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Hollande face à la crise européenne

par Pierre Morville

Si le nouveau président a réussi son entrée, il doit rapidement s’affronter à une crise européenne marquée depuis le début de la semaine par un très gros accès de faiblesse bancaire en Espagne.

La France est dans une campagne électorale perpétuelle. Il faut bien le dire, cela commence à être un peu fatiguant. La France est en campagne électorale depuis octobre 2011, période des «primaires» qui devaient désigner le champion des socialistes à l’élection présidentielle de juin. Depuis se succèdent d’innombrables débats dans les postes de télévision, dans les radios, les journaux, d’innombrables millions de tracts distribués sur les marchés, d’innombrables empaillages dans les partis, d’innombrables associations de la société civile, sommées de prendre parti.

Tout le monde l’a fait. Ce fut François Hollande, et ce fut un excellent choix. On peut passer à autre chose ? Non, car la mécanique, inventée lors d’une cohabitation entre un Président de droite, Jacques Chirac, et un Premier ministre de gauche, Lionel Jospin, ne s’arrête pas là : il faut, une fois que le peuple français ait choisi son président, qu’il lui donne, un mois plus tard, une Assemblée nationale qui lui soit favorable.

Purée ! Encore un mois de plus d’innombrables débats, contributions, algarades et tracts. Sur mode papier, radio, télés et Internet. Il faut montrer un sacrée résistance ou une furieuse appétence aux débats politiques en boucle. Mais c’est comme ça ! Et assez curieusement, les électeurs français n’ont pas encore atteint les signes manifestes d’une overdose politicienne.

LA GAUCHE PARLEMENTAIRE FRANÇAISE EN BONNE POSTURE

Toutefois, il faudra regarder avec beaucoup d’attention, le taux de participation aux élections législatives. Parions d’emblée qu’il sera inférieur à celui de l’élection présidentielle. Pour l’essentiel, la partie semble déjà jouée. Pour trois raisons :

- Qu’ils soient pro ou anti-Hollande, les électeurs français sont prêts à donner «sa chance» au nouveau président. L’ensemble des sondages réalisés ces derniers jours confirment le rejet des électeurs d’une nouvelle cohabitation. Bien plus, le parti présidentiel, le PS, devrait bénéficier d’un effet amplificateur de l’élection de François Hollande.

- Mieux, une fois cela acquit, les électeurs ne se font guère se faire d’illusions : la cure d’austérité est à venir et peu d’électeurs ne croient plus depuis belle lurette aux promesses électorales des uns ou des autres…

- Enfin, François Hollande, dans cette période intermittente, a bien réussi à engoncer son nouveau costume de président en à peine quelques jours…
Quelques exemples.

Le choix du gouvernement et des ministres ne souleva, même à droite, aucune polémique sérieuse. Nommer une nouvelle équipe n’est pas facile quand il faut renouveler l’ensemble des responsables après dix ans d’opposition et après que l’on ait affiché des règles contraignantes comme une stricte parité hommes-femmes.

Après, à chaque nouveau ministre de s’adapter à son nouveau poste. Pierre Moscovici est aux Finances ; on y aurait plutôt vu Michel Sapin, actuellement ministre du Travail. Mais Moscovici visait les Affaires étrangères… Et pour le coup, il valait mieux quelqu’un d’autre. Ce fut Laurent Fabius et on peut penser que là aussi cela sera à long terme une bonne chose.

Deuxième épreuve, la rencontre de la «jet-set internationale» : les Obama, Merckel, Poutine, le G8, G9, G20, la fine fleur de la Commission européenne.
C’est la montée des marches du Festival de Cannes, avec encore plus d’émotion, plus de caméras braquées, beaucoup, beaucoup plus de bling-bling et de pognon (collectif) en jeu.

Soyons clairs, François Hollande présenté par son ex concurrent comme un jeune apprenti maladroit de la politique internationale s’est remarquablement tiré de l’affaire.

