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Présidentielle française: les pronostics donnent Hollande gagnant

par Pierre Morville

Il faut se méfier des sondages mais à quelques jours du 1er tour, ils convergent sur une victoire du candidat socialiste. Que dire de l'actuelle campagne électorale présidentielle française ? Des propos parfaitement contradictoires.

Lancée en octobre dernier, par la « primaire « au sein du Parti socialiste, cette campagne du 1er tour fut extrêmement longue et souvent très répétitive mais elle a su réserver quelques belles surprises pour un public resté attentif. Elle a pu être tout à la fois passionnante et parfois mortellement ennuyeuse. Elle a parfois déchaîné de réels enthousiasmes populaires mais les sondages pronostiquent néanmoins un risque d'absentéisme record. Un certain nombre de personnalités nouvelles ont émergé mais beaucoup d'électeurs se plaignent du « déjà-vu ». Les Français aspirent à un profond renouveau mais tout le monde a bien conscience que la crise économique actuelle rognera profondément les marges de manœuvres du prochain élu. D'où l'extrême prudence des programmes des deux postulants les mieux placés, Hollande et Sarkozy, qui ont toutes les chances de se retrouver en finale et, à l'inverse, l'imagination débridée de tous leurs challengers, qui multiplient les propositions les plus hardies et parfois peu réalistes, sachant pertinemment qu'ils ne seront pas en mesure de les appliquer.

Depuis le 9 octobre 2011 à la « primaire », où les Français ont été appelés, par vote dans leur commune, à choisir entre les différents leaders socialistes, le candidat officiel du PS, ces mêmes électeurs ont subi jusqu'à ce jour un feu continu de sondages, commentaires quotidiens, émissions spéciales, des milliers d'articles, d'innombrables diffusions de tracts, réunions locales, meetings? La principale nouveauté de cette élection a consisté dans l'organisation de grands rassemblements populaires, mi- manifestation, mi- meeting en public. Jean-Luc Mélenchon a ouvert cette nouvelle pratique en prenant il y a trois semaines, la place de la Bastille avec 100 000 personnes, démultipliant ensuite l'initiative à Toulouse et à Marseille. Reprenant l'idée à la mode, Nicolas Sarkozy et François Hollande ont organisé le week-end dernier à Paris, deux grands rassemblements rivaux le même jour, le premier sur la Place de la Concorde, le second sur l'esplanade du Fort de Vincennes. Les deux se créditant chacun d'une centaine de milliers de participants?

NICOLAS SARKOZY, DIABLE D'HOMME !

Les derniers sondages du premier comme du second tour, désignent à peu près le tableau suivant : Au 1er tour, le « comparateur » de l'hebdomadaire du Nouvel Observateur qui intègre l'ensemble des innombrables sondages dont la population française est plusieurs fois par jour abreuvé depuis plusieurs mois, indique toujours un « coude à coude entre Nicolas Sarkozy, président sortant, et François Hollande, digne par le PS, principal parti d'opposition, les deux entre 27 et 28 % des voix.

En troisième place se conforte Marine le Pen, à la tête de la formation d'extrême droite, le Front national, avec 15,5 % des voix. À l'autre bout de l'éventail politique, Jean-Luc Mélenchon, du Front de Gauche, réussit une remarquable percée, avec 14,5 % des voix.

Vient ensuite, le candidat centriste, François Bayrou, avec 10% des voix. Le reste des intentions de votes sur les « petits » candidats manifeste pour l'essentiel un rejet du sarkozisme, qu'ils s'agissent des voix se portant sur la candidate écolo, l'étonnante juge Eva Joly, celles des deux candidats d'extrême gauche, du gaulliste de gauche, Dupont-Aignan, et du candidat venu de nulle part et qui y retournera, Jacques Cheminade.

Au second tour, les pronostics sont plus nets. Aujourd'hui, François Hollande l'emporte avec un score entre 52 et 55% des voix. La messe est dite ?

Il faut être prudent. Bien évidemment, avant le dimanche soir du 6 mai, soir du scrutin final, tous les sondages ne sont que des photographies instantanées d'une opinion publique volontiers changeante.

