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Toute une indépendance durant

par Aissa Hireche

Avant chaque élection, législative et surtout présidentielle, il est des comportements qui refont surface. La répétitivité est parfaite, en ce sens que chez les mêmes sujets, et au même endroit, les mêmes comportements peuvent être observables à chaque fois. Ceci leur donne presque le caractère de loi.

Or, la loi étant une réponse culturelle à un problème ou à un besoin d'organisation quelconque, il va de soi qu'elle change selon les endroits. Les comportements annonciateurs d'évènements diffèrent d'un pays à un autre. Si sociologues et anthropologues s'intéressaient à ce thème, ils nous sortiraient incontestablement quelque théorie fort intéressante car elle porte sur un comportement social où il est question d'apprentissage organisationnel certes, mais où il est aussi question d'histoire conjoncturelle, de culture de manipulation des foules, de stratégies de frustrations collectives volontaires, de formes achevées de confiscation des rêves des faibles et des plus démunis.

Une approche économique de ces comportements ne serait pas de trop parce qu'elle nous aiderait, à travers le principe de la maximisation de l'utilité, à contextualiser ces comportements pour lesquels seul le résultat compte dans un monde de courbes d'indifférences et elle nous aiderait aussi à voir ce à quoi peuvent rassembler des coûts d'organisation d'élections qui, généralement, et à part les nouveaux occupants de palais ou de sièges d'assemblées, ne ramènent rien aux pays.

Une étude plus approfondie des acteurs de ces comportements (et de ces évènement bien sûr!) sera tout autant intéressante car psychologues et psychanalystes pourraient nous donner, là aussi, une belle explication des mécanismes mentaux présidant à la prise de grandes décisions, en rapport avec des évènements à venir importants, surtout dans le cas où les décideurs sont de type Markovien c'est-à-dire qu'ils n'ont pas de mémoire ou, pour faire plus simple, qu'ils oublient de tirer des leçons du passé, même le plus proche.

 Dans cette théorie, il nous faudrait aussi un travail de géographes pour déterminer l'importance des lieux d'annonciation de l'évènement car, et on s'en doute bien, les endroits pour annoncer une candidature peuvent être tout autant, sinon plus, importants que le moment choisi pour le faire.

Il nous faudrait aussi la participation d'historiens pour nous expliquer comment certaines évolutions, pour le moins déroutantes, peuvent avoir lieu, comme par exemple comment les fils d'immigrés peuvent présider aux destinées des pays d'accueil, ou comment les plus incompétents d'une société peuvent en être, deux éternités durant, les décideurs apparents ou réels. C'est donc d'une théorie complète que nous avons besoin pour comprendre ce qui se passe autour de nous, et pourquoi pas, chez nous aussi. Mais, en attendant, il est des remarques que l'on peut d?ores et déjà faire? Chez certains, lorsque vous remarquez, d'un coup, que les rues se remplissent de banderoles et d'affiches, que les débats autour des grands projets d'avenir se font de plus en plus nombreux et que chacun s'affaire à rallier le maximum de gens à son point de vue, alors notez que vous allez avoir dans quelques temps, des élections. Chez d'autres, lorsque d'un coup, on se met à parler un peu trop souvent d'arabes, de voile, de fanatisme religieux, lorsque vous remarquez des confusions à profusion entre des notions et des concepts et, surtout, lorsque vous voyez que l'on commence à tirer sur tout ce qui est musulman, alors dépêchez-vous de consulter les prochains rendez-vous politiques car vous avez surement des élections qui pointent à un horizon pas lointain.

Chez nous, lorsque, d'un coup, on se met à parler de l'intérêt du pays, de l'unité du bled et, surtout, de l'on ne sait quelle menace imminente qui la guette, alors sachez que dans les prochains jours, il va y avoir des élections. C'est à croire que ces gens-là ne savent ni ne peuvent aborder les élections que sous l'angle étroit de la menace et du chantage. C'est à croire aussi qu'ils estiment avoir tout appris dans les années soixante et qu'il leur suffit de brandir la carte de la menace qui pourrait planer sur l'unité nationale (au cas où ils ne seront pas élus, pour certains, ou au cas d'abstention pour le reste) pour faire faire ce qu'ils veulent.

De pareilles attitudes, si elles n'étaient pas tristes et si elles ne référaient pas à quelque chose de trop sérieux, donneraient à rire aux éclats de la bêtise humaine et de la bassesse qui peut accompagner ce que certains appellent les grands destins. La seule menace pour le pays, à vrai dire, c'est l'incompétence avérée de la plupart de ceux qui se trouvent à son sommet. Et la seule menace à prendre au sérieux est que le pays continue à être mené comme il l'a toujours été. C'est-à-dire n'importe comment. Par n'importe qui parce que, on l'a compris, l'exercice premier auquel s'adonne tout détenteur de pouvoir c'est de se préparer à le garder.

La meilleure carte à brandir, au crépuscule d'une vie mille fois remplie de choses indues et non méritées, est celle de la sagesse. Que ces gens-là se retirent. On finira bien par les oublier et, qui sait, avec le temps aussi, peut être arrivera-t-on à leur pardonner la mauvaise gestion qui a été la leur toute une indépendance durant.