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Monsieur le Président, nous sommes allés voter

par Abdelkader Leklek

Oui, monsieur le Président, nous avons voté à 42,36 %, et nous fûmes 9.178.056, hommes et femmes, d'ici et d'outre mer à le faire. Et au bout il n'y a pas eu le boycottage tant promis, par les uns et par les autres. Effectivement monsieur le président, mais j'allais continuer pour vous dire, et après ?

Sauf que le propos ici a trait à votre discours de Sétif, du 08 mai 2012, considéré par tous comme marquant. Et cela pour diverses raisons, dont deux méritent d'être évoquées. Le discours en lui-même, d'une part, et de l'autre la façon de le dire, et de le déclamer. Poignant fut ce discours, pour le qualifier au premier degré. Bousculant et remuant, somme toute, inhabituel. Votre discours fut atypique. Sans faire table du passé et de tous les discours, qui y avaient été formulés et énoncés alors. Celui-ci en a pris, d'une façon nette, monsieur le président ses distances. Et là nous fumes quasiment tous d'accord avec vous. Pourquoi ? Monsieur dans votre intervention il y avait une forte exhalaison de sincérité, des effluves de loyauté, des bouquets et des fragrances embaumant l'authenticité d'une paix intérieure retrouvée, après un cheminement qui aurait duré toute une vie. Cette tranche de vie apaisée est aussi celle qui sied aux hommes de marquer leur histoire. Le but de cette chronique, n'est pas de procéder à une critique littéraire, analytique ou existentielle du discours. Ce serait de ma part réducteur pour votre personne. Pareillement, ce n'est pas parce que, j'ai moins de respect pour mes aînés, ceux de votre génération, que je commets cette chronique, monsieur le président. Mais je suis passionnément amoureux de mon pays, l'Algérie. Comme l'est la majorité des algériens de toutes les générations. Shakespeare, dans sa pièce, Jules César, fait dire ceci à Brutus : « je n'aimais pas César moins, j'aimais Rome davantage».

Ma génération ne saurait être parricide. La liaison avec Brutus, même ayant été travaillée, des siècles durant, jusqu'au mythe, n'est là que pour prouver que nous ne sommes pas les premiers dans ce cas de figure de gouvernance, mais pas non plus, les derniers. Après vous avoir vu à la télé discourir, à partir de Sétif, j'étais quasiment sûr de tenir le lendemain, la preuve écrite entre les mains de votre grande et importante déclaration. Monsieur le président, une sagesse populaire élaborée par beaucoup de groupes sociaux, où l'oralité domine, dit : « si la parole est libre, la plume est serve ». Monsieur le président, j'ai beau cherché dans le texte publié par Algérie presse service, mais, point de : jily tab djananou. Cette sentence que la presse s'était évertuée de traduire par : « ma génération est finie. Les fruits du verger de ma génération sont murs ». Explicitement traduit, cela veut dire, qu'il est temps de cueillir ces fruits, et de passer à autre chose. A d'autres cultures, à d'autres espèces et à d'autres variétés, différentes de celles, pratiquées jusqu'à présent, depuis 1962. En clair monsieur le président, vous demandiez à ceux de votre génération de partir, après de bons et loyaux services, et de laisser la place aux jeunes. Mais qu'elle est la tranche de jeunes, visée ? Car ceux qui sont nés en 1962, sont quinquagénaires, c'est-à-dire en âge d'être hauts responsables dans les organigrammes des centres de décisions de l'Etat, les plus importants. C'est naturel, regardons à titre probant, notre histoire, et monsieur le président permettez-moi, d'oser cette question. Quel âge aviez-vous en 1954, et tous ceux de votre génération, pour être les responsables, les dirigeants et les leaders, d'une révolution, qui a pu mettre fin, à la forme de colonisation, la plus violente, la plus agressive, la plus déstructurante socialement, puisque d'essence exterminatrice et la plus génocidaire : la colonisation de peuplement ? Je comprends qu'en l'occurrence, l'âge fut un élément important, mais qui ne pouvait à lui seul être déterminant. C'est sûr, qu'il y avait la conjoncture, les nécessités et les données du moment présent. A commencer par ces jeunes que vous étiez à maîtriser la langue, les formes et les référentiels, de la civilisation qui avait formulé les idées fondamentales de la déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789. Vous aviez pour certains accès aux idées développées par la révolution d'octobre 1917.

