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Qui se souvient des soins de santé de base ?

par Farouk Zahi

«La Conférence internationale sur les soins de santé primaires réunie à Alma-Ata ce douze septembre mil neuf cent soixante-dix-huit, soulignant la nécessité d'une action urgente de tous les gouvernements, de tous les personnels des secteurs de la santé et du développement ainsi que de la communauté internationale pour protéger et promouvoir la santé de tous les peuples du monde, déclare ce qui suit : (X articles).»

Nous nous astreindrons à l'article VII, notamment, son 3è alinéa qui stipule : comprennent (les soins de santé primaires ) au minimum : une éducation concernant les problèmes de santé qui se posent ainsi que les méthodes de prévention et de lutte qui leur sont applicables, la promotion de bonnes conditions alimentaires et nutritionnelles, un approvisionnement suffisant en eau saine et des mesures d'assainissement de base, la protection maternelle et infantile y compris la planification familiale, la vaccination contre les grandes maladies infectieuses, la prévention et le contrôle des endémies locales, le traitement des maladies et lésions courantes et la fourniture de médicaments essentiels. Notre pays qui a souscrit à cette déclaration, a parcouru un long chemin dans la réalisation de certains objectifs, tels que la vaccination contre les maladies infectieuses infantiles, la lutte contre les endémies locales ou régionales notamment les maladies à transmission hydrique et certaines zoonoses. L'approvisionnement suffisant en eau potable et les mesures d'assainissement de base ont été au-delà de toute espérance. Les différents plans de développement sectoriels ou communaux ont constamment, prévus des objectifs planifiés en matière d'eau et d'assainissement. Le dernier transfert d'eau de la cuvette de In Salah à Tamanrasset sur une dénivelée de 1000 mètres renseigne, un tant soit peu sur l'importance accordée politiquement à l'approvisionnement en eau des populations. La protection maternelle et infantile y compris la planification familiale, a connu ses heures de gloire sur une double décennie. (1970/90). Réalisés en partie par l'épique accoucheuse rurale, (notre pensée va à la défunte Fatiha Rezoug de Berrouaghia qui a aidé à mettre au monde des centaines de bambins et à en suivre l'évolution staturo pondérale). Généreux, nos pédiatres avaient opté pour la courbe américaine de Meredith pour le suivi du poids des enfants. Rudimentairement formés aux petits gestes, l'accoucheuse et le rustique aide soignant atteignaient, pertinemment, les objectifs assignés. Sans objectifs bien compris, il est sûr que la structure la mieux dotée en moyens humains ratera le coche à tous les coups.

On peut, paradoxalement, et avec de modestes moyens obtenir des résultats inespérés. Faire analyser chimiquement les urines de tous les sujets qui se présentent à la consultation fera dépister, précocement, tous les diabétiques qui s'ignorent. Il y va de même pour la prise de la pression artérielle. Faut-il aussi que le médecin cède une partie de ses territoires jalousement délimités.

Le programme général des structures chargées de la protection de la mère et de l'enfant appelées communément PMI, se déroulait sous la houlette du Dr Malika Ladjali sous forme de SMIG sanitaire : Suivre assidument la grossesse par la triplette : Prise du poids-prise de tension artérielle- recherche d'albumine et de sucre dans les urines. Assurer l'accouchement normal en milieu approprié. Il se trouve actuellement des centres appelés pompeusement, Etablissements hospitaliers spécialisés de la Mère et de l'Enfant qui ne disposeraient, ni d'aspirateur de mucosité pour permettre de dégager les voies aériennes du nouveau né, ni, encore moins, de ventilation assistée par apport d'oxygène.

L'enfant issu de cet accouchement sécurisé, faisait l'objet d'une pesée, d'une vaccination contre la tuberculose (seul vaccin recommandé à la naissance en ces temps de pain béni), deux gouttes de collyre dans les yeux. Happé par le système de santé, il avait dès lors, une identité sanitaire par l'attribution d'un livret de santé rudimentaire de quelques pages. Bien renseigné, ce document didactique pouvait suivre l'enfant jusqu'à l'âge scolaire. Cette même accoucheuse, entrait dans l'intimité du couple pour proposer la pilule contraceptive, encore tabou pour une société plombée encore par le fait colonial. Certains esprits encore rétrogrades, réfractaires à la planification familiale, rejetaient le traitement de l'eau par le chlorure de chaux arguant que ce désinfectant hydrique était en réalité un?contraceptif collectif. C'est dire l'état d'arriération intellectuelle dans lequel ont été, longuement, maintenues les couches vulnérables dans les profondeurs territoriales. L'autre action et non des moindres, est suggérée pour être menée par les Etats de l'Organisation mondiale de la Santé (OMS) : une éducation concernant les problèmes de santé. Une section de l'Institut national de santé publique dirigée par Dr Abdelkrim Soukehal, était consacrée au fait éducationnel. L'éducation sanitaire, portée par des affiches, dépliants, spots radiophoniques et télévisuels envahissait tout l'espace public. Elle s'insinuait régulièrement, telle une publicité, dans le quotidien des ménages. Mamiche, ce cartoon d'anthologie, était devenu aussi célèbre que Jerry la souris ou Hutchi l'abeille. Il conseillait aux mamans, et même aux papas, de petits gestes préventifs à l'endroit de leur progéniture. Mais à l'époque, le discours n'était pas vain.

