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Le grand muet

par El Yazid Dib

Il ne s'agit pas de l'époux sémantique de l'armée. Il n'est pas atteint d'une pathologie vocale. Il s'est tu au moment où il devait d'exprimer. Son silence est donc une forte locution sans bruit, sans tintamarre, juste dans le chiffre et dans la tête des politiques.

Le grand muet c'est celui qui ne vote pas ou le fait quelque fois sans pour autant donner sa voix à quiconque. C'est celui qui décide de se taire un jour face au vacarme que causent les autres durant des années. Il est partout et nulle part. Il subsiste dans la foule, dans la rue, comme un poteau qui respire et transpire. Visage à géographie commune, il forme des yeux, un gosier et une luette ? Mais il est apathique.

Si 42% se sont déplacés pour dire leur mot, le restant des inscrits, soit 58%, n'a pas jugé utile de dire même un mot nul. Il est resté muet en adressant, en toute évidence, un message toutefois très clair. Mais cette distraction ne pense pas se confiner dans un long weekend ou un flegme de citadin. C'est silencieusement politique. Le pouvoir devrait au moins se pencher dans l'analyse et l'explication. Certes, cela ne l'édifie pas outre mesure, ne le concerne pas et ne l'importune pas. Il a ses taux, il semble avoir gagné ses paris et relever ses challenges. L'extérieur, entre capitales et observateurs, a cautionné l'organisation, le déroulement, l'accomplissement, le dépouillement, l'annonce et les résultats de ces joutes législatives. Le peuple n'est pas une simple arithmétique, pourtant il reste un nombre qui se divise et qui se multiplie.

CANDIDATS A L'EMPORTE-PIECE

L'audace de présenter parfois sa candidature est seulement une aubaine pour le titulaire qui n'aurait pas réussi ailleurs, si le siège assuré de député rassuré ne lui était pas garanti. Ces législatives plus que les autres ont vu une nouvelle faune, croyant aux miracles des urnes, après avoir cru et réussi aux merveilles des banques et des ports. Quiconque est devenu candidat. Du coiffeur du coin au quincailler de la province. Le sac d'argent a pris l'allure d'un office de financement sans limites pour des êtres vaillants dans l'ignominie est exécrables dans le monde sain que doit produire la pratique politique. La campagne est finie, le dinar a coulé, les affichés décollées et enfin l'urne a accouché à une aube printanière pas comme les autres.

Le sentiment de la localité électorale censée les avoir poussés vers les cieux de la prospérité, compatirait au moment où elle ne verrait rien venir comme eau, emplois, logements, routes et toute la kyrielle de promesses, de serments et d'engagements tenus lors des meetings où les bus réglés sur place s'essoufflaient dans le transport des troupes (les mêmes) d'une localité à une autre. Le peuple se goure, pardonne, s'entête parfois et recommence dans cinq ans. L'urne étant en fin d'avortement intraitable a tenu à rejeter ces apprentis du circuit parlementaire. Le joueur était candidat, au même titre que l'idiot du village, le calomniateur, le menteur, le rabatteur, le sans-emploi, l'importateur. Aucune humilité ou décence n'est survenue pour faire rougir certaines gens et les empêcher d'éclabousser les panneaux d'affichage. Bien au contraire, ils se plaisaient à se faire photographier en un look d'artistes et de stars pour les uns et en un plouc pour les autres. Il est de ces candidats qui, osés et résolus, bravent sans rougir l'hilarité du monde. Ils ne sont que de vulgaires noms et prénoms, à la limite ils se décantent par sobriquets. Hilares et bouffons

