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La longue attente se poursuit.La longue attente continue

par Abed Charef



A la veille de l'été et du Ramadhan, traditionnelle période d'hibernation, l'Algérie s'est installée en position d'attente.

L'Algérie attend. Avec un peu d'impatience, mêlée de curiosité. Elle attend depuis des années que quelque chose se passe, un évènement dont on ne connait pas la nature, mais qui est supposé mettre fin à cette mal-vie devenue le trait dominant du pays.

Le président Abdelaziz Bouteflika a lui-même contribué à renforcer ce sentiment d'attente, en annonçant de profondes réformes il y a un an. Peut-être l'a-t-il fait bien malgré lui. Peut-être qu'il n'a rien promis. Mais la société avait tellement envie que ça change, qu'elle a mal interprété les propos du chef de l'Etat, lui prêtant des intentions qui n'étaient pas les siennes. M. Bouteflika a évoqué le changement de la loi électorale, celle sur les partis, les associations et sur l'information, pour ouvrir au pays de nouveaux horizons, dans le cadre de réformes politiques qu'il a qualifié de «profondes».

Le président Bouteflika voulait-il vraiment engager des réformes, ou bien a-t-il tenu aux Algériens un discours qu'ils avaient envie d'entendre, juste pour calmer une situation délicate en plein printemps arabe ? Toujours est-il que le discours du chef de l'Etat a renforcé cette aspiration au changement, largement partagée, mais qui ne trouve pas de débouché. Il a aussi confirmé les Algériens dans leur sentiment que les choses ne peuvent rester en l'état. Si, en effet, le président Bouteflika lui-même estime que les choses doivent changer, c'est qu'il y a urgence.

Un an plus tard, M. Bouteflika a prononcé une petite phrase qui renforce ce sentiment que quelque chose va se passer. «Tab djenani», qu'on peut traduire par «la situation est mûre pour notre départ», ouvre la porte à d'importantes décisions. Qu'il l'ait voulu ou non, cette phrase a sonné le point de départ de l'opération qui doit mener à sa succession, et installé psychologiquement le pays tout entier dans une phase de transition.

Entretemps, il y a eu les élections législatives du 10 mai. Celles-ci n'ont pas donné lieu à un grand enthousiasme populaire, mais elles ont suscité un engouement au niveau des candidatures, et donc chez les prétendants au jeu politique. Jamais le pays n'a connu autant de prétendants, avec une moyenne de quarante listes de candidats par siège de député. Tout ce monde, élu ou non, attend que ses ambitions, désormais affichées, trouvent un débouché.

Le Premier ministre Ahmed Ouyahia a, lui aussi, créé le buzz, avec des déclarations qui exigent une suite. On attend en effet qu'il s'explique davantage. En affirmant que la mafia et les forces de l'argent ont pris le pouvoir dans le pays, il a clairement annoncé de nouveaux et grands évènements. Le pays attend de lui qu'il en dise un peu plus pour identifier ces forces mafieuses, et qu'il tire les conclusions de son aveu d'échec.

On attend aussi que quelque chose se passe au gouvernement. Le sentiment général qui domine est que M. Ouyahia est partant, mais partira-t-il effectivement ? S'il doit partir, ce sera quand ? Et qui le remplacera ? Et ces ministres devenus députés, seront-ils eux aussi remplacés, et par qui ? Et ces nouveaux arrivants, s'il y en a, mèneront quelle politique ?

Les partis se sont installés dans le même sentiment d'attente. Au FLN, qui n'arrive plus à échapper aux crises, malgré son succès aux législatives, un dénouement est attendu pour ce week-end. Au RND, Ahmed Ouyahia a réussi à contenir le vent de contestation, mais c'est le sort du RND tout entier qui est désormais en jeu. Si M. Ouyahia est éjecté du jeu politique, que vaudra son parti ?

Au MSP, les choses se passent plutôt en coulisses, mais les militants s'attendent à ce que Bouguerra Soltani traverse une période de tempête. Dans les partis nouvellement créés, on attend des signes du pouvoir pour poursuivre le chemin ou rendre le tablier: le ministère de l'Intérieur va-t-il donner un coup de pouce, au moins pour créer de l'enthousiasme autour des élections locales de l'automne prochain, ou bien est-il préférable de mettre la clé sous le paillasson comme l'envisagent les dirigeants de certaines formations ?

Et puis, derrière tout ça, il y a ce sentiment général d'un pays qui est à l'arrêt, et qui doit repartir, car plus rien ne fonctionne correctement. Ni parti, ni gouvernement, ni parlement, ni même Sonatrach, qui assure l'alimentation du pays. Signe de cette panne générale : un parti qui gagne les élections est supposé tout écraser sur son passage. Pas le FLN. Pas en Algérie. Le gouvernement, quant à lui, n'a plus d'existence réelle. Le conseil des ministres a disparu. Les ministres intérimaires donnent le sentiment de travail dans le cadre d'un contrat de pré-emploi.

Au plan régional, c'est aussi l'attente. La Libye s'enlise, la Tunisie subit les contrecoups de sa révolution, l'Egypte agonise, le Mali n'existe virtuellement plus, et on ne sait toujours pas si cette vague de contestation qui a déferlé sur le monde arabe finira par arriver en Algérie ou non.

Mais le plus terrible réside ailleurs. Pourquoi tout ce monde se contente d'attendre ? Parce qu'ils ont été tous éjectés du jeu. Aucun d'entre eux n'est un véritable acteur de son destin. Personne ne semble en mesure d'influer sur des évènements qui déterminent son avenir. Alors, chacun attend que ça se débloque?