François Hollande, 7ème Président de la Ve République française ? Le « chroniqueur de Paris » s'en réjouit ouvertement ! Se faisant, il ne fait qu'adopter les choix d'une grande partie de l'opinion publique française : il est urgent de sortir le sortant et François Hollande apparaît pour certains en creux, mais de façon croissante depuis des mois comme la seule alternative crédible. C'est un responsable politique raisonnable, raisonné, qui est nanti d'une réelle détermination, qui a le sens de l'État et qui, chose rare, sait faire preuve d'un grand humour. Ce qui, dans la sale période que nous traversons, n'est pas un handicap ! Mais l'affaire du 2e n'est évidemment pas encore totalement jouée?

Nicolas Sarkozy, diable d'homme ! Il ne faut pas jusqu'à la dernière minute sous-estimer sa volonté sans faille, sa tonicité intellectuelle, son agilité manœuvrière, sa rhétorique cédant souvent au populisme.

Mais la campagne actuelle du locataire de l'Élysée est à l'image du bilan calamiteux de son quinquennat : c'est un habile tacticien mais un très piètre stratège.

Entouré de conseillers très à droite, il avait cru habile d'appliquer la recette suivante : au 1er tour, je cueille avec un discours sécuritaire et anti-immigrés, les voix de l'extrême droite ; au second tour, j'irais pécher par un discours de réunification nationale, teintée d'une petite touche de social, les voix des centristes. A cette aune, il risque de ne recueillir les scrutins ni des uns, ni des autres. Sur un plan plus général, Nicolas Sarkozy porte son bilan comme un fardeau. Sur le plan de la sécurité, thème majeur de sa campagne présidentielle de 2007, l'ancien ministre d'intérieur qu'il est, ne peut qu'avouer des résultats médiocres, voire sur les délits et crimes les plus graves, une sérieuse aggravation.

Sur le front économique, l'actuel président peut plaider qu'il n'est pas responsable des aléas de la conjoncture mondiale. Il a raison mais la Cour des Comptes a souligné que 30% du déficit budgétaire était de sa seule responsabilité et non un effet du désordre financier international. Devant l'ampleur de la crise économique européenne, avec la Grèce hier, aujourd'hui l'Espagne, demain, l'Italie, peut-être la France et d?autres, il s'est rallié aux admonestations allemandes. Il a embrassé la jupe d'Angela Merckel ne croit qu'aux vertus de l'austérité (pour les autres), au libre-échange intégral et aux charmes d'un Euro fort, surévalué par rapport à toutes autres monnaies internationales. Mais voilà, qu'en pleine campagne présidentielle, Nicolas, jusque-là champion d'une Europe supranationale et autoritaire, comprenant le peu d'attrait du couple « Merkozy », conteste soudainement avec grands coups de mentons, les institutions reines de l'Europe libérale, Banque centrale européenne en tête, ralliant sans le dire mais de façon visible, l'exigence de son rival François Hollande, d'un « pacte de croissance européen ». Volte-face surprenant à une semaine des élections ! Quant au bilan de sa politique internationale, Nicolas Sarkozy vante trois grands succès : la Géorgie, la Côte d'Ivoire, la Libye. La Géorgie ? Dans la nuit du 7 au 8 août 2008, la Géorgie donnait l'assaut en Ossétie du Sud, territoire géorgien russophone qui vivait en large autonomie. Un cessez-le-feu avait déjà été négocié en 1992 afin de mettre un terme au conflit armé consécutif à l'effondrement de l'Union soviétique. Mais le président géorgien se croyait sûr du soutien des puissances occidentales qui lui avaient promis une intégration rapide à l'Union européenne. Le 11 août, les forces russes interviennent militairement et rétablissent le poids de Moscou sur les régions russophones de Georgie, l'Ossetie et l'Abkhasie. Rompez ! Nicolas Sarkozy s'est beaucoup agité pour faire croire que la diplomatie française avait « évité le pire » alors qu'elle n'a pu que constater le simple résultat d'un rapport de force.          La Côte d'Ivoire ? Les forces armées françaises sont intervenues militairement pour trancher un débat électoral confus entre Gbagbo et Ouattara. Cela fait un an, le 11 avril 2011, que l'ex-Président ivoirien Laurent Gbagbo, a été arrêté à Abidjan dans son palais présidentiel. Une arrestation rendue possible par l'intervention des militaires de l'armée française. Certes, Alassane Ouattara disposait d'une légitimité républicaine peu contestable. Mais les troupes françaises sont-elles là pour régler les contentieux électoraux dans la « Françafrique » ? Sur le dossier libyen, le bilan de l'intervention militaire américano-angle-française n'est pas bon, il est potentiellement explosif par ses retombées notamment avec l'actuelle partition du Mali et la déstabilisation de l'ensemble du Sahel.

