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ALGERIE-FRANCE : NOUVEAUX GOUVERNEMENTS, NOUVEAUX RAPPORTS ?

par Abdelkader Leklek

Amour répulsion, depuis cinquante ans. Et durant, un jour raison et l’autre passion. Relations et rapports agités, parfois tempétueux, heureusement jamais jusqu’à l’orage. C’est là la manifestation des annales de deux histoires douloureuses qui n’arrêtent pas de s’interpénétrer, de s’interpeller et de se questionner.

C’est le souvenir de deux géographies que des hommes venus du Nord, avaient violemment tripotées. Mais le plus pesant demeure, le poids des séquelles d’une colonisation de peuplement, commencée par une sournoise invasion, indue puisque injustifiée. Qui s’achèvera, au prix fort, par une victorieuse guerre de libération. Entre les deux phases, il y eut des malheurs humains, des bouleversements, des calamités, et beaucoup de cruauté. Des désastres et autant de catastrophes. Il y eut également des rencontres, des amitiés, et des amours. Comme il y eut des déchirements et des meurtrissures, parfois jusqu’à la démotivation et de la démobilisation face à l’autre, à l’être humain. De cette relation sont nées, et avaient jailli de nombreuses interrogations. Elles attendent à bon droit des réponses. Viendraient-elles de la venue aux commandes du pouvoir en France, d’une nouvelle génération de socialistes ? L’histoire est là et ses souvenirs toujours abrasifs, creusent encore et corrodent un mémoriel ne s’assumant pas encore, parce que jeune, récent et encore saignant. Le 19 mars 1956, un homme promis à une grande destinée politique, François Mitterrand se défaussait de ses pouvoirs républicains de ministre d’Etat, garde des sceaux et ministre de la justice, au profit d’une justice militaire d’exception, dont les récipiendaires commettaient des crimes de sang, la nuit et disait leur justice le jour, en Algérie occupée. Ces derniers s’étaient déliés de tous les contrôles institutionnels républicains. Ce ministre de la justice était socialiste.
François Malye et Benjamin Stora, dans leur livre :« François Mitterrand et la guerre d’Algérie», aux éditions, Calmann-Lévy 2012, révèlent que durant le magistère de Mitterrand au ministère de la justice, 253 condamnations à mort avaient été prononcées contre des nationalistes algériens, dont 163 par contumace.

Il y eut 45 décapitations par guillotine, en 500 jours,dont le supplice de Ahmed Zahana, dit Zabana le 19 juin 1956,et celui de Fernand Yveton, militant anti-colonialiste, le 11 février 1957,parmi les décapités. Tous les dossiers étaient préparés à la chancellerie, et le ministre de la justice, donnait un avis de poids, disent les deux auteurs. Lors d’une réunion au sommet de l’Etat français pour examiner les cas de condamnés à mort, Mayle et Stora rapportent que :«Les peines de 55 d’entre eux, insiste Max Lejeune, secrétaire d’État aux Forces armées du gouvernement Guy Mollet, du 1er février 1956 au 13 juin 1957, ont été confirmées par le tribunal de cassation d’Alger. Des sentences doivent être exécutées», conclut-il d’une voix ferme. Sous cette phrase, les avis des ministres concernés tiennent en un mot. Gaston Defferre, ministre de la France d’outre-mer est contre, Pierre Mendès France, contre également.

Alain Savary, secrétaire d’État aux affaires étrangères chargé de la Tunisie et du Maroc, contre. Maurice Bourgès-Maunoury, Ministre de la Défense nationale du gouvernement Guy Mollet, du 1er février 1956 au 13 juin 1957, est pour. Le dernier à se prononcer est François Mitterrand, il se prononce «Pour», confirment les auteurs. Il était socialiste, mais cela ne l’avait pas gêné d’être, le récipiendaire n° 2202, de l’ordre de la Francisque gallique, la décoration honorifique qui fut attribuée par le régime de Vichy, en tant que marque spéciale d’estime du maréchal Pétain.

Mon évocation du premier socialiste à occuper la présidence de la République sous la Ve République, du 21 mai 1981 au 17 mai 1995, n’a de raison, que la comparaison. Nous n’évoquons les morts que pour le témoignage, jamais pour les calomnier ou les ternir. Rapporter un vécu, n’est pas récusation de la vérité, ni inconvenance envers autrui.