Quand on recommandait la sérothérapie contre la survenue du tétanos, on trouvait toujours le produit dans la structure de santé la plus proche. Quant au vaccin contre la rage, et si d'aventure, aujourd'hui, quelqu'un est justiciable d'une vaccinothérapie, il devra parcourir des dizaines de kilomètres pour en trouver. Il est devenu, malheureusement, coutumier d'apprendre que çà et là, les vaccins sont en rupture de stocks et que là, le vaccin existe, mais qu'il est mal distribué comme si le territoire aurait changé de configuration physique avec, cependant, plus de moyens présentement. Les enfants pouvaient vous relater le calendrier vaccinal à travers la chansonnette de Mamiche diffusée avant le 20 H de l'antique RTA.

Qu'est-il advenu de notre système de santé, fleuron du développement social tous azimuts ? Pléthorique, il geint sous les revendications salariales et autres ambitions statutaires. Disqualifié par ses pairs spécialistes, le médecin reçoit de plein fouet les conséquences du mépris qu'il a du afficher, lui même à l'endroit du paramédical. Le paramédical, soumis pendant longtemps au « déni », se rebiffe et revendique le statut médical de plein droit. Aux dernières nouvelles, on apprend que la sage femme, vient de l'obtenir. Les paramédicaux bacheliers réclament à leur tour, le système LMD. Pourquoi pas, tant est, cet état d'esprit général qui supprime les corps qualifiés au profit d'une surqualification académique et qui ne dépasse pas les seuils des laboratoires. Allons faire un tour du côté des parcs radiologiques conventionnels, dont certains n'ont pas encore cinq ans d'âge, qui dépérissent sous le regard robotique de scanographes à l'arrêt faute de personnel qualifié. Ne faut-il pas, pour le bonheur des populations, revenir à l'épique accoucheuse dont l'humanisme suppléait pour beaucoup à l'insuffisance cognitive ? ?pour l'aide soignant, c'est déjà fait depuis longtemps déjà. Il semblerait et au vu de cette perdition que des gestes qui peuvent sauver des vies humaines soient moins nobles que d'autres? Ceci nous renvoie à la pertinente assertion de M. Abderrezak Bouhara, alors ministre de la santé, questionné sur le rôle de cet ancien corps hybride de techniciens paramédicaux des Adjoints médicaux de santé publique et qui disait ceci : « L'AMSP, c'est quelqu'un qui fait ce que le médecin dédaigne de faire et ce que l'infirmier ne sait pas faire? ».On ne pouvait mieux dire?

Jadis, seule la qualification posait problème ; actuellement se sont les vertus les plus élémentaires qui se sont dissoutes dans l'insouciance générale. Le mal est plus profond qu'on ne pouvait l'imaginer, il y a, à peine quelques années. Une jeune parturiente, orientée par un hôpital vers la maternité d'un célèbre CHU de l'ouest d'Alger a frôlé la névrose suicidaire. Subissant le calvaire de l'attente prolongée, elle observait avec horreur les cadavres de fœtus nus exposés sur la paillasse. Deux femmes de salles acariâtres, prenaient, sans ménagement, dans un reste de matelas pour enfant, deux morts nés dégoulinant de sang et les « jetaient » à l'arrière d'une ambulance pour on ne sait qu'elle destination. Les parents angoissés et cantonnés dehors par des vigiles, regardaient le spectacle dans un état second. N'y a-t-il plus d'âmes charitables pour atténuer, un tant soi peu, cette perte collective de sensibilité humaine ? Aucun discours généreux, ni aucun diagramme statistique, ni aucun colloque savant ne viendront à bout de cette galère mortuaire menée par des androïdes mécanisés. Il va sans dire qu'une multitude de praticiens mène, en dépit des vicissitudes professionnelles et de la vie, sa noble mission en toute probité intellectuelle.