LE FLN, VAINQUEUR PAR SIGLE ET NON PAR LISTES

Si le FLN a remporté un score scintillant, c'est grâce aux sentiments qui sont liés à son histoire et son ancestralité. Les personnes de ces listes honnies n'ont eu aucun mérite. Tout le peuple en parle. De confidence en confidence, des gens affirment avoir voté pour le front et non pour ces ténébreuses icones, soit le moins mauvais, d'où cette sentence du ministre de l'Intérieur qualifiant la nature de cette élection par un « vote-refuge ». Il y a des gens votant nul, mais un nul très expressif : un bulletin FLN déchiré en deux, le même bulletin rayé de haut en bas. Dans une logique d'analyse de la chose politique, il est conseillé de ne pas trop crier victoire. Car la victoire de l'un n'est forcément pas une défaite de l'autre ou des autres. Le triomphe d'un jour devait, nécessairement, annoncer, en prévision, d'autres batailles ; de grands défis, d'ouverture de fronts et de préparer une nouvelle configuration à même de créer dans une dimension identique ; un pôle d'auto-opposition important. L'euphorie au FLN gagnerait à canaliser les débordements de l'effet de réussite dans la perspective de minimiser le défaut de succès qui ira, inévitablement, pousser les aigris vers la constitution d'une contre majorité sociale. Le contrepoids de l'opposition ne se jouera pas à l'APN, mais dehors ; dans la société, les grèves, les marches, la contestation. Cette majorité parlementaire, inutile à plus d'un titre, en cas de non-utilisation politico-rationnelle, pourrait dès à présent rassembler autour d'abord du noyau FLN toutes les putréfactions et les impuretés du système et ensuite permettre la composition d'un environnement politique très hostile, jaloux et revanchard. A défaut de se mettre, certains satrapes au sein du front d'Alger ont forcé le destin parlementaire du peuple local, brisé ses volontés pour glisser non pas en sourdine mais comme un coup de poing sur la table ; leurs yearlings, leurs rosses. Ils ont pu faire prouver leur robustesse acariâtre. Eux, ils seront toujours là où la base aurait aimé qu'ils ne le soient pas. Le FLN parti de pouvoir et au pouvoir et qui part vainqueur arrivera t-il à éviter les foudres qui jalonnent son parcours ou va t-il se contenter de supporter le poids d'une crise qu'aucune majorité n'est capable d'en découdre les moindres boucles ? Le danger plane justement sur cette incapacité véridique à pouvoir gouverner seul. Il viendrait aussi de la perte de vitesse engagée dans l'assainissement de ses rangs, que les aléas de la gestion du pays désormais lui incombant ; n'auront pas à encourager la continuité de l'effort d'expurger les mauvaises graines qui l'alimentent à ce jour. Cette législature qui s'attellera, dit-on à confectionner le nouveau paysage algérien aura à se démêler avec l'écheveau constitutionnel. Ce ne sera pas un moniteur d'auto-école qui va se plancher sur la théorie des équilibres dans l'espace d'un régime présidentiel ou s'attarder sur les doctrines traitant de l'existentiel de la règle de droit dans son volet d'abstraction, d'objectivité et de généralité. Au FLN, la majorité ainsi obtenue va encore devenir un carcan à supporter. L'essentiel n'est pas dans le comptage de voix, car celui-ci ne servira à rien, tant que le premier ministre désigné ou le président de la république pourra gérer sans le confort d'une majorité parlementaire. D'où sa futilité, sauf pour l'histoire, la galerie et autrui. Maintenant que le parti est maintenu aux rênes de l'attelage, rien ne justifie la présence du conducteur. C'est le FLN qui réussi et non les personnes imposées dans les listes. Belkhadem a été secouru au de nom de ce parti, par le discours de Sétif. Il doit savoir partir, tant mieux pour lui en pleine apothéose. Il a fait son temps, ses fruits ont largement mûris, comme disait le président. Sa génération garde encore les scories de l'unicité de vision. La place est à la largesse de vue, la pluralité des programmes, la compétitivité politique enfin à l'alternative et la passation de relais. Contrairement à ceux qui échouent et partent, la rigueur veut que ce soit l'inverse qui doit se produire. Et bien on doit de temps en temps changer une équipe qui gagne. C'est aussi simple, l'ivresse d'avoir vaincu entraine à court terme l'ennui de la victoire. Que faire après un succès ? Goûter les délices, recevoir les gratifications, être honoré et puis ? La déchéance vous attrapera, une fois la fête estompée et l'enivrement dissipé.

