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Emploi (in)formel et paix sociale

par Hamiani Med Toufik *

Favorisé par un contexte socioéconomique conjoncturel, l'emploi informel s'est peu à peu installé dans le marché du travail des pays sous-développés.

L'Algérie, par exemple, qui se veut un pays émergent à l'avenir, se démène depuis plusieurs années pour sortir de ce cercle infernal à travers diverses politiques visant à structurer le marché du travail et à muter le secteur informel. Mais il se pose que ce secteur qui regorge un taux non négligeable de la population active reste le seul en mesure de résorber le chômage. Quoi que l'emploi informel échappe au contrôle et à la régulation de l'Etat, son importance pour l'économie nationale et la paix sociale est notable.

Autant d'éléments qui justifient la volonté de sa formalisation par les pouvoirs publics. Malheureusement, il se révèle également que dans la démarche générale, on se limite aux causes socioéconomiques en ignorant les facteurs sociocognitifs que culturels susceptibles d'encourager le développement de ce secteur et partant sa résistance au changement.

La paix sociale et la stabilité à l'intérieur de l'Etat dépend aussi de la qualité de celui-ci à assurer l'épanouissement des populations à travers une bonne politique de l'emploi et de lutte contre le chômage. Le défi de l'emploi est surtout de l'emploi décent que se fixent plusieurs pays est de réduire considérablement la pauvreté, ceci suppose une réduction du chômage effectif et une mutation du secteur informel vers le secteur formel.

Cela ne peut se faire que si la politique s'articule autour de trois axes majeurs : l'accroissement de l'offre d'emploi décent, la mise en adéquation de la demande d'emploi et l'efficacité du marché de l'emploi ; ce qui appelle en contre partie à la mobilisation et le déploiement de divers acteurs à tous les niveaux de la société.

En tout état de cause, certaines questions essentielles s'imposent d'entrée de jeu. Pourquoi les nombreuses politiques étatiques en faveur de l'emploi n'ont pas réussi à faire diminuer réellement le chômage ? Pourquoi la politique de lutte contre la pauvreté est infructueuse ?

Et comment formaliser le secteur informel pour répondre au mieux aux attentes de beaucoup de franges de la population ?

Des réponses appropriées à ces questions permettent de cerner l'ampleur du phénomène, la complexification du marché du travail et la menace constante qui pèse sur la paix sociale et la stabilité socio politique du pays.

Les pays industrialisés arrivent relativement à gérer cet éclatement du marché de l'emploi ou tout au moins à y proposer des solutions viables, par contre, les autres pays le ressentent de façon accablante compte tenu de la structure précaire même de leurs économies. A cette cause socio-économique que exogène, on peut ajouter une cause endogène beaucoup plus politique et souvent élaguée dans les analyses. Il s'agit de la mauvaise gouvernance du marché de l'emploi, née d'une politique de l'emploi non visionnaire (importation de solutions ou copier/coller).

En l'absence d'une règlementation rigoureuse et d'une carence d'information des usagers sur la structuration du marché du travail, les populations en mal de la « débrouillardise » deviennent des proies pour beaucoup d'agents véreux de l'Etat.

Ceux-ci terrorisent et intimident les acteurs du secteur informel tout en mystifiant de démarche d'affiliation et de filiation de leurs activités. Il s'agit d'une logique liée à l'autorité une logique qui porte essentiellement sur le droit que s'arrogent de nombreux d'détenteurs de position de Pouvoir de procéder à des formes d'extension aux dépens de leur « sujet » c'est à dire de ceux qui doivent passer par leurs fourches caudines. Tout se passe comme si ces procédés majestueux étaient, pour ceux qui en bénéficient, non pas de l'ordre d'un choix personnel mais relevaient bel et bien de leur fonction. Les paradoxes Algériens du taximan et du policier ainsii que du commerçant et de l'argent des impôts en sont très illustratifs.

Devant l'incapacité de l'Etat et du secteur privé normal à absorber l'essentiel de la population active, il s'est développé de nouvelles représentations du marché du travail.

Pour mieux envisager la résolution du problème de sous-emploi il semble important, après isolation du contexte d'émergence du travail informel de voir comment fonctionne ce sous-segment du marché de l'emploi. C'est à dire comment il se structure et quels sont les invariants structuraux qui assurent la pérennisation du système et sa résistance au changement face aux déploiements répétés en vue de sa régularisation voire sa formalisation.

On a tôt fait d'attribuer la cause de la ruée vers le