Comme vous aviez tous, pris connaissance et conscience des acquis de paix, de développement, de droits sociaux et d'autodétermination, imposés par les massacres des deux guerres mondiales, auxquelles des Algériens avaient héroïquement participé, pour libérer l'Europe des tentacules de la bête immonde. Mais, vous aviez aussi pénétré les concepts et les opinions de la Nahdha dont le pourvoyeur furent l'orient musulman et arabe. Enfin, vous étiez les dépositaires de toute la trame du mouvement national algérien. Mais également, regardons, ce qui se fait, autour de nous. Monsieur le président, votre circonstanciel discours, avait été circonstancié, dans le sens minutieux. Il n'avait omis, ni de rendre hommage à la victoire de l'ESS en coupe d'Algérie, ni de reconnaître la malchance, mais aussi de féliciter le CRB, pour sa performance de qualité et son jeu élégant. Bien sûr, que la principale partie fut consacrée, au carnage et à la tuerie perpétrés par l'armée et la police colonialistes, et aussi par les colons expropriateurs de l'Algérie. Sur des citoyens,hommes et femmes, jeunes et vieux, les mains nues, sortis comme tous les peuples libres du monde, pour fêter la victoire sur le nazisme, et qui furent lâchement assassinés, de la manière la plus abjecte, froidement. Cependant loin du plus petit soupçon de haine. Votre discours évoquait, une vision prospective, disiez-vous, à construire des relations d'amitié et de coopération fructueuses avec les différents pays du monde, à leur tête l'État français. Des relations fondées sur les intérêts communs. De façon à faire de la méditerranée un espace de paix et de bien commun entre les peuples de la région et de son aspiration à un ordre international plus équitable, plus solidaire et plus tolérant. Forcément, il fut question de cette période que vit l'Algérie, que vous aviez qualifiée de décisive. Il s'agissait évidemment des élections législatives du 10 mai 2012,qui seront, aviez-vous assuré, exceptionnelles au regard de nombreuses garanties qui ont été mises en place- nous étions, le 08 mai-, elles serons propres et transparentes à la hauteur des attentes de notre peuple. Mon souhait, énonciez-vous, et que le peuple algérien réponde à l'appel, comme il nous a habitué à le faire dans les rendez-vous importants. Et pour concrétiser ces garanties, vous affirmiez :« nous nous devrons d'œuvrer à réunir les conditions propices pour permettre aux Algériens d'assumer pleinement leur citoyenneté, de jouir de leurs droits, d'accomplir leurs devoirs et de contribuer à insuffler une forte dynamique au processus politique, économique et socioculturel du pays ». Monsieur le président, j'ai aussi compulsé, exploré et fouillé, la traduction française, du texte de votre discours, infructueusement, à la recherche de la deuxième plus saillante déclaration faite à sétif. Elle était ainsi formulée :« mon appartenance politique est claire et connue, elle ne souffre d'aucune tache ». Pour le chroniqueur, avec le fameux« jily tab jnanou », c'est cela qui prédominé, et qui avait été bien reçu par le peuple. La conséquence, s'était traduite dans les urnes le 10 mai 2012. A ce sujet, on pourrait rétorquer, qu'avec un taux de participation de 42,36 %, on ne peut qualifier de légitime, la nouvelle assemblée élue. Mais alors, qui avait empêché les 57,64 %, des citoyens inscrits sur les listes électorales, et qui se sont abstenus d'aller voter, comme ils l'auraient voulu.

Les règles de la démocratie, aussi bancales soient-elles et que demeurent éternellement perfectibles, acceptent pareillement l'abstention, mais elles proposent également aux mécontents, aux pas d'accord de s'exprimer par un vote blanc. Il ne s'agit pas d'être réfracteur à tout, et observer une passivité, voire une inertie politique, et accuser les autres d'organiser des élections pas propres. Donc cette légitimité de la future Assemblée Populaire Nationale, fut consacrée par les votes d'algériennes et d'algériens, aussi peu en nombre, soient-ils, selon ses détracteurs, qui ne sont pas allés voter.

