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Hollande a les cartes gagnantes; Sarkozy joue à quitte ou double

par Pierre Morville

Distancé, Nicolas Sarkozy parie tout en tentant de séduire à tout prix les voix du Front national en dernière ligne droite !

Les sondages, toujours les sondages? Deux à trois par jour pour expliquer pourquoi et comment vous avez voté au 1er tour, pourquoi et comment vous allez voter au second tour, le 6 mai prochain, comment vont voter votre voisin, sa compagne, le cousin de son frère, l'oncle de celui-ci et son meilleur ami et plus largement, le reste de la collectivité nationale? Le tout scientifiquement établi sur critères de revenus, de situations géographiques, de choix sociaux culturels affichés.  Bref ! On se demande dans ce monde du totalement prédictible, où se situe le libre arbitre. Cette interrogation pourrait faire d'ailleurs, par exemple, le sujet d'un nouveau merveilleux sondage?

Gardons-en un, du jour (avant-hier), pour la bonne bouche : Jérôme Sainte-Marie de l'Institut de sondage CSA fait remarquer dans le quotidien gratuit « Direct Matin » qu'entre 2007, date de dernière présidentielle qui a vu le succès de Nicolas Sarkozy et l'actuelle campagne, la proportion des électeurs français qui votent sans attendre une amélioration de leur situation personnelle était passée de 33% à 50%. Certains commentateurs pourraient y voir, dans le climat de crise économique actuelle un remarquable exemple de réalisme et de stoïcisme citoyen, d'autres préféreront souligner un certain désenchantement cynique.

Il est fort possible que l'humeur de mes compatriotes se situe à équidistance de ces deux postures? Les Français savent bien, en effet, que les jours (mois, années peut-être) qui suivront l'élection présidentielle ne constitueront pas pour eux un joli sentier bordé de lauriers et de roses. Tout autant, et l'importante participation (près de 80% des électeurs allant voter), montre qu'ils veulent faire savoir au pouvoir qu'ils veulent voir être élu, leurs attentes, leurs craintes et leurs exigences.

Remarquable effet de la démocratie représentative dans un pays pour qui l'élection présidentielle reste la «reine des élections », doublée d'un fort attachement à une tradition républicaine française, volontiers interventionniste et très attachée à l'idée de nation. Cette association des deux concepts ne se retrouve pas nécessairement dans l'ensemble des pays européens. La crise économique reste au cœur réel de l'élection. Jeudi prochain, les deux candidats vont s'affronter dans un duel télévisé. Programme contre programme ? François Hollande comme Nicolas Sarkozy savent l'un et l'autre qu'au lendemain de l'élection, le futur président de la République française aura des marges de manœuvres économiques et budgétaires fortement limitées par les marchés financiers (d'aucuns évoqueront la dictature des marchés financiers), par l'impéritie des autorités de l'Union européenne, par les diktats de notre principale alliée, l'Allemagne, par la vigilante pression intérieure des innombrables lobbies et corporations typiquement français, qu'il s'agisse du puissant Medef (l'association des patrons français), de la Chambre notariale, dont le mode fiscal remonte à l'ancien régime, celles aussi des très puissants syndicats de médecins jusqu'à celle du syndicat vieillissant des dockers.

Toutefois, à l'évidence, malgré ce régime de contraintes, les Français devront choisir entre deux options différentes qui peuvent se résumer entre deux lignes qui s'affrontent dans l'ensemble de l'union européenne et qui se résument à l'équation suivante : dans un cadre d'économies budgétaires nécessaires, faut-il redonner d'importantes marges financières aux entreprises dans cadre d'un très libre marché mondialisé ou faut-il restaurer la capacité des états nationaux, ou alliance d'états nationaux de redorer la croissance par des efforts volontaristes, dans le cadre d'une économie régulée ?

Trente ans de libéralisme sans frein ont vu triompher la 1re option. Avec des succès mitigés souvent, puis s'achevant sur la catastrophe financière de 2008.

À l'inverse, le retour de l'intervention de l'état, fut-il confédéral et européen, n'est toujours pas dans l'air du temps.

