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La mise en abîme par la marionnette?

par Aissa Hireche

Tout a une fin. Nous l'avons appris, puis compris, dès le jeune âge.

Tout a une fin signifie qu'aucun état des choses n'est éternel et que, sous la pression du temps, ce qui est usé cède la place à moins obsolète et ce qui est déphasé se retire devant ce qui ne l'est pas ou l'est moins. Ainsi va le monde. Et ainsi va la vie !

Mais s'est-on jamais posé la question pourquoi les vieilles choses, les vieilles habitudes, les vieux trucs et puis aussi les vieux systèmes, les vieilles méthodes de gestion, les vieux réflexes de gouvernement? doivent partir et pourquoi ils s'en vont effectivement ? C'est simple, me disait mon père, c'est parce que pour rester il faut avoir la force de se maintenir. Or, être usé signifie justement avoir usé sa force, toutes ses forces? C'est une loi universelle qu'il nous est donné de constater chaque jour et, pour qui veut s'en assurer, il n'y a qu'à regarder du côté des animaux pour se rendre compte que les anciens finissent toujours par être usés et par céder la place à plus jeunes. Mais l'animal, c'est l'animal et l'homme c'est l'homme ! Ce qui différencie l'homme de l'animal c'est que le premier est doué d'intelligence qui lui permet de traiter et, souvent, de résoudre ses problèmes.

Or, parmi ses problèmes se trouve justement cette histoire d'alternance parce que l'amour-propre et, surtout, les avantages qu'on retire lorsqu'on domine, ou lorsqu'on gouverne, rendent difficilement acceptable l'idée de partir et céder sa place à autrui, quand bien même est-il plus apte, plus disposé et mieux intentionné. Alors, l'homme s'est mis à réfléchir et, au bout de quelques générations, il a fini par trouver la parade contre la loi universelle qui l'obligerait - ou obligerait sa domination - au départ. Il a inventé la marionnette !

Une marionnette, pour ceux qui ne la connaissent pas, est quelque chose qui bouge non pas de sa propre volonté mais par la grâce et la volonté de celui qui en tire les ficelles. D'abord de bois, elle fut ensuite de tissu, puis de plastique et, progrès oblige, de nos jours elle peut être même en chair et en os. La marionnette a plusieurs rôles. Elle danse, elle chante, elle bouge, elle hurle? elle pleure, elle fait la marionnette quoi ! Mais son objectif consiste toujours à détourner de quelque chose ou de quelqu'un l'attention de ceux qui la regardent. La version à la mode, on s'en doute, est celle qui parle et qui essaie même de convaincre les foules. Cette version, que j'appellerais marionnette 2.0, présente l'avantage de l'interactivité. Mieux elle est nourrie, mieux elle joue. Plus vous la payez, plus elle danse. Plus fort vous l'entretenez, plus fort elle hurle pour vous? elle peut même prononcer votre nom - contrairement à la logique même de la marionnette - pour appeler les gens à vous aimer ! A vous choisir et, pourquoi pas, à faire de vous un? député ou même plus !

Mais une marionnette reste une marionnette? Elle a, pour qui sait la regarder, beaucoup de tares. Elle bégaie car, la parole n'étant pas originelle chez elle, elle doit répéter ce qu'on lui dit et il ne fait aucun doute qu'elle porte une oreillette même dans ses meetings. Elle est souvent débile et c'est pour cela que même lorsqu'elle répète ce qu'on lui dit, elle le prononce faux, l'écorche, l'encoche, en détruit le sens, en annihile la portée? Peu importe. Elle ne saurait même pas s'en soucier.

