Envoyer à un ami | Version à imprimer | Version en PDF

Etre citoyen pour voter ou voter pour être citoyen

par Bouterfas Belabbas*

En Occident, d'où provient le mode de gestion des affaires qui domine la planète, la famille, puis l'école inculquent un modèle d'éducation qui permet la formation du citoyen de demain susceptible de pouvoir s'intégrer dans la sphère socioéconomique et politique de son pays ou des pays qui partageraient l'imaginaire, la culture et le système de gestion.

D'ailleurs, depuis que les enfants issus de familles d'origines étrangères sont arrivés à l'âge de maturité, les problèmes d'intégration sont apparus pour les raisons d'échecs scolaires, de discrimination, certes, mais surtout parce que le travail de complémentarité qui est sensé être accompli conjointement par la famille et l'école, n'est pas réalisé et il en résulte des troubles de toutes sortes, les exemples n'en manquent guère.

ABSENCE D'UNE EDUCATION CITOYENNE

En Algérie, l'éducation citoyenne, absente déjà dans la famille pour des raisons historiques, mais aussi pour d'autres considérations telles que la mauvaise appréhension de l'idée de société dans le sens moderne du terme, est également absente de l'institution scolaire qui, démunie d'un projet clair de société, s'entête à distiller un ensemble de savoirs «scientifique teinté d'idéologies» pas toujours complémentaires , ce qui parfois désoriente les plus avertis.

La famille algérienne, dont les soucis principaux restent, comment gagner plus d'argent sans trop penser à la manière pour y arriver, si elle fait ou pas du mal à la communauté ou à l'environnement, ou encore si les intérêts de ses propres enfants dans un proche avenir sont préservés, comment acquérir par tous les moyens possibles, voire impossibles pour la raison, le plus de biens matériels, donne l'impression de laisser le volet éducatif des enfants à la nature, à l'environnement immédiat qu'est la rue (au sens le plus péjoratif du terme), aux chaînes satellitaires de tous bords, aux charlatans, aux nouveaux «douaates» à la solde des Salafo-Wahabistes etc.

L'école a d'abord, un programme à terminer, vous dira n'importe quel responsable dans l'institution scolaire, du ministre à l'enseignant du primaire. Les dates et les échéances des différents examens, la progression dans les programmes, éventuellement les planifications des séances de rattrapage, deviennent les soucis majeurs et nécessitent tellement de réunions, de rencontres, de déclarations aux médias. Les volets éducation et formation d'un citoyen qui s'intègrerait aisément dans son milieu social, respectueux des lois, ne sont même pas relégués au second plan, mais complètement ignorés, et ce ne sont pas ces quelques séances dites d' «éducation civique » qui vont contredire cette réalité (voir le programme et la manière avec laquelle les enseignants s'en débarrassent, faute de conviction généralisée). Si les programmes étaient bien enseignés, on pourrait fermer les yeux et se dire, c'est au moins ça ! Le problème est que notre institution scolaire a échoué et pour s'en convaincre il suffirait de voir l'école «parallèle fleurir année après année, et où les élèves, préparant un quelconque examen, s'inscrivent au mois de juin et commencent les cours, à l'instar de l'école «officielle», au début du mois de septembre.

UN SYSTEME QUI S'ECROULE

Après une économie officielle, grande «dinarovore» qui a échoué sur tous les plans, laissant la place à une autre dite «parallèle» et qui a fini par son dynamisme à occuper un espace et à imposer ses règles grâce à un pouvoir de mutation et d'adaptation remarquables, d'un côté, et à cause du laxisme affiché et de la corruption érigée en institution, d'un autre, après une médecine officielle avec des hôpitaux d'où le strict nécessaire est absent et vers lesquels aucun responsable ne daignerait envoyer sa progéniture se faire soigner, laissant la place à une autre, parallèle (qui a vidé le secteur public de son matériel et ses compétences) et où il faut être très riche pour espérer traiter un simple rhume, voilà le tour de l'école, sensée préparer les citoyens qui iraient voter et choisir les partis ou personnes à qui ils donneront les règnes du pays et son destin, qui échoue à son tour.