Il faudra pourtant bousculer les habitudes et trouver des idées nouvelles ! Prenons le redoutable problème du refinancement des États. Contrairement aux idées reçues, on ne dirige pas les finances d'un état comme on dirige celles d'une famille. Ce qui ne veut pas dire qu'un état doit dépenser sans compter mais ses investissements à long terme, ses choix à moyen terme et ses décisions immédiates n'ont strictement rien à voir avec les options louables d'une mère de famille qui décide du menu des repas hebdomadaires, sans toucher à l'épargne familiale.

Traditionnellement, les états disposent en effet, de deux outils monétaires pour éviter des situations difficiles en matière d'endettement: la sous-estimation de la monnaie ou, au pire, la dévaluation dont, lorsque vous la décidez, la baisse du taux équivaut mécaniquement pendant un temps à une baisse de votre dette, si celle-ci est libellée dans votre monnaie. Certes, le système a des limites mais constatons que toutes les grandes monnaies internationales (Dollar, Yen, Yuan, Rouble, Roupie indienne?) sont officiellement sous-évaluées alors que la Banque centrale européenne campe contre tous pour un Euro surévalué. Constatons également la règle imbécile imposée par les autorités de Bruxelles : les états financent la banque centrale européenne ; celles-ci refinancent à grands frais les banques et organismes financiers européens (largement et directement responsables de la crise actuelle) à un taux d'intérêt de 1 %. Ces derniers refinancent les états européens, Qui sont à la fois leurs créditeurs et leurs débiteurs, à des taux allant de 3 % à plus de 7 % ! Sur des milliards d'euros, imaginons la gabegie, l'irresponsabilité et les petits ou grands arrangements. Par conviction ou par choix d'image, Nicolas Sarkozy n'adore rien moins que le grand capital international.

 Ne parions pas que François Hollande impose facilement aux états européens un « pacte de croissance » qui est l'un des éléments clé de son programme et qu'il fasse aisément le grand ménage dans une vaste économie financiarisée et mondialisée (la mondialisation permettant d'abord aux multinationales d'échapper à tout contrôle). Mais un peu de régulation permettrait de compenser le manque à gagner qu'il faudra obtenir pour rétablir les comptes publics. De ce point de vue, une dernière idée du candidat Hollande, peu reprise par les médias, mérite d'être évoquée : pourquoi l'état français plutôt que d'appeler aux marchés financiers, ne ferait-il pas appel, sous la forme d'un emprunt national, à l'épargne individuelle des Français ? Celle-ci représente à peu près cinq fois notre déficit général? Évidemment, les banques ne sont pas d'accord ! Sauf, bien sûr, à se partager cette nouvelle manne financière.

SARKOZY PARFOIS PLUS A DROITE QUE MARINE

Mais la prochaine élection présidentielle ne se jouera pas sur ces finesses d'analyse économique, maladroitement et caricaturalement réduites en ces quelques lignes de synthèse. Dans cette dernière ligne droite, celle-ci se jouera largement ailleurs autour de trois enjeux distincts et hétérogènes.

- Un choc de personnalités: tout les oppose. Le vibrionnant Nicolas, dynamique, parfois excité, meneur de bandes, contre le placide Hollande, amusé, «normal », qui joue les rassembleurs. Soyons honnêtes: j'avoue ma sympathie partiale pour le second, François Hollande. Mais jeudi prochain des millions de Français regarderont et jugeront l'affrontement télévisuel des deux et détermineront, in fine, leur choix final. Choisiront-ils la fougue de l'avocat Sarkozy, qui aura du mal à faire oublier un très mauvais bilan mais capable de beaucoup de promesses fallacieuses ; ou opteront-ils pour le roublard et déterminé magistrat à la Cour des comptes Hollande, mais qui n'a jamais été ministre et fait l'essentiel de carrière publique comme secrétaire général du Parti socialiste et comme président du Conseil général de la Corrèze, terre d'élection de Jacques Chirac (qui, ex-président de droite, vote pour lui !) ?