HOLLANDE GAGNANT ? SES ENNUIS COMMENCENT !

Face à un Nicolas Sarkozy usé par son bilan mais capable de tous les rebondissements, François Hollande n'apparaît-il pas comme un peu trop facilement comme « tout nouveau, tout beau » » ? C'est un peu vrai mais le 1er bon coup du candidat de la Corrèze (François Hollande est président du Conseil général de ce département du Massif central, emblématique de la « France profonde ») a été de s'affirmer en début de campagne comme voulant être un « président normal ». Le « normal » permettait de trancher avec l'hyperactivisme sans effets palpables du président Sarkozy, son hypertrophie du « Moi » et ses aspects « Bling-Bling »...

Quant au programme du candidat Hollande, les 60 mesures proposées aux Français, il contient quelques propositions fortes touchant à l'équité fiscale, à la priorité donnée à la jeunesse et au rétablissement d'un dialogue républicain et social. Mais l'application de tout cela sera sévèrement conditionnée aux marges de manœuvres économiques et politiques dont disposera le futur président, s'il est élu. A titre d'exemples, une liste non limitative des ennuis prévisibles pour le l'actuel candidat de la Gauche :

- Sur quel niveau de croissance économique parier ? L'ensemble européen louvoie entre aujourd'hui entre la stagnation et le risque de récession, c'est-à-dire une « croissance négative », en clair, moins de créations de richesses, le tout assorti d'une possible remontée de l'inflation? Ce pari nécessairement réaliste détermine les marges budgétaires de l'État et ses capacités réelles de volontarisme économique et social.

- Quelle politique européenne ? L'Union européenne, premier exemple historique de libre association à échelle continentale d'états indépendants est actuellement rudement secouée par l'actuelle crise économique internationale. Cette dernière tend fortement les rapports entre les 27 états membres et notamment entre les trois principaux d'entre eux, la Grande-Bretagne qui n'appartient pas à la zone Euro et qui continue à estimer que la finance est son seul mode de développement, l'Allemagne monocentrée qui persiste à croire que l'austérité budgétaire (chez les autres) est la reine des vertus, la France en pleine ébullition électorale. Le futur Président de la République devra, au début de son quinquennat, tout à la fois imposer l'idée d'un « pacte de croissance » et pas seulement un diktat d'austérité, proposer la rénovation de quelques institutions de l'Union européenne telles la Banque centrale, le Conseil et le Parlement, leur rôle et leur fonctionnement.

- Avec quelle majorité gouverner ? Les élections présidentielles françaises ne se déroulent pas en deux tours mais en trois. Viennent ensuite les élections législatives, en juin 2012, qui apportent ou non, au nouvel exécutif la majorité parlementaire qui lui est nécessaire.. Imaginons que dans un souci de rééquilibrage, les Français votent majoritairement pour une Assemblée nationale dominée par la droite : nous entrons alors dans une phase de cohabitation avec un président de gauche élu contraint de nommer un 1er ministre issu de l'UMP. L'impuissance est au début du chemin. Autre hypothèse, plus souriante mais tout aussi complexe : si les élus du Parti socialiste ne remportent pas la moitié des sièges, avec qui faire alliance ? Avec les centristes de Bayrou, les élus écolos, les tenants de Mélenchon ? Avec les trois en même temps ? Ou séparément, selon les dossiers? ? Sacré boulot !