LES ERREURS D’ANGELA MERKEL

Il a en effet réussi en quelques jours à isoler Angela Merckel, en Europe même. La Chancelière allemande, à la tête principale économie européenne avait réussi avec l’appui (insensé) de Nicolas Sarkozy, à imposer sous la forme de baroque d’un traité à signer, une cure d’austérité qui aurait définitivement éteint tous les feux de la croissance européenne pour plusieurs années. Cela rappelle la vieille pratique de la saignée pratiquée des siècles dans la médecine européenne. Le malade a des rhumatismes, la tuberculose ou la vérole ? Ce n’est pas grave. On fait couler son sang en abondance. S’il résiste, cela prouve que le remède a fonctionné. S’il meurt, on a au moins la satisfaction de le savoir défunt mais guéri.. Les responsables de la politique économique allemands sont un peu comme les médecins de Molière : ils ont de grands chapeaux mais ils sont rigoureusement incompétents.

Non pas qu’ils soient idiots : il est normal d’appeler un contrôle beaucoup plus strict des déficits budgétaires et commerciaux. Il est sain de réclamer de la vertu exemplaire pour renforcer la confiance de l’épargne populaire et attirer les capitaux internationaux. Mais la saignée tue le malade.

Au poste de commande, Mme Merckel a fait plusieurs erreurs. La première consista à ne pas prendre de décision : la crise grecque (3% du PIB européen) serait depuis longtemps réglée si les autorités européennes avaient pris quelques mesures simples, il y a deux ans. Faute d’un refinancement immédiat, les 15 participants de la tribu zone euro ont depuis des mois, avoué leur incapacité à résoudre d’eux-mêmes le problème familial, alimentant la rumeur générale («il y a d’autres membres de la famille qui sont eux aussi touchés, je ne vous dirais pas les noms, mais bon, quand même, l’Espagne, le Portugal, l’Italie, l’Irlande… On ne va quand même pas payer pour toute monde ! ». Le tout sur un fond de spéculation effrénée sur la pseudo-dette européenne.

Arrêtons-nous un instant, comme tout touriste qui innocemment découvre les chutes du Niagara et citons une consœur du Monde, Anne Michel « En vérité, les états européens dont les finances publiques sont sous tension et doivent être redressés pour faire repartir l’économie, redoutent d’être à nouveau sollicités pour sauver les banques. La crise de 2008 (la crise des subprimes, ces crédits immobiliers à risques américains) qui s’est muée en crise des dettes publiques, Va-t-elle à nouveau se trouver en crise bancaire ?

Ce cercle vicieux qui voit les problèmes des banques contaminer les finances des Etats, puis par un effet violent de boomerang, les problèmes des états contaminer les finances bancaires, fait frémir les dirigeants politiques» (6/06/2012).

Dans ce genre d’imbroglio, il faut choisir très volontairement une sortie pour ne pas laisser prise à l’irrationalité chronique des marchés financiers internationaux dont le moteur de base n’est pas l’investissement à long terme mais la spéculation immédiate.

Tout est affaire d’affichage et de volonté : on peut ne pas trop croire au cap optimiste proposé par François Hollande aux responsables européens (mutualisation de la dette, relance par des fonds communs d’épargne ou d’investissements, «eurobonds»),cette orientation reste plus crédible que le programme d’Angela Merckel qui promet «du sang et des larmes», un vaste plan d’austérité radicale à tous les peuples d’Europe du Sud, qui par marches successives, s’appliquera à tous les peuples d’Europe du Nord. L’absence durable de croissance chez les uns et chez les autres, interdisant toute possibilité de régler les déficits budgétaires et commerciaux et même renforçant ceux-ci.

La seconde difficulté de Mme Merckel est qu’elle elle-même dans des contraintes électorales difficiles. Le pouvoir exécutif allemand repose sur une articulation d’élections nationales et d’élections régionales. Or, Angela Merckel perd depuis plusieurs mois tous ses bastions régionaux dans les «Landers». Son autorité politique interne est donc chaque mois, affaiblie. Ce qui lui rend d’autant plus difficile de prendre la décision quelques mesures de bon sens mais impopulaire chez elle, alors que croît dans la presse populiste allemande, une campagne appelant les contribuables allemands à ne pas dépenser leurs précieuses économies pour financer la paresse des «bronzés» de l’Europe du Sud.

Angela Merckel est donc devenue l’otage de son propre calendrier électoral, les élections fédérales ayant lieu seulement à l’automne 2013. Sera-t-elle tentée de précipiter les échéances ?

