en tous lieux et de tout temps?et les révoltes gratuites , forme de chantage pour faire «passer» beaucoup plus des avantages et des privilèges conjoncturels que des demandes légitimes. Encore faut-il que l'Etat et ses appareils ne donnent plus cette fâcheuse impression ?aux citoyens en général et à l'étranger en particulier - d'être , à travers la récurrente gestion permissive des choses de la vie publique, «déliquescents» !

PS : Un vieux routier de la chronique judiciaire a rapporté récemment un incident opposant une juge du siège à la représentante du ministère public , tout en affirmant par ailleurs que les incidents d'audience dans les juridictions sont légion. Donc, la seconde a refusé, publiquement, de se lever à l'entrée de la première. Une coutume incontournable , le public devant être debout , à l'entrée du juge, et ce «au nom du peuple algérien». Comme lors d'une levée des couleurs nationales . Rappelée à l'ordre discrètement par celle «du bas» (ne représentant que le peuple) , la seconde , celle «du haut» (représentant l'Etat, ce qui n'est pas peu), a refusé et a quitté la salle d'audience?.vite suivie par la première. Affaire à suivre? mais, déjà, ?...à vous de juger ! Le grand perdant : L'image de l'Etat et du Droit