 Heureusement les hommes et les idéologies évoluent et changent. Et je rapporterais ici, un exemple probant de ces changements et de ces progressions. Lors de son investiture, dès le 15 mai 2012,le nouveau président de la république française, François Hollande, avait rendu hommage à une autre grande figure française, Jules Ferry, réputé républicain modéré, mais également farouche défenseur du colonialisme et de la colonisation. Député à l’Assemblée nationale, il prononça en 1885 un discours, dans lequel il affirmait que : « Il faut dire ouvertement que les races supérieures ont un droit vis-à-vis des races inférieures». Néanmoins le nouveau président français en ce premier jour de son mandat, déclara devant le monument du jardin des Tuileries, érigé à la gloire de l’œuvre scolaire de Jules Ferry: «Je n’ignore rien de ses égarements politiques. Sa défense de la colonisation fut une faute morale et politique. Elle doit à ce titre être condamnée». Et il Ajoutait : «C’est donc empreint de cette lucidité indispensable que je suis venu saluer le législateur Ferry qui conçut l’école publique, le bâtisseur de cette maison commune qu’est l’école de la République». Il faut dire que l’éducation figure en place nodale dans le programme de campagne du nouveau président, et qu’elle constitue, l’un des défis de son quinquennat. Cette distinction faite par président français, séparant, l’homme de son œuvre, ou bien expliquant des césures dans le parcours d’un leader politique, peut avoir plusieurs significations. Mais elle peut aussi être porteuse d’une nouvelle grille de lecture de la période coloniale française.

Cela peut être un choix volontairement assumé pour remémorer et se représenter autrement cette page, peu glorieuse, parce que sanguinaire et inhumaine, de l’histoire de France. Une page au sujet de laquelle, il reste encore des gestes forts à faire, en direction de tous les peuples que la France avaient colonisés, et au premier chef, envers le peuple algérien. Ce contentieux historique et tellement lourd, que je ne peux l’évoquer que liminairement, en rappelant que l’assemblée nationale française à majorité de droite, avait le 23/02/2005, voté une loi dont l’article 4 glorifiait et soulignait le rôle positif de la colonisation française dans le monde. Et pour montrer que les vieux démons demeurent présents dans l’imaginaire de certains, outre méditerranée. En ce 15 mai, François Hollande, a-t-il voulu donner un signe, qu’il était décidé à engager son pays à se libérer intelligemment du poids de cette page tragique de son passé. Attendons voir.

Il est par ailleurs significatif, que Monsieur le président Abdelaziz Bouteflika avait, dès dimanche 6 mai 2012, en fin de soirée, c’est-à-dire le jour de l’élection présidentielle française, félicité François Hollande. Comme lors de son discours prononcé le 08 mai 2012 pour commémorer les massacres de Sétif et ailleurs en Algérie, Bouteflika s’engageait, évoquant, une vision prospective à construire des relations d’amitié et de coopération fructueuses avec les différents pays du monde, à leur tête l’État français. Des relations fondées sur les intérêts communs, concluait-il.

 C’était un rappel révélant les échecs du gouvernement de droite sortant sur ce dossier, et sûrement, une invitation au nouveau président français de rafraîchir les méandres de cette histoire commune, pour une fois pour toute courageusement, l’assumer. Car la frustration est subie des deux cotés de la méditerranée, notamment pour les jeunes générations qui viennent au pouvoir en France. Et en Algérie, pour celles auxquelles, le président avait, à partir de Sétif, lancé : « jily tab jnanou» et «ach man araf kadrou». Les conséquences logiques des élections législatives du 10 mai 2012, en Algérie, seraient l’avènement d’une nouvelle majorité à la tête de l’exécutif, et à fortiori, d’une nouvelle génération aux postes ministériels. La constitution algérienne est muette sur la dévolution de l’initiative de former le gouvernement, et sur les relations entre la majorité aux élections législatives et son corollaire le droit de former un gouvernement. Cependant depuis la révision constitutionnelle du 15 novembre 2008, il est précisé à l’article 77, de la loi fondamentale du pays, que : le président de la république, nomme le Premier ministre, qui n’est plus depuis, chef du gouvernement. Et qu’également, le président la république, nomme les membres du gouvernement après consultation du Premier ministre, ce qu’énonce l’article 79 de constitution révisée en le 15 novembre 2008.

Ce qui ne saurait en principe tarder. En France, pour porter le programme présidentiel, y compris en sa partie annonciatrice de relations plus apaisées entre Alger et Paris, notamment pour ce qui concerne la période colonialiste de la France. Il s’agira de définir un modus operandi, pour approcher cette phase de l’histoire commune, où toutes les passions seront désexcitées, et toutes les démarches pour procéder, mesurées. Les membres du nouveau gouvernement français désignés pour ce faire, disposent de plusieurs attributs et partagent ensemble beaucoup de caractéristiques communes. Sur les 34 ministres, 29 n’ont jamais occupé un poste ministériel, à commencer par le président de la république lui-même.     

