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Le début de «la révolte des masses» en Occident

par Michel Fourriques*

La crise la plus profonde depuis 1929 génère un chômage de masse (y compris pour des fonctionnaires), des pertes de salaires et de pensions, notamment en Grèce et en Espagne. Dans ce dernier pays, le taux de chômage des jeunes avoisine les 50 %, comme de l'autre côté de la Méditerranée.

Déjà en 1752, le philosophe David Hume, dans son Essai sur le crédit public, s'inquiétait de la transformation des dettes nationales en une «espèce de monnaie spéculative». Le marché est fondé pour Hume sur le commerce des fictions et des promesses. Dès lors que le garant de ce commerce, l'Etat, devient lui-même «une espèce de monnaie», nous risquons, selon ce dernier, d'être dévorés par les fictions que nous avons engendrées. La fiction, au sens, de Hume est à notre porte.

Nous avons oublié, comme nous le rappelle Karl Polanyi dans la «subsistance de l'homme» (parue aux Etats-Unis en 1977), que l'économie, dans son acception première, est au service des hommes et non l'inverse. Il parle de l'économie «substantielle», celle qui est destinée à fournir aux hommes les moyens de leur subsistance. Nous avons adopté une conception utilitariste de l'économie avec la toute puissance du marché, ce qui a «perverti de façon désastreuse la vision que l'homme occidental avait de lui-même et de sa société». Nous sommes dans l'ère de l'économisme, au mauvais sens du terme.

Déjà dans «La grande transformation» (publié en 1944), consacré à la naissance et au développement de l'économie de Marché, ainsi qu'à ses conséquences sociales et politiques, Polanyi montrait comment la transformation en marchandises de biens, comme le travail, la terre et la monnaie, qui n'étaient pas jusque-là destinés à être échangés, avait progressivement entraîné, à partir du XVIIIème siècle, la soumission de la société toute entière aux mécanismes du marché.

Il analysait les effets déstabilisateurs de cette «grande transformation», jusqu ?à ses ultimes conséquences : la crise de 1929 et les guerres du XX siècle, sans oublier les totalitarismes et les fascismes.

La crise économique que nous vivons en Europe va-t-elle s'arrêter ou se propager au monde entier, voir se transformer en guerre.

En effet, en Europe, la question est de savoir si la nécessaire rigueur budgétaire va générer la décroissance et donc conduire à une explosion sociale de masse, voir à un processus révolutionnaire dont le désespoir serait le moteur. Les gens ont besoin d'espoir, de se projeter dans un monde meilleur et non pas sur de longues années de crises et de récessions économiques dont ils ne s'estiment pas, à juste titre, responsables. «Une civilisation se juge par sa capacité à inspirer de l'espoir à sa jeunesse»

La colère citoyenne s'est propagée en Italie, en Israël, au Royaume-Uni et aux Etats-Unis. La révolte gronde.

Pour l'instant, ce sont surtout les «indignés» qui portent un message de colère universel. Ils dénoncent une crise «injuste» : «Nous ne paierons pas votre crise». C'est le 15 mai 2011, à Madrid, qu'une poignée de jeunes espagnols, convaincus de l'injustice, voire de l'inefficacité, des politiques de rigueur a décidé de crier et de propager sa révolte : «Nous ne sommes pas des marchandises aux mains des politiciens et des banquiers», accusant les marchés financiers de la montée des inégalités.

Deux économistes de l'université Pompeu Fabra de barcelone, Jacopo Ponticelli et Hans-Joachim Voth, ont examiné ce qui s'est passé lors des épisodes de rigueur budgétaire dans 26 pays d'Europe pendant près d'un siècle (Austerity and Anarchy : Budget Cuts and Social Unrest in Europe, 1929-2009, Discussion Paper, n° 8513, CEPR, août 2011).

Selon ces derniers, quand la dépense publique baisse de 1 %, la probabilité de voir des troubles sociaux éclater (grève générale, manifestations antigouvernementale, émeutes, assassinats politiques) est un tiers plus élevée qu'en temps d'expansion budgétaire. Quand la baisse atteint 5 %, cette probabilité double.

la mondialisation doit se faire, aussi, au service de l'homme ; ce qui n'est plus le cas, même dans les plus grandes démocraties où le déficit démocratique est mis en exergue par les «indignés». la démocratie occidentale est en danger.

Dans «Le Grand basculement, la question sociale à l'échelle mondiale» (J.-M. Severino et O. Ray, éd. Odile Jacob), les auteurs expliquent la montée des mouvements de contestation par «l'impuissance des dirigeants politiques en place (?) à faire face au double mouvement d'accroissement des inégalités et d'émergence du chômage de masse».

 «L'ère de l'homme jetable» est arrivée, mais cette évolution ne sera pas sans de graves conséquences en occident.

*Enseignant

Sciences PoAix (France)

Professeur à l'ESAA (Algérie)