La troisième faute de Mme Merckel fut de prendre, avec la complicité (active/passive ?)de Nicolas Sarkozy, un leadership absolu sur l’Union européenne. Lors des innombrables sommets de l’UE qui se sont succédés depuis deux ans, la seule position allemande fut : «on ne paiera pas pour vous, à vous de faire des économies». Ce programme de rigueur extrême fut appliqué par de nombreux gouvernements du sud de l’Europe, souvent de droite, avec les sacrifices sociaux que cela accompagnait. Le résultat n’est pas probant.

Elue, il y a quelques mois en Espagne, une nouvelle majorité de droite n’avait pas hésité à sabrer dur dans les dépenses sociales, imposant une cure d’austérité sans précédent au pays. L’Espagne a reconnu hier, par la voix de Marianno Rajoy, qui dirige le nouvel exécutif, qu’elle ne pouvait plus se financer dans les conditions qui sont les siennes sur le marché obligataire. «L’Europe doit dire où elle va, pour se donner de l’unité, elle doit dire que l’euro est un projet irréversible, qui n’est pas en péril, elle doit soutenir les pays en difficulté», a déclaré le chef du gouvernement espagnol qui réclame un mécanisme pour recapitaliser les banques, rejetant, pour l’instant une aide extérieure pour le pays lui-même.

L’Espagne est la 4ème puissance économique de la zone européenne. La Grèce, le Portugal et l’Irlande qui ont déjà fait l’objet de «plans de sauvetages» européens ne représentent à eux trois que 6% du PIB de l’Europe des 27.

Il y a le feu à la maison !

A SON TOUR, CHYPRE APPELLE «AU SECOURS !»

Allez ! Parlons encore un petit peu d’Europe. Chypre assumera pour la première fois la Présidence du Conseil de l’Union Européenne, au second semestre 2012.Sur un site institutionnel, l’actuel président de la république Chypre, Demetris Christofias, avait donné de nobles assurances :

«L’un de nos objectifs principaux, en tant que pays - président, est de contribuer, au mieux de nos possibilités, aux efforts de l’Union Européenne de fonctionner, par le biais de ses politiques, comme une force génératrice de progrès, de paix, de stabilité et de prospérité sur la scène internationale. (…) La récente crise économique mondiale enseigne à nous tous, qu’une vigilance continue, une surveillance systématique et une protection des économies vulnérables, en particulier en ce qui concerne les intérêts des citoyens européens, sont exigées. Notre souci principal doit être le citoyen européen, qu’il soit autochtone ou immigré.»

Hélas, hélas, il y deux jours, Chypre appelait lui aussi «au secours !».    
   
Le gouvernement chypriote a reconnu mardi qu’il existait «une possibilité sérieuse» que Chypre ait besoin d’un soutien financier de l’Union européenne pour son système bancaire, très exposé à la crise grecque. Complication supplémentaire, Chypre est une petite île située au sud de la Grèce, en face de la Syrie et du Liban en dessous de la Turquie.

Chypre est divisée en une partie grecque et une partie turque depuis que les troupes turques ont occupé en 1974 un tiers de l’île, en réaction à un coup d’État visant au ralliement de Chypre à la Grèce. La République de Chypre n’est pas reconnue par la Turquie, qui est en revanche le seul pays à reconnaître la République turque de Chypre du Nord (RTCN). Les négociations entre Chypriotes-grecs et Chypriotes-turcs, relancées en 2008 sous l’égide de l’ONU, sont dans l’impasse

Demetris Christofias a dénoncé lundi à Vienne «l’attitude inacceptable» de la Turquie voisine, qui refuse de reconnaître la République de Chypre alors que Nicosie s’apprête à assumer au 1er juillet la présidence semestrielle tournante de l’Union européenne, prenant la relève du Danemark. Le président chypriote espère qu’Ankara tiendra ses engagements envers l’UE, alors que la Turquie, qui tente d’adhérer à l’Union, a menacé de remettre en question ses relations avec les 27 lors de la présidence chypriote.

Chypre est également pour de nombreux connaisseurs l’arrière -salle bancaire du Liban et d’autres pays du Proche-Orient méditerranéen.

L’ensemble régional étant dominé actuellement par l’actuelle guerre civile syrienne.