N'ayant ni pudeur ni éthique qui la gêneraient ou qui la feraient rougir, elle est capable des sorties les plus inattendues. Elle peut par exemple soutenir, avec force et poings sur la table, que le cauchemar est un rêve, que la corruption d'un système est une vertu, que l'incompétence de ceux qui le font est une valeur ajoutée, que leur inconscience est un atout, que la liberté est un danger, que la sérénité est une menace, que l'avenir est une mauvaise sirène, que l'amélioration est une possession démonique? Non douée d'intelligence propre, elle se fait un plaisir de débiter les argumentaires de ses maîtres sans même les comprendre elle-même. Elle vous balance, par exemple, que tout a été fait pour vous, pour vos enfants. Que rien n'a été fait sans votre consentement. Pas même l'augmentation du prix de la pomme de terre, la destruction des repères de la société ou l'envolée prochaine du prix de l'oxygène. Elle vous parle d'un passé que ni elle ni vous ne connaissez, elle vous cite des noms qui changent à chaque meeting et des hommes dont le rôle et l'importance varient à chaque événement. Et si vous êtes un tant soit peu attentif, vous décèleriez sans doute chez elle quelques répliques des grands hommes de ce monde.

La marionnette moderne sert les systèmes d'autopoïèse, c'est-à-dire ceux-là mêmes qui veulent donner l'impression d'avoir changé mais qui jamais ne changent parce qu'ils préfèrent faire jouer des mécanismes d'illusion. Comme par exemple, au lieu d'aller vers la démocratie, ils préfèrent la démocratie de façade. Ces systèmes qui gardent les mêmes éléments éternellement et qu'ils jugent non pas à l'efficacité ou à l'efficience, comme on pourrait le croire, mais à l'importance du service rendu. Corruption, malhonnêteté et magouille sont les caractéristiques de ce type de systèmes qui ont été les premiers à inventer la marionnette. Le degré de développement et la nature de la danse de cette marionnette diffèrent selon le breuvage que le système est en mesure de fournir. Mais une marionnette, cela reste une marionnette. Et parmi ce qui la caractérise le plus c'est qu'elle danse sans trop savoir pour le compte de qui elle le fait. Et, de ce fait, elle peut aujourd'hui jouer entre les doigts de quelqu'un et, demain, entre ceux de quelqu'un d'autre. Parce qu'elle ne connaît ni la cohérence ni le principe, elle peut vanter les monstres ou tirer sur les saints... Elle ne peut pas se sentir concernée par vos sentiments. Vos désillusions. Vos déchirures. Votre peine. Votre peur pour vos enfants. Elle a pour mission de danser et elle danse. C'est tout !

Et tant que marionnette danse, certains ont la paix. Ils peuvent prétendre continuer à s'asseoir éternellement sur la nuque des pauvres gens, trop occupés à? regarder la marionnette. Ils peuvent rêver de quelques années de plus pour un système usé, désuet. Leur dernière trouvaille a consisté à recruter des marionnettes, plusieurs marionnettes mêmes, et les dispatcher pour mieux occuper et pour occuper plus de monde? ils ne veulent pas de la loi qui veut que lorsqu'on est usé on s'en va. Ils ne comprennent pas que partir n'est pas une défaite mais une sagesse qui pourrait éviter la défaite.

Tant que marionnette danse? ils ne le comprendront pas. C'est sûr !

La marionnette a permis de résoudre le problème de l'alternance. En partie et temporairement seulement ! Mais cette issue, bien que passagère, est coûteuse, trop coûteuse, pour les autres. Ceux qui subissent, ceux qui regardent la marionnette danser car, tant qu'ils regardent, ils oublient jusqu'à leurs enfants. Mais tout en contribuant à résoudre un problème d'alternance, la marionnette en pose en réalité un autre. Car, quand bien même ceux qui tirent les ficelles de la marionnette arrivent à durer, ils finiront bien un jour ou l'autre par partir. Contre le miracle de la mort, ils ne pourront rien. Et c'est là que les autres s'apercevront que la marionnette, parce que non concernée par la mort, a la capacité de survivre à ses maîtres. Mieux encore? pour se donner le plaisir de déguster cet avantage loin des regards, elle utilisera à son tour? une autre marionnette. Hadj Moussa aurait dit une véritable mise en abîme.