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Sans parti pris

par Salim METREF

On le disait politiquement mort. Abattu. Découragé. En sursis. En disgrâce. Mal aimé. Blessé au plus profond de son être. Mais l'homme en a certainement vu d'autres. Soumis à mille et une dissidences, harcelé de toutes parts et surtout contesté par certains de ses proches, il garda son calme.

Le lendemain d'une victoire qu'il accueillit avec la retenue qu'on lui connait, il annonça que seules les ambitions personnelles firent lever les vents de la contestation. Il nia toute divergence idéologique et affirma que très bientôt les libertés fondamentales, y compris la liberté de conscience, seront scellées dans le futur texte fondamental du pays. Il déclara qu'il se conformera aux textes du parti notamment ceux régissant l'investiture mais aussi la destitution. Il fit un clin d'œil à l'histoire et reconnut les mérites des partis d'opposition surtout les plus anciens. Mais l'homme a fourbu ses armes. Il se relève non sans avoir bénéficié des courants porteurs de cette belle capitale des Hauts-Plateaux. Et contre vents adverses et marées, tel un bon capitaine, il conduit son navire à bon port et laisse ses adversaires abasourdis, essoufflés sur le rivage. La sagesse des portes du Sud y est sans doute pour beaucoup. Ainsi commence le fabuleux destin d'un ancien instituteur. Ce personnage, réputé pour sa simplicité et sa modestie, accessible à tous et se promenant sans garde rapprochée redonne une seconde jeunesse à un parti qu'on disait déjà entré au musée de l'histoire. Les élections législatives algériennes ont comme un parfum de retrouvailles.

Comme cette belle histoire, interrompue à l'indépendance, maladroitement, écrite et à laquelle il faudra maintenant restituer ses lettres de noblesse. Comme cela devait être le cas il ya déjà de cela 50 ans. Il y a dans l'air comme une odeur de consensus non dit. Il faut vite régler les vieux contentieux du passé car le temps passe très vite et il faut agir tant que les derniers témoins légitimes du passé sont encore en vie. Il faut remettre en place ce maillon manquant d'une chaine légendaire qui puise ses racines au plus profond de notre histoire. Le Front de Libération Nationale, qui a réussi à fédérer en 1954 les forces politiques acquises à l'idée de l'absolue nécessité de l'indépendance nationale et de l'impératif de la lutte armée de libération, va donc jouer les prolongations. Mais il semble que cela constituera la partition finale d'une mémorable composition écrite avec le sang de nos martyrs et le sacrifice de notre peuple. Cette législature durera cinq années. Elle sera de trop pour certains ou pas assez longue pour d'autres mais elle semble nécessaire puisqu'ainsi en aura décidé notre peuple qui en a apparemment exprimé la demande. Il faudra que soit saisie cette opportunité de poursuivre le rêve de 1954, dans la première étape, qui n'est pas des moindres, fut 1962 et à laquelle devra s'ajouter la construction encore inachevée d'un véritable Etat de droit. Toutes les sensibilités semblent être réunies même celle représentant le courant réformiste dont le fondateur fut Abdelhamid Ben Badis, la gauche, la droite, les laïcs, les défenseurs de l'officialisation de la langue Tamazight, les défenseurs des droits de l'homme, les libéraux, les conservateurs, les Frères Musulmans, les nationalistes arabes, les progressistes, les trotskystes, les apparentés communistes etc.. et ne manqueront à l'assemblée que les redoutables tribuns que sont cet illustre psychiatre ou ce célèbre prédicateur.

Ces législatives, qui viennent de bénéficier de l'onction de Etats-Unis, de la Russie et bien de d'autres pays encore, se voient ainsi conférer une légitimité que rien ne pourra remettre en cause. Il est vrai aussi que la doctrine sécuritaire de l'Occident a changé et que seule la survie de ses intérêts géostratégiques compte, mais cela est déjà une autre histoire ?