Pour accomplir ce geste que l'on appelle voter et qui consiste normalement à choisir quelqu'un que l'on pense le mieux placé pour servir les intérêts de la communauté et préserver ses biens, développer ses richesses, lui permettre de s'épanouir dans un climat de liberté et de responsabilité partagées, de veiller à son avenir, il fallait y passer par une formation citoyenne depuis la famille, en passant par l'école et les autres institutions qui sont un système judiciaire indépendant qui veillerait au respect strict des lois pour tout le monde, des administrations qui serviraient les citoyens de la même manière, mais aussi des médias qui, non seulement informeraient les citoyens, mais leur permettraient, grâce à l'ouverture de tribunes, de prendre la parole, d'assister à des débats contradictoires, depuis le jeune âge, de participer, pourquoi pas à ces débats pour pouvoir, un jour devenir responsable de sa voix, de ses actes, de ses choix, autrement, nous ne savons même pas ce qu'est la responsabilité.

LA FATALITE ET LA DESTINEE, DES MAUX QUI RONGENT LA SOCIETE

Dans un pays où la fatalité est érigée en système de pensée et où la notion de responsabilité humaine chez presque toutes les couches de la population, n'est pas encore incrustée dans le conscient et l'inconscient, tous les évènements sont vécus et acceptés comme une chose de laquelle on ne pouvait échapper. Les erreurs médicales sont une fatalité, les échecs c'est Dieu qui les a pré- écrits, les meurtres d'êtres humains le sont également, les accidents de la route ?..on ne peut échapper à sa destinée?

Par conséquent, si «c'est écrit» que vous soyez responsable, ministre ou président, les hommes n'y peuvent rien. Dans cet ordre d'idée à quoi peut servir un vote et en quoi les individus que nous sommes en sont responsables. Je dirai même, un jour, on mettrait en cause l'idée de mettre les criminels en prison puisqu'ils ne sont pas responsables, c'est pré-écrit.

La notion de responsabilité se cultive depuis l'enfance, mais par des parents élevés eux-mêmes en responsables. Il ne suffit pas d'avoir un certain âge, de se marier, d'avoir les moyens matériels, pour ensuite devenir parent. Il faut se demander si on peut être responsable d'une famille, suivre sa progéniture, l'accompagner jusqu'à pouvoir dire un jour : je suis «père» ou je suis «mère», dans le sens sociologique du mot.

Cette notion de «non-responsabilité» a remplacé celle de «responsabilité» et quiconque tenterait de sensibiliser les gens et les mettre devant leur responsabilité, est tout de suite mis en accusation, isolé, montré du doigt et victime d'une vindicte qui n'est pas que populaire.

Alors comment demander à des populations ayant vécu dans un environnement pareil, des populations nourries de notions complètement dépassées et irréelles de surcroit, du jour au lendemain, d'être responsable et d'accomplir un acte responsable.

A DEFAUT DE PRENDRE LE TRAIN A TEMPS?

C'est vrai que nous sommes quelque peu piégés par notre époque et les modes de gestion qui y dominent. Cette époque et l'Occident, il faut l'avouer, nous ont imposés ce mode de choix de nos responsables. Seulement, l'Occident nous a devancés car au même stade de développement de la notion de société, Il choisissait autrement ses responsables. Je ne parle pas des structures, des institutions, des administrations, nous les avons-nous aussi, mais ce que nous n'avons pas c'est le processus historique qui a imposé ou permis à cet Occident de se doter de ces institutions. Ces dernières ont répondu à des besoins, à des impératifs, et ont agi comme des solutions à des problèmes. C'est le cas des lois, qui historiquement ont répondu toutes à des questions que les développements, social, économique, politique imposaient et c'est ainsi que tout au long de cette histoire des lois ont été créées, ont disparu avec la disparition des besoins, d'autres ont vu le jour pour répondre à de nouveaux besoins.

Nous avons calqué ces lois sans savoir si elles répondaient scrupuleusement à nos besoins, si elles émanaient de nos mentalités qui ne sont pas construites qu'à partir du rationnel et le résultat est là : Ceux qui légifèrent sont les premiers à ne pas croire en ces lois. Comment peut-on affirmer cela ? Il suffit de voir leur application par cette frange de société. Second problème, beaucoup de personnes ne croient pas et se révoltent parfois contre ces lois et dès qu'ils le peuvent, ils les ignorent complètement et sans état d'âme !

