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L’exception qui ne veut pas mourir

par Salim METREF

Gramsci disait qu’il y a crise quand l’ancien monde ne veut pas mourir et que le nouveau monde ne veut pas naître. Et l’Algérie nouvelle se fait tant désirée.

Car en Algérie, quand les lignes bougent, les murs se lézardent mais l’essentiel, semble-t-il, est d’avoir toujours l’apparence sereine. Mais patience. C’est la brume, dit-on, qui se dissipe. Qui peut résister au soleil qui se lève ? Ni la glaciation, ni le mensonge. Tout vient à fondre et même les géants rapetissent. 2012 n’est pas encore fini mais tiendra t’il vraiment encore toutes ses promesses? L’Algérie continue de gémir et tout le monde l’entend. De tous lieux, de toutes opinions, de toutes tendances et de toutes couleurs. Et même de toutes confessions. D’ici et d’ailleurs. D’exilés volontaires où d’exilés tout court. Ce pays qui nous sert de refuge nous interpelle de nouveau. A l’espérance il nous faudra prêter main forte. Dans la paix mais avec fermeté et conviction.

Aujourd’hui plus qu’hier et sans doute plus que jamais cette quête a besoin de toutes nos intelligences. Trêve de Charybde. Trêve de Scylla. Retrouver vite le cap. Surtout que les certitudes sont soudain devenues chimères et que tout désormais peut s’écrouler. Tout était donc si fragile. Mais l’exception algérienne ne veut pas mourir. L’exception algérienne ne saurait être un sursis, constamment renouvelé, accordé au statu quo. Ni une procuration éternelle à ceux qui seraient devenus nos tuteurs. L’exception algérienne n’est pas un peuple enfant, immature et incapable de réfléchir. D’autres venus d’une autre rive qui s’invitèrent un jour à notre table bénie du ciel disaient au siècle dernier qu’il ne fallait rien attendre de notre peuple. Nous connaissons tous la suite. L’exception algérienne ne saurait être confondue avec l’état d’exception qui lui est un modèle politique de gouvernance dont l’essence est le statu quo dictatorial et dont le corollaire serait le déni de l’autre et le viol des consciences.

L’exception algérienne n’est ni l’hégémonie de l’Est, ni l’hégémonie de l’Ouest. L’exception algérienne n’est pas l’arrogance du plus fort. Ni celle du plus puissant. L’exception algérienne n’est pas se renier, lorsque l’on a un tant soit peu existé par soi-même et que l’on se soit vraiment battu pour un idéal, ni quémander un strapontin à la table des puissants du moment. L’exception algérienne n’est pas ces faux conservateurs, vautrés dans la rapine, l’ouïe alerte à l’écoute de la direction du vent. L’exception algérienne n’est pas ces faux libéraux forgés dans les coulisses de quelques obscures officines. L’exception algérienne n’est pas ces inconnus qui vous visitent au petit matin quand le muezzin appelle à la prière et qui vous invitent, vos yeux encore ensommeillés et embués de larmes et sans avoir pu embrasser vos enfants encore endormis, à emprunter les chemins escarpés de la solitude, de la souffrance et parfois de la mort. L’exception algérienne n’est pas un pays riche et un peuple pauvre. L’exception algérienne n’est pas un peuple qui vit et un autre peuple qui le regarde vivre. L’exception algérienne n’est pas cet argent souvent mal acquis qui s’affiche avec l’indécence du sous-développé et l’insolence du parvenu, souille la mémoire de nos martyrs, s’érige en mauvais modèle à suivre notamment pour les plus jeunes et nargue les plus pauvres. L’exception algérienne n’est pas non plus cette meute de nouveaux puissants à l’appétit insatiable qui n’a rien encore apporté à l’humanité. Ni réussi à nous guérir de la leucémie.

Ah quelle fortune aurait été la nôtre si tel avait été le cas? L’exception algérienne n’est ni le réseau des initiés, ni les frères de circonstances, ni le clan, ni l’allégeance, ni le baisemain, ni les coups tordus, ni le diktat, ni la terreur, ni la peur, ni la pauvreté, ni les fins de mois impossibles, ni la campagne qui s’appauvrit et ni la montagne qui se pollue.

L’exception algérienne, c’est tout le reste. Et tout le reste c’est aussi l’exception algérienne. C’est se lever tôt le matin pour mériter son pain. C’est le don de soi. C’est l’humilité et la pudeur même dans l’opulence et la richesse. C’est le mouvement vers les autres. C’est la tentation de l’espérance. C’est l’honnêteté et la bravoure. C’est la noblesse du comportement. C’est pouvoir avoir pour meilleure fortune la foi portée en bandoulière et Dieu pour seul et unique maitre. C’est le refus du chaos. C’est le refus de mériter d’être né au bon endroit mais de mériter de gagner par soi-même quelque chose qui ne soit pas confisqué à d’autres. C’est le règne du mérite, du travail et de l’effort. C’est le pardon maintes fois accordé. C’est la prime à l’espérance. C’est ce peuple qui comprend tout et vite mais qui préfère attendre car on ne le surprendra jamais plus. L’exception algérienne, c’est le refus de l’oubli et de l’amnésie. C’est 62, l’indépendance confisquée et les luttes fratricides des premiers mois de la liberté retrouvée.
Tous les printemps noirs qui suivirent et la grisaille rouge sang d’octobre 88 qui éclaire encore notre route parce qu’elle libéra la parole. L’exception algérienne, c’est la clameur des hommes libres qui se lève comme ce pain matinal pétri par les mains rugueuses des femmes faiseuses d’hommes. L’exception algérienne, c’est le séisme qui se produit lorsque le vote devient vrai et devient libre. Et ces élections de 1991 qui furent sans doute libres et que remportèrent ceux qui furent vaincus par cet arrêt brutal du processus électoral. L’exception algérienne, ceux sont aussi ces années de guerre civile, ces centaines de milliers de morts et ce prix exceptionnel payé par notre peuple et notamment les plus humbles. Alors, l’exception algérienne est ce peuple affaibli, tout juste sorti d’une épreuve cruelle, qui recommence à vivre et qui aspire désormais à la paix et à la prospérité.
Qui dit aussi basta. Et qui exige respect et reconnaissance. Car quel sens auront donc tous ces sacrifices si l’on devait faire encore et toujours comme si rien ne se serait jamais produit et que l’on pouvait encore et toujours agir comme avant ? L’exception algérienne, c’est aussi le 10 mai 2012. C’est 20 ans après 1991. C’est le retour du FLN. L’exception algérienne n’est ni le vote sanction, ni le vote refuge. C’est un vote de chez nous. C’est un peuple qui continue de faire sa quête. De vérité. C’est un peuple qui veut toujours et encore se réapproprier sa mémoire. Arrêtons maintenant de tourner en rond et n’essayons plus de gagner du temps car nous en avons déjà beaucoup perdu. D’autres défis nous attendent et d’autres dangers nous guettent. Alors essayons pour une fois de nous comprendre et de nous entendre. Nul parmi nous n’est dupe pas même ceux qui pensent que nous sommes toujours débiles. Tout le monde a sans doute déjà compris que nous ne devions plus dégoupiller par nous-mêmes nos propres grenades. Nous préférons la sagesse et seule l’Algérie nous incombe. Pas vous. Pas nous. Et surtout pas le devenir de nos petites personnes. Et en attendant les cimes et pour ne pas suffoquer, respirons à pleins poumons cet air revigorant qui nous vient du centre. Pardon, qui nous vient de Blida!