LE RND, UN PARTI SECOURS, UN PARTI DE RECHANGE

Avec une nette régression le parti enfant, qui ne grandit jamais, semble se prélasser dans sa positon de parti de remplacement. Il est le verso pâle du recto du parti FLN. En cas de besoin, l'enfant incestueux est toujours prêt à officier et porter de l'eau au moulin du paternel. En aucun cas, l'histoire de la législature algérienne n'a retenu l'utilité d'une majorité parlementaire. Celle-ci ne rimait qu'avec la recherche d'une symbiose au sein de l'élite dirigeante. La loi sur la concorde civile est passée du temps du RND majoritaire. Son leader en campagne électorale subitement en est devenu contre pour des calculs mesquins frisant l'ironie et l'ambition démesurée d'espérer un jour le fauteuil présidentiel. S'inscrivant ainsi à contre courant du désir du président, il est allé en guerre au contraire d'un choix populaire scellé par voie de référendum. Il devait partir à cette date. Mais la longévité chez certains se justifie toujours à postériori. Nous saurons un jour pourquoi Ouyahia évolue depuis longtemps dans l'échec et la réprobation sans qu'il puisse réagir par un coup d'honneur de vouloir jeter l'éponge et aller glaner quelques jours du côté de Beni Daoula. Le RND est incapable de drainer un nouvel esprit manager d'idéal politique. Il se conditionne toujours dans la doctrine de l'assistanat. Rendu fort à l'apparence par un chef en posture continue de chef gouverneur, il n'a pas su se bâtir sur l'intelligence de ses militants. Considérés à la limite comme des prolongements à un fonctionnariat qui ne se nomme pas, ces militants reçoivent des notes et des instructions comme s'ils étaient dans des appendices d'administration. L'initiative politique locale et volontaire est absente. Avec un chef inabordable et versatile, un programme mitigé, une sournoiserie d'abjection rasant les mûrs du pouvoir, le parti n'est qu'un matériel de secours. Utilisé pour des commodités de besognes, le parti est vide, le rien emplit ses entrailles. Le score obtenu est une évaluation à prendre au sérieux. Ouyahia doit se rajeunir. Il doit aussi le faire pour ses idées. Le flou qui entoure ses paraphrases politiques n'est pas du goût de ce début de siècle. Un regard sur les autres mouvances l'inspirera mieux que ses œillères. En eternel examen de maturité, avec un personnel changeant de rang une fois l'intérêt fini, le RND comme le FLN souffre de la convoitise qui anime ses adhérents. Où sont ses anciens députés ? Ses anciens cadres et ministres ? Dans se parti on ne milite pas, on se recrute. Des contractuels à durée quinquennale.

LA MOUVANCE VERTE EST INCOLORE

Le printemps vert finalement n'a pas eu lieu. Il est bloqué juste à nos frontières. Ce que prédisait, comme avenir verdâtre, le plus averti des observateurs à qui l'on dicte la prévision s'est retardé, selon son prédicateur. 59 sièges sont le lot de l'effort conjugué de tous les sigles agissant pour une assemblée verte. Insignifiant est de ce nombre en rapport aux ambitions affichées à la vielle de l'annonce des résultats. Il s'est passé quelque chose. Les électeurs ayant voté, l'ont été pour leur grande majorité dans une option de famille et non d'idéologie. Ces formations islamiques au cours de leur usage de l'acte politique se sont trop liées par affinités avec un pouvoir honni par leurs supports classiques et génésiaques. Ces derniers n'ont pu accepter l'entrisme inutile qui a singularisé certains d'entre eux à hypothéquer l'authenticité originelle. Ces mouvements ne sont pas destinés à gouverner. Par philosophie, comme ailleurs, ils devraient connaître l'épanouissement politique d'abord dans l'opposition puis s'investir après coup dans la gestion des affaires. Un Soltani est usé. Connu pour ses accointances et ses liaisons douteuses, il ne peut constituer une locomotive apte à drainer un printemps arabe. Un Djaballah croyant récolter le menu reste du FIS s'est vu piégé par son propre fantasme. Faire réincarner les sentiments dormants d'une époque initiale, révolue. Il développe maintenant « le changement à la tunisienne » va-t-il trouver en son sein un Bouazizi en qamis et barbichette ? Qu'il ne compte surtout pas sur un pouvoir prompt à ne pas réagir envers l'immolation. Il devrait innover dans l'inédit. On a vu des leaders faire des sit-in, d'autres des grèves de la faim, mais jamais se flamber ! Ça brûle fréro !

UNE APN IDENTIQUE AUX ANCETRES

La recomposition du paysage parlementaire n'a rien en pratique comme conséquences sur l'alternance au pouvoir. L'Assemblée nationale n'est pas le creuset, ni la pépinière des ministres. Les membres de partis, porteurs d'une idéologie qu'un programme politique est sensé incarner, restent seuls de véritables potentialités ministrables. Le gouvernement technocrate n'entraînerait qu'un personnel de hauts fonctionnaires, professionnels certes mais sans vision politique des affaires sectorielles et publiques. Nous serions alors en face d'une administration gouvernementale. Les esprits calmes, les âmes saintes et saines, le mea-culpa et l'autocritique restreindront quelque peu l'excès de liesse. Cette assemblée, si politiquement elle se trouve validée par tous, occidentaux compris, elle est mathématiquement en manque d'authentique représentativité. Elle a cependant ce brin de légitimité des votants et sans fraude. La majorité du peuple s'est abstenue de corroborer ce vote. Et c'est ici qu'il faudrait aller chercher l'autre moitié de légitimité. Faire parler le muet. De surcroît s'il se trouve aussi grand.