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Mohamed Morsi et le modèle Erdogan

par Abed Charef

Formé aux Etats-Unis, Mohamed Morsi est plus proche d'Erdogan que de Abbassi Madani. A ce titre, il peut être la caution d'une modernisation de l'Egypte. Vision trop optimiste ? Sûrement. Mais le pire n'est pas la seule issue.

Mohamed Morsi a remporté l'élection présidentielle en Egypte, mais rien ne lui garantit qu'il pourra accéder effectivement au pouvoir. Il doit encore négocier dur pour arriver à exercer pleinement la réalité du pouvoir, et ensuite, faire en sorte que son pays en tire profit, alors que l'Egypte, confrontée à une grave crise politique, sociale et économique, dispose d'une marge de manœuvre extrêmement réduite.

Pour l'heure, malgré les déclarations de bonne foi, destinées à rassurer les partenaires internes et externes, le candidat des frères Musulmans n'est pas encore entré dans le vif du sujet. A peine a-gt-il commencé à défricher le terrain pour préparer son intronisation. Son principal partenaire en Egypte, l'armée, a affirmé sa volonté de coopérer avec le nouveau pouvoir, mais ces déclarations de principe n'ont pas de signification particulière. Le Conseil militaire suprême ne peut, en effet, du jour au lendemain, effacer une longue tradition instaurée en Egypte, où le pouvoir est détenu par l'armée et géré par la bureaucratie.

Mohamed Morsi doit donc avancer avec précaution, et négocier continuellement. Il doit constamment faire des compromis, et accepter de cogérer le pays avec une armée omniprésente, du moins dans un premier temps. Tant que le pays n'a pas établi de solides traditions d'alternance, et tant qu'il n'a pas mis en place des contre-pouvoirs garantissant les droits d'une large frange de la société égyptienne qui ne se retrouve pas dans le projet des Frères Musulmans, il sera contraint d'avancer avec prudence, pour éviter l'erreur fatale.

Cette incertitude réside dans le contenu même du mandat confié à M. Morsi : il ne sait pas encore ce que sera le contenu du mandat de président. Il ne sait pas quel pouvoir il va exercer. Le Conseil militaire, présidé par le maréchal Tantaoui, n'a en effet pas encore fait adopter la nouvelle constitution égyptienne, qui devrait organiser la répartition des pouvoirs. Les militaires se donnent donc le temps de voir où placer les vrais pouvoirs : à la présidence, au parlement, ou ailleurs.

Mais d'ores et déjà, le conseil militaire a dissous le parlement, où les islamistes étaient majoritaires. En agissant ainsi, l'armée a délivré deux messages. D'un côté, elle réaffirme qu'elle garde la main, et qu'elle ne se fixe aucune limite. D'un autre côté, elle ne peut supporter d'avoir deux sources de pouvoir, législatif et exécutif, bénéficiant d'une même légitimité de l'urne, et tous eux hostiles au pouvoir militaire.

Mohamed Morsi est donc averti. Il sait désormais que son mandat sera d'abord une course d'obstacles, pour éviter un choc frontal avec l'armée. De longues années de militantisme dans un contexte difficile l'ont préparé à cette épreuve. On le dit souple, habile manœuvrier, ayant le sens du compromis, autant de cartes qu'il devra jouer avec talent. Et s'il réussit à franchir ce cap, et devenir un président accepté à l'intérieur après avoir été adoubé par les grandes puissances, il pourra s'attaquer aux grands dossiers auxquels doit faire face l'Egypte.

Mais contrairement aux appréhensions qui accompagnent l'arrivée d'un islamiste au pouvoir, Mohamed Morsi peut être l'homme qui poussera l'Egypte vers la modernisation. Il est plus proche d'Erdogan que de Abbassi Madani, dit de lui un connaisseur des frères Musulmans. Derrière la façade islamiste, se cache en fait un homme disposé à adopter un comportement proche de celui des dirigeants de l'AKP, qui n'ont pas remis en cause les fondements de la laïcité du régime turc, ce qui a permis au pays de se moderniser, avec de taux de croissance supérieurs à cinq pour cent, parallèlement à l'émergence d'institutions crédibles et de grandes entreprises modernes.

« Morsi n'est pas un wahabite. Ce n'est même pas un traditionnaliste. Il a fait des études aux Etats-Unis, il s'est frotté au système américain, ce qui laisse forcément des traces », dit de lui un spécialiste de l'Egypte. « Il sait aussi qu'un pays ne peut progresser s'il écarte une frange de la société : il ne peut pousser les coptes et les laïcs dans un ghetto, car il signerait alors sa propre condamnation ».

Ce discours, très optimiste, ne tient cependant pas compte du poids de l'électorat qui a porté M. Morsi à la présidence, ni de la pression qui sera exercée par les salafistes, qui représentent un quart de l'électorat. Une situation qui obligera M. Morsi à tenir constamment deux discours : l'un, en direction de l'armée, des opposants et de l'étranger, pour rassurer ; l'autre, en direction de sa base, pour maintenir la mobilisation.

L'exercice sera difficile. Particulièrement quand M. Morsi aura admis qu'un chef de l'Etat ne peut refouler toute une frange de la société dans un ghetto, et que ceux qui n'ont pas voté pour lui ne peuvent être traités comme des citoyens de seconde zone. Et si la tentation de prendre un mauvais virage se manifeste, la place Tahrir le lui rappellera.