L'abstention même normée comme outil démocratique est contre-productive, pour asseoir, précisément la démocratie, ses institutions, ses comportements et tous ses espaces de vie, en consensus démocratique. Quand l'abstention est sollicitée et utilisée, comme prétexte, immodérément, jusqu'au dévergondage voire à l'égarement, elle pervertit la démocratie. Ensuite, parce qu'au lieu d'être acteur, on se contente par cette attitude de subir, et s'essayer les lendemains d'élections, à des commentaires rabâchés, du genre : Il n' y aura aucun changement. On reprend les mêmes et on recommence. C'est le statut quo, etc... Mais, statut quo, par rapport à quoi ? Celui qui ne joue pas, n'a pas qualité à se sentir gagnant, ou bien perdant, moins encore à commenter le match. Puisqu'il a fait librement le choix de ne pas être concerné. Et là je voudrai rapporter une blague, néanmoins, peut-être, plus raisonnable, plus avisée et plus sensée, que badine, distractive et amusante.

Il y avait un homme, se faisant appeler, Hama el Fahem, qui dit-on, chaque matin implorait Dieu pour gagner au loto. Et voyant que son vœu ne s'exhaussait pas, il se mit en colère. Alors dieu, l'interpelle calmement, en lui disant : hé, Hama, joue d'abord. Moralité : on a que ce que l'on mérite. On ne peut pas rester assis à faire des commentaires, encore et toujours plus, ou même pondre des chroniques derrière son pupitre ou son écran, et d'autorité déclarer, et certifier péremptoirement, que rien ne change. Le FLN a raflé 220 sièges et obtient automatiquement une majorité relative à la prochaine législature parlementaire. Oui, mais quels en ont été les ressorts et les leviers qui avaient permis cette grande victoire électorale, que d'aucuns n'avaient prévue. Et que même dans sa certitude, le courant islamiste,qui avait tellement cru,en la déroute de l'ancien parti unique, avait, dit-on commencé des tractations pour prendre la place au sommet de l'exécutif. Finalement les vents du printemps arabe, qui en ces années 2011 et 2012, avait eu lieu en hiver, sauf en Algérie où il avait respecté le calendrier, n'avaient pas provoqué la houle et ramené sa verte vague aux commandes du pays. Pour mesurer la victoire du FLN, il faut du temps et du recul, pour plus de visibilité. Cependant, il n'aura échappé à personne, que le discours présidentiel de Sétif, du 08 mai 2012, avait boosté un électorat qui est demeuré de longues années indécis. Par souvent désabusé et trompé, cet électorat attendait que l'on soit sincère en sa direction. Un parti, ce n'est pas uniquement un sigle et des slogans. Ce sont des programmes, des réponses aux attentes citoyennes multiples et multiformes, mais c'est sûrement et surtout, une ressource humaine compétente, c'est-à-dire, sachant faire quelque chose convenablement. Des femmes et des hommes, qui croient en la personne humaine, pour accepter d'être là, et être à son service, bien sûr dans des conditions bien encadrées, par les lois de la république produites par un organe législatif pénétré de l'intérêt général et des intérêts supérieurs du pays. Quand on choisit d'être élu, on s'engage à servir ses concitoyens et servir sa patrie. Sinon,en démocratie, on a également le droit d'opter pour d'autres métiers dédiés à satisfaire ses propres intérêts, ce qui n'est pas en soit, négatif, mais il faut s'en convaincre qu'il faut laisser, aux premiers cités, de pratiquer les mandats politiques électifs. Courir après les deux, corrompt tout, et fait se désolidariser la société, comme il altère le lien social. Et dans ces conditions, la justice sociale et toutes les autres justices, laissent place et font le lit des favoritismes, des népotismes, de la partialité et autres clientélismes. Monsieur le président, le jeudi 2 décembre 2004, au palais des nations, dans votre allocution devant les moudjahidine, lors du dixième congrès de leur organisation, vous signaliez du haut de la tribune, à l'assistance,ceci :« Il est temps de lever la tutelle sur le peuple. La période de la