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Je vote, tu votes?   nous rions

par M'hammedi Bouzina Med

Hanté, apparemment, par le risque d'une abstention record aux prochaines élections législatives, le Pouvoir multiplie les appels au civisme politique. Sachant que l'Assemblée nationale sera en place après le 10 mai, le peuple s'amuse? politiquement.

Les Algériens font de la politique. Contrairement aux sceptiques, nihilistes et autres défaitistes qui répètent, à toute occasion, que les Algériens ne s'intéressent pas à la «chose «politique», nos compatriotes sont de grands débatteurs de tous les aspects de la vie quotidienne et plus, y compris de ce qui concerne les mœurs et pratiques du monde politique et de ceux qui l'animent avec, souvent une teinte d'humour, comme pour accentuer l'effet jusqu'à la caricature. Le rendez-vous électoral du 10 mai accentue le débat dans les rues, cafés et «chaumières».  

On parle de tous : de l'Assemblée nationale, de la patate devenue un aliment de luxe, de l'état des routes, de la rareté de l'eau dans les robinets, des grèves annoncées et à venir, de la bureaucratie et de la corruption etc. et jusqu'au 2ème tour de l'élection présidentielle en France ! En réalité, plus politique qu'un algérien existe rarement. Du coup, la question centrale qui taraude les sphères du pouvoir est inévitable : les Algériens seront-ils nombreux à aller voter le 10 mai ? Et surtout de quoi sera fait l'après 10 mai ? A la question d'un voisin tunisien de savoir pourquoi le «printemps arabe» a fuit l'Algérie, cette réponse devenue référence : « chez nous, les Algériens, nous avons les quatre saisons.» En clair, nous sommes en révolte tout au long de l'année et pas uniquement au «printemps». Et puis, diantre ! Nous avons commencé il y a bien longtemps à régler nos comptes avec les pouvoirs successif, ou le «Pouvoir», cette énigme qui se prête à toutes les interprétations et fantasmes. Depuis 1962, le «Pouvoir» algérien se plaint de ses opposants qu'il dit être nombreux. Bizarrement, la négation du caractère politique de l'Algérien est accentuée chez la classe dite «intellectuelle ou politisée».

Elle traite souvent le peuple d'une «masse» immature, indisciplinée, voire de «rien». N'a-t-on pas entendu un brillant chef de parti politique déclaré, en raison d'un échec électoral de son parti, qu'il «s'est trompé de peuple ?» Un autre le traité de «ghâchi» ? C'est-à-dire immature et inculte ? Pourtant, ce peuple si caricaturé a conduit des révolutions et des révoltes contre l'occupation étrangère et contre les pouvoirs successifs d'après l'indépendance. Pourtant nous avons vécu la période dite noire, celle d'une véritable guerre civile. Pourtant, ce peuple est sollicité, supplié à chaque échéance politique majeure du pays, comme celle du 10 mai prochain. Mieux, des intellectuels (lettrés serait plus adapté) versent dans le langage de «rue» lorsque d'autres intellectuels gagnent quelques promotions dans l'échelle sociale et professionnelle. J'ai souvent été interloqué par les commentaires de quelques amis, bien intellectuellement, à propos d'autres amis «promus» dans des postes de responsabilité. Faut savoir : nous revendiquons la légitimité pour la jeunesse à l'accès aux postes de responsabilité et lorsque cela arrive (c'est rare) nous accusons les jeunes promus de «serviteur» du système, voire de larbins. Que voulons- nous ? Parce que si nous dénonçons la vielle génération de Novembre, celle de la légitimité «révolutionnaire», va falloir bien la remplacer par celle de la jeunesse d'aujourd'hui.

Revenons à la «qualité politique» du peuple. Entre grèves, révoltes et manifestations le peuple n'oublie jamais l'humour qui va avec. C'est paradoxal, mais l'Algérie est ainsi. Entendu chez un coiffeur à Chlef : «Parait que les greffiers en grève revendiquent la même prime de logement que les magistrats, soit 40.000 DA par mois (observez la connaissance de la grille des salaires).»

Un autre client lui répond immédiatement: «C'est pas possible. Déjà qu'il y a plus de magistrats que de prisonniers, je vois mal les greffiers venir gonfler le nombre dans l'appareil judiciaire !» Ailleurs, abordant les élections du 10 mai prochain, les commentaires sont dignes «d'axiomes philosophiques». Le bon peuple sait que d'une façon ou d'une autre, la nouvelle Assemblée nationale sera en place après le 10 mai. Aussi, jusqu'à cette datte fatidique, le bon peuple se paie, à travers les candidats à la députation, la tête du politique et celle des intellectuels. « En tant que député, tu lèves la main droite tu as 40 millions de centimes, tu lève la gauche tu as la même chose. Tu comprends maintenant pourquoi certains ont payé des fortunes pour être tête de liste à ces élections ?» Répète le bon peuple. Un terrible aveu de l'inutilité du rôle de l'Assemblée nationale. Si ce n'est pas politique?