De nombreux observateurs ont accompagné cette consultation électorale et leurs conclusions semblent plaider en faveur d'une organisation acceptable malgré quelques insuffisances relevées, semble-t-il, ça et là. Et cette élection bénéficie déjà de la bénédiction de nombreux gouvernements étrangers et même Madame Hilary Clinton se dit séduite. Sauf improbable nouvelle farce du mauvais génie algérien, qui aurait encore réussi la prouesse de bluffer tout le monde, les conclusions savamment distillées par de nombreux observateurs convergent toutes vers une réalité incontestable : les élections semblent avoir été libres, équilibrées et transparentes. La hantise de la très forte abstention qui planait sur cette consultation et qui aurait pu la décrédibiliser et la rendre caduque ne s'est pas produite. Beaucoup d'algériens ont comme même voté, surtout en dehors des grands centres urbains et dans les régions du Sud. Peut-être sans illusions mais pour donner une fois encore une chance à l'espérance. Mais le consensus politique réuni aurait pu être plus large si les rapports de force en présence n'en avaient pas déjà souligné et limité les contours. Ainsi certains représentants du courant laïc et démocrate ainsi que d'autres du courant islamiste, incarné par le parti dit dissous, manqueront certainement dans l'hémicycle d'autant plus qu'ils recèlent en leur sein de redoutables ténors. Le parti sorti vainqueur de ces élections, qu'on disait miné par des dissensions internes et affaibli par des luttes de leadership, ressurgit et rafle la mise. Et aucun observateur, même le plus averti, n'a vu arriver la déferlante FLN. Et cette écrasante victoire va sans doute permettre de consolider le statut de l'actuel Secrétaire général dont le moins que l'on puisse dire est qu'il ait survécu à toutes les turbulences. Ainsi, tout ce qui a été dit à son sujet et toutes les dissidences affichées l'ont finalement bien servi. Et qui pourra contester la légitimité d'un responsable qui a permis au FLN de remporter des élections qui induisent de fait, pour lui, l'amorce d'un probable destin présidentiel. Quoique, cet appareil politique rompu aux manœuvres en coulisses nous a souvent habitués aux changements inattendus! Et la conférence de presse tenue par le Secrétaire général du FLN, dès l'annonce des résultats, a révélé un projet de nouvelle constitution qui s'il venait à être réalisé n'aurait rien à envier à la constitution des Etats-Unis d'Amérique.

Il s'agira, selon lui, de sceller dans le socle de la constitution algérienne, les droits de l'homme et du citoyen tels que ceux énoncés dans la déclaration universelle des droits de l'homme, y compris, précisera-t-il, la liberté de conscience. Mais tout n'aura pas été cependant rose. La cartographie de la participation électorale a révélé que les grands centres urbains se sont majoritairement abstenus alors que les régions du Sud et certaines régions de l'intérieur du pays ont plutôt voté. L'arithmétique de l'abstention, a été appréciable mais aucun analyste ne peut lui donner sa véritable signification politique. Est-ce les consignes d'abstention prônées par certains ou plutôt le fait d'une opinion désabusée qui ne croit plus aux promesses qui seront, pense-t-elle et comme toujours, non tenues !

L'élargissement du champ politique, notamment, dans la perspective de la possible amnistie générale permettra de drainer tous les combats, surtout idéologiques, à l'assemblée nationale. La dynamique patriotique de rassemblement, qui donnera sa chance à tout le monde y compris à ceux d'ici et d'ailleurs et dont on ne prononce même plus le nom, devra se poursuivre. Car l'Algérie a besoin de toute sa diversité pour continuer à porter l'espérance. La victoire du FLN remet les pendules à l'heure et l'arc en ciel politique qui va se dessiner à l'assemblé nationale permettra, nous l'espérons, de réaliser ce qui n'a pu être poursuivi à l'indépendance : Construire l'Etat de Droit qui garantit l'expression de toutes les sensibilités politiques et qui respecte l'ensemble de ses citoyens. La liberté est un apprentissage difficile surtout et paradoxalement lorsque l'on en a été soi-même privé durant de nombreuses années. L'histoire nous donne là, semble-t-il, la chance d'un nouveau départ. Saisissons là!. Et donnons une chance à l'exception algérienne de se poursuivre. Tout ne pourra être vite oublié. Ni les blessures infligées, ni les carrières brisées, ni les luttes fratricides, ni la corruption, ni la mort prématurée des meilleurs enfants de ce pays, ni les abus et ni les sévices. Mais faut-il pour autant arrêter d'espérer et désespérer d'une Algérie qui tant bien que mal continue de tenir la route ! Le FLN devra assumer, avec d'autres, la nouvelle mission qui nous incombe à tous. Elle est historique. Elle doit permettre de réconcilier les algériens avec leur passé, leur mémoire et de les réunir autour de la promesse de l'avenir. Il faut finir enfin le deuil et retrouver la joie de vivre. La jonction entre le rêve de novembre 1954 et l'espérance de l'année 2012 doit se réaliser. L'Algérie ne peut pas devenir un Etat de Droit. Et ne l'oublions pas. Le statu quo sera intenable et rien ne pourra contenir l'impatience, la fougue et le feu de nouvelles générations qui ne veulent plus attendre. Pas même l'étau d'une génération qui risque de ne plus faire rêver et à qui l'on pourrait, un jour, reprocher de n'avoir pas su se retirer à temps.