légitimité révolutionnaire qui a duré 50 ans est suffisante pour rendre la souveraineté au peuple ». Monsieur le président ma génération, n'est encore une fois, pas parricide que cela soit version de l'Oedipe de Sophocle, ou bien, de celle des frères karamazov de Dostoïevski. Cependant, si nous faisions l'évaluation de ce qui a été entrepris pour lever cette tutelle sur le peuple au nom de la légitimité révolutionnaire, depuis votre discours au congrès de l'organisation nationale des moudjahiddines, quels en seraient les résultats ? Monsieur le président votre réponse vous appartient. Toutefois monsieur le président vous avez à travers les élections de ce 10 mai et leurs résultats, par tous les observateurs, reconnus réguliers, la réponse du peuple, qui vous a écouté, qui vous a entendu, et qui est allé voter. Monsieur le président combien étaient-ils ceux de votre génération à décider d'aller affronter quasiment les mains nues, l'armée colonialiste française, dotée des outils de la mort les plus sophistiqués, fournis et mis à disposition par l'OTAN. Là monsieur le président, permettez-moi de répondre. Ils étaient peu. Une minorité. Oui mais, également permettez-moi de rajouter ceci. Ils ont réussi, au prix des plus grands sacrifices, avec l'aide du peuple, à botter tous les colonialistes, leurs soldatesques et leurs maîtres à penser, hors d'Algérie. Monsieur le président les élections législatives du 10 mai 2012 et leurs résultats, sont la réponse du peuple à vos deux affirmations de Sétif, non reproduites dans la traduction en français de votre discours diffusé par l'APS. Monsieur le président, notre printemps à nous, est venu par les voix du peuple qui s'est exprimé. C'était sa réponse à votre discours de Sétif, que tous les analystes algériens ont, avec pertinence, notée. Cet échange printanier éclaire les deux parties, dans cet inédit partenariat, peuple gouvernement, et procure l'occasion tant recherchée pour un nouveau départ consolidant cette nouvelle relation naissante. Monsieur le président, à partir de la combinaison de vos affirmations : « jily tab jnanou et mon appartenance politique est connue et ne souffre d'aucune tache », vous avez un début de solution aux problèmes qui minent la majorité des algériens, et peut-être, ceux qui ne sont pas allés voter encore plus. Les problèmes des algériens, ne sont pour une grande propension, pas d'ordre matériel. Ils sont d'ordre moral, immatériel, et par moment aussi spirituel. Le partenariat décrit plus haut, est depuis longtemps devenu répulsif et évoluait dans une ambiance proche des psychopathologies, dont le spectre renferme : l'anxiété,le doute, la méfiance, le scepticisme, la réticence et la suspicion. Monsieur le président vous avez l'adhésion du peuple dont la capitale est, et demeure toujours, Alger. Oui, parce que la presse avait rapporté le dimanche 13 mai. Que lors de la conférence de presse du chef de la mission d'observation de l'Union Européenne des législatives. Son excellence l'ambassadeur de Turquie, monsieurAhmet Necati Bigali, accrédité à Alger avait interpellé monsieur José Ignacio Salafranca, sur le fait de savoir pourquoi, monsieur le ministre de l'intérieur et des collectivités locales, n'ait pas annoncé les pourcentages en voix réalisés par chaque parti, et qu'il s'était contenté, lors de sa conférence de presse du vendredi 11 mai, uniquement de donner le nombre de sièges obtenus par chaque liste. Et même si tous les présents se sont interrogés sur cette sortie pour le moins, indélicate, inélégante, inattendue, et de surcroît peu diplomatique. La capitale des algériens encore une fois, n'est ni Ankara, ni Doha, ni paris, ni Londres ou bien Washington. Monsieur le Président, toutes les fleurs de l'avenir sont dans les semences de ce 10 mai 2012, pour paraphraser un proverbe chinois. Les semences de Sétif feront l'avenir de l'Algérie, par l'adhésion du peuple que vous avez. Monsieur le Président, accompagnez-le, vers ces lendemains de sûreté, de confiance et d'espérance.