LE CHANGEMENT COMMENCE PAR UNE CAMPAGNE INEDITE

Alors nous n'allons pas voter ? Que non ! Il faut voter, aucun pays ne peut se soustraire à cet exercice démocratique ! Même si on le voulait, on ne le pourrait pas, cela est sûr. Donc, il faudrait changer complètement de stratégie en attendant de penser plus sérieusement à notre avenir de nation qui doit tout reconstruire à partir de son propre histoire, de ses origines, de sa géographie, de son appartenance, de son projet de société (chose qui n'existe pas, pour le moment).

La grande question est «que voulons nous devenir dans une cinquantaine d'années ?» Une fois d'accord sur cette question et après y avoir répondu, on passe à la seconde «comment y arriver et quels moyens faudrait-il y mettre ?»

Je disais qu'il fallait changer totalement de stratégie en prenant inéluctablement des risques. La campagne électorale doit être le premier palier de ce changement. Comment ? Le langage doit s'adresser pour la première fois à la raison et non aux émotions, il ne faut pas à jouer sur les craintes fondées ou infondées, il ne faut pas chercher à émouvoir ou à troubler par des discours qui promettent des apaisements ou des paradis futurs, ni chercher à titiller les sentiments et remuer les profondeurs des êtres sans répondre raisonnablement aux attentes du moment. Les discours que les partis adresseront à l'électorat doivent bannir la langue de bois (nous sommes le meilleur peuple, nous sommes les plus braves, les plus courageux, nous possédons le meilleurs passé, nous avons de l'orgueil à en revendre, nous sommes les plus unis, les plus généreux, nous possédons les plus grandes réalisations en Afrique et dans le monde arabe, nous n'avons peur de personne et nous n'avons besoin de personne, notre jeunesse est la priorité, les femmes c'est important?) et revenir sur terre pour dire, que nous avons la plus faible productivité du monde, que nous avons tendance à nous laisser aller, à être trop laxiste, n'ayons pas peur des mots, à aller vers la paresse, que nous avons, jusqu'à présent compter sur les autres pour faire notre travail, que nous sommes incapables jusqu'à maintenant de construire un immeuble, un vrai, que nous sommes incapables d'entretenir le gazon d'un seul stade pour accueillir un match international, que nous avons jusqu'à présent été incapables de ramasser nos ordures et que nos rues sont parmi les plus sales, que nous avons fait appel aux étrangers pour distribuer correctement l'eau à la population, que chez nous, nous avons remplacé l'ordre par le désordre et on se complait dans la situation, que l'avenir du pays se résume pour chacun de nous, dans la somme d'argent qu'il peut soutirer à ce pauvre pays, que le dernier de nos soucis a été jusqu'à présent les jeunes où hommes de demain, un demain qui n'arrive jamais, que les droits de la femme sont bafoués par des lois (code la famille) et les traditions archaïques que l'on maintient par un folklore cousu de fil blanc. Voilà ce qu'il faut dire pendant la campagne électorale, pour la première fois pour montrer et convaincre que l'on veut provoquer le changement. Les populations vont être choquées peut-être, mais elles vont tout de suite comprendre que quelque chose est en train de bouger. Qui risquerait à dire cette vérité pendant une campagne électorale où chacun tente de soutirer des voix à l'autre ?

Bien sûr, jamais nous n'avons tellement construit de mosquées, jamais dans notre histoire nous n'avons été aussi nombreux à les fréquenter, jamais, aidés en cela par les machayikh des pays du golf, nous n'avons été aussi nombreux à aller souvent, plusieurs fois, à la Mecque pour laver nos péchés qui s'accumulent de plus en plus jusqu'à alourdir nos paupières et nous empêcher de voir plus loin que le bout de nos petits nez.

Mais force est de constater que le temps est arrivé et l'occasion nous est donnée de montrer notre volonté de dire assez, assez, assez.