Ce gouvernement est paritaire, c’est-à-dire, qu’il comporte autant de femmes que d’hommes. Bien sûr que cette parité est acerbement critiquée par l’opposition. Certains insistent l’effet de casting, d’autres parlent d’alibi, de couverture, puisque aucune femme n’avait été nommée à un portefeuille de souveraineté ou régalien, comme on dit. Et les derniers évoquent une politique de clan socialiste, puisqu’il n’y a pas eu d’ouverture vers d’autres courants. Et pour argumenter cette façon de faire, ils font appel à un proverbe bien français qui dit : quand c’est flou, c’est qu’il y a un loup. Sept de ces ministres sont trentenaires. Ils sont universitaires dans leur majorité, ce qui lézarde, ébrèche et enfin casse une pratique qui fut longtemps hégémonique sur les postes gouvernementaux en France, et la chasse gardée des diplômés de l’ENA et leur énarchie prépotente. Comme également, ceux ayant fait Haute Ecole de Commerce, ou bien, fréquenté l’Institut des Etudes Politiques de Paris, dit Sciences Po. Toutes ces écoles ont en commun un processus de recrutement très sélectif, et bien sur socialement très exclusif. L’un des nouveaux ministres français est né en 1962, et il est diplômé de l’université, comme beaucoup de jeunes algériens nés avec l’indépendance du pays. Ils ont 50 ans, ils sont diplomés des universités algériennes et eux aussi aspirent à devenir ministres. Il s’agit du nouveau ministre de l’intérieur, monsieur Manuel Valls. J’évoque, pour exemplifier, ce ministre parce qu’il a été chargé d’un portefeuille régalien, et d’une essentielle importance. Il est désormais missionné pour assurer la sécurité des français. Au cours de la passation de pouvoirs avec son prédécesseur, monsieur Claude Guéant, auteur de sa célèbre formule : «Toutes les civilisations, toutes les pratiques, toutes les cultures, au regard de nos principes républicains, ne se valent pas». Comme son chef avant lui, monsieur Nicolas Sarkozy, qui avait dans son fameux discours prononcé le 26 juillet 2007, à l’université de Dakar, qui porte le nom d’un des plus grand, sinon le plus grand historien africain contemporain, Cheikh Anta Diop, dit que :« l’homme africain n’est pas assez entré dans l’Histoire». Donc à cette occasion monsieur Valls, avait dans une passe d’armes, répondu à ce courant de pensée, qui est capable de telles inepties, de la façon qui sied. Il avait, les yeux dans les yeux, garanti et affirmé, en direction du ministre de l’intérieur sortant ceci : «Il n’y’aura ni angélisme, ni course aux chiffres, ni stigmatisation de communautés ou d’une catégorie par rapport à une autre». Et il lui asséna aussi cette vérité : Notre pays a besoin de tempérance et de mesure. C’est là résumé tout le contraire de ce qui était alors en usage, en matière de regard porté sur l’autre, par les tenants du courant français extremement droitisé, conformiste, minimaliste et condescendant en direction de toutes les autres civilisations, toutes les autres cultures et tout ce qui était différent de leur conception de la diversité humaine. Alors que la pluralité est enrichissante, quand on sait lui faire bon accueil. Un ministre de l’intérieur de France, né à Barcelone et tenant pareil discours, ne peut, à priori, être réfractaire à approcher l’histoire de son pays, même dans son volet colonial avec les mêmes référentiels que ses prédécesseurs, farouchement gaulois et outrageusement franchouillards, moulés dans un ensemble d’empreintes, hautain et méprisant. Ils sont dédaigneux, de tout ce qui ne se rapporte pas à leur propre cadre de références et à leur propre système de valeurs. Mais laissons du temps au temps. Avec la France, nous avons des questions urgentes à traiter et d’autres qui auront leur temps de règlement. Il subsiste toujours pendant, à titre d’exemple, le règlement des conséquences humaines induites par les essais nucléaires français dans le Sahara algérien. Nous continuons à réclamer que nous soient restituées les quelques 200 000 boites d’archives renfermant les documents relatifs aux périodes, précoloniale et coloniale, transférées en France entre 1961 et 1962.

Le problème de la circulation des personnes demeure posé, et fait partie de la catégorie des dossiers qui fâchent, entre les deux parties. Pour tous ces problèmes chauds, et également pour toutes les questions à traiter la tête froide, il faut des partenaires qui soient en phase, en accord et en harmonie sur un minimum commun d’égalités, et de similitudes. Et cela concerne tout ce qui fait un homme ou une femme en charge de négociations, d’échanges et de concertations. Il s’agira de bien et de mieux se comprendre dès à présents.

 Le prochain gouvernement algérien pourrait, car à priori et sans préjuger, ni devancer les faits, saisir une occasion de faire comprendre au nouveau président français et à son nouveau gouvernement, qu’il est possible et pour tous salutaire, d’approcher autrement les rapports entre nos deux pays. Paisiblement, en bonne intelligence, sans ego exacerbés, sans émotionnel à fleur de peau, ni d’affect en pathos.   
 
La passion devrait désormais laisser place à la raison, après tant d’années d’amour répulsion. L’Algérie regorge de compétences jeunes et dévouées à la patrie, à même de réussir ce délicat challenge, car encore douloureux, avec leurs vis-à-vis françaises. Mais faudrait-il encore les commissionner pour cela, en leur confiant des portefeuilles ministériels ? L’avenir nous renseignera sur cela, et sur d’autres choses, aussi déterminantes pour le pays, à commencer par les actions engagées, pour la réalisation du programme présidentiel annoncé le 15 avril 2011, particulièrement en faveur des jeunes.