- Quelles attentes principales des électeurs français ? Constatant la montée de Marine Le Pen, qui réalise deux millions de voix supplémentaires que son cher papa lors de meilleure élection de celui-ci en 2002, parvenant au second tour, Nicolas Sarkozy a décidé de droitiser encore son discours du 1er tour. Les interventions actuelles de Claude Guéant, son ministre de l'Intérieur, d'Henry Guaino, son principal conseiller, les siennes souvent, sur l'immigration et la sécurité, se situent légèrement plus à droite que les diatribes du Front national. Mais comme le rappelle le vieil adage de Jean-Marie Le Pen, sur ces questions, «les Français préféreront toujours l'original à la copie ». L'écart constant dans les enquêtes sondagières entre les deux candidats au second tour situé entre 6 et 10 points montrent que les électeurs, s'ils ne se montèrent pas insensibles à ces polémiques, maintiennent toute leur attention sur deux questions cruciales : l'emploi et le pouvoir d'achat.

- Avec qui gouverner ? Il faut toujours rappelle que le feuilleton électoral se déroule en trois temps : 1er et 2e tours de la présidentielle, puis en juin, élections législatives qui doivent ou non apporter la majorité parlementaire au président nouvellement élu. C'est entre les deux tours de la présidentielle que les alliances se constituent. Aujourd'hui, François Hollande a reçu le soutien immédiat d'Eva Joly, la cheftaine des écolos Verts et celle de Jean -Luc Mélenchon, le candidat du Front de gauche, à la gauche du PS, un peu déçu des 11% des voix qu'il a acquise après une excellente campagne.

AGITATIONS A L'UMP

A droite, tout au moins à l'UMP, on sent une extrême nervosité. Une élection morale du président possible est toujours possible. Après tout, le très vieux calendrier Maya prévoirait une grande catastrophe pour l'an 2012?

Mais les prédictions indiennes concerneraient l'ensemble de l'humanité et non les seuls Français malgré leur tendance à se considérer au centre de l'Univers.

Pour beaucoup de responsables du parti majoritaire, s'exprimant en privé, « l'affaire est cuite ». Et, en cas d'échec de Nicolas Sarkozy, les élections législatives se profilent en juin, dans un contexte difficile. Pour deux raisons : traditionnellement, les électeurs confirment pour ces élections locales, les choix qu'ils ont fait à la présidentielle ; Marine Le Pen, forte de son succès de 17% au 1er tour, présenta des candidats dans les quelques 577 circonscriptions ; La loi française permet des élections dites triangulaires au second tour pour tous les candidats qui font plus des 12% des voix. Cela pour être le cas dans plus de 300 circonscriptions où l'on verrait s'affronter un candidat de gauche, celui de l'UMP et celui du Front national. De quoi donner des sueurs glacées à nombre de députés de droite, coincé entre le marteau socialiste et l'enclume frontiste.

Marine Le Pen ne sait faire guère d'illusion : elle n'y gagnera au mieux qu'une quinzaine de députés mais elle espère être en mesure d'imposer une recomposition générale de la droite et de l'extrême droite à ses conditions. Donc, elle veut faire battre Sarkozy.

A l'UMP, certains plaident pour une alliance avec le FN avant le second tout de la présidentielle, ou tout au moins au moment des législatives. De nombreux courants de l'actuel parti présidentiel, anciens gaullistes, démocrates-chrétiens, centristes, libéraux, y restent farouchement hostiles. A la jointure de la droite et de la gauche, François Bayrou et son petit parti le Modem, murmure-t-on dans Paris, aurait déjà entamé des conversations discrètes avec François Hollande?

Les Français d'origine immigrée ont voté massivement à gauche ! Le détail n'est pas encore connu mais indubitablement les banlieues où se concentrent les Français d'origine maghrébine, africaine, qui traditionnellement brillaient par leur fort niveau d'absentéisme, ont pour la 1ère fois largement participé au scrutin présidentiel et leurs voix se sont majoritairement portées sur la gauche, français Hollande en tête, suivi par Jean-Luc Mélenchon. Même l'immigration chinoise, plus conservatrice, aurait suivi le mouvement !