Comment convaincre les jeunes d'aller voter car c'est eux qui seront les artisans d'un vrai changement, comment dire aux femmes qu'elles ne doivent pas rater l'occasion qui leur est offerte dans ces législatives, comment arriver à persuader les abstentionnistes chroniques d'aller voter ?

C'est simple, s'ils sentent vraiment la volonté de changement, ils iront voter. Et cette volonté, commence, par une neutralité de l'administration qui accompagne ces législatives déjà dans la réception des dossiers des candidats puis dans la gestion de tout le processus, par l'indépendance totale et le courage des magistrats qui doivent oublier, pour une fois, qui remplit leurs fiches de paye à la fin du mois, et qui doivent également mettre de côté, au moins pour cette opération, leurs ambitions personnelles, «promotionnelles» ou matérielles.

Il faudrait surtout que le langage des partis, comme souligné plus haut, change, que les thèmes changent, que les rassemblements se fassent en dehors des salles où seulement les militants convaincus ou des personnes désœuvrées et en mal de passer un temps qui s'immobilise pour eux, viennent. Les gens qui ne votent pas où hésitent encore, parce que souvent désabusées, sont dans les rues, dans les marchés, dans les cafés, dans les bus bondés, dans les stades, et c'est là où il faut aller les provoquer, si du moins ces partis pensent sincèrement avoir quelque chose à leur dire ou à leur proposer. Il faudrait aller dans les villages et les bourgs s'asseoir par terre et parler avec eux, mais ne croyez pas que c'est suffisant ! Si vous n'êtes pas en adéquation avec ce que vous allez avancer ou promettre, si vous n'êtes pas authentiques, ils s'en douteront et ils vous écouteront par politesse c'est tout ! Il faudrait parler la langue qu'ils comprennent, la langue de la vérité même crue, il faudrait surtout les écouter et les laisser parler, ils pourraient vous faire des propositions auxquels vos stratèges n'ont pas pensé.

Il faudrait surtout parler (et écouter) du présent et de l'avenir de ce pays et de ce que vous envisagez faire avec eux(les jeunes et les autres aussi) de ce pays qui doit lorgner vers l'avenir et surtout la modernité, il faudrait enfin arrêter de parler d'un passé lointain où nos ancêtres présumés étaient des anges et où le bonheur, la béatitude, la justice, l'entraide, enfin toutes les vertus régnaient, et d'où les fautes, les assassinats, les guerre de pouvoir, les injustices criardes, sont complètement effacés.

Si l'on pense faire aimer le passé en le racontant comme « Alice au pays des merveilles », on se trompe lourdement. Un passé doit être raconté en soulignant les erreurs humaines pour éviter leur reproduction et pour qu'il serve d'enseignement. Parler du passé c'est montrer que les humains quels qui soient, ont été et resteront des humains et donc sujets à des jalousies, envies, auteurs de meurtres, de coups bas pour le pouvoir qui a été et reste toujours le principal carburant qui fera bouger et qui poussera, ceux qui vont dans quelques jours mener la campagne électorale, aux pires des mensonges, des soumissions, des marchandages, des bassesses pour arriver peut être à faire partie de l'assemblée nationale. A la fin de leur mandat, ils trouveront la solution, ils iront à la Mecque et les voilà propres comme des sous neufs.

Il faudrait enfin parler de la démocratie et il n'y a qu'une seule. Celle où un pouvoir législatif choisit librement par le peuple légifère et un second pouvoir dit exécutif met en pratique les lois et les recommandations du premier pouvoir. Le pouvoir exécutif est comptable devant le pouvoir législatif. Un troisième pouvoir, le système judiciaire complètement indépendant des deux premiers a la fonction d'arbitrage en cas de conflit entre les deux premiers et pour cela, la promotion des magistrats ne devrait plus dépendre d'un ministère ou d'une administration publique, mais d'un ordre supérieur composé d'anciens magistrats émérites. Enfin un quatrième pouvoir qui serait celui des médias indépendants. Leur rôle serait non seulement d'informer, mais d'enquêter et d'arriver à la vérité sans passer par les communiqués officiels et les commissions d'enquête administratives. C'est le d'investigation qui donne aux médias toute leurs forces et leur poids dans la société moderne

*Centre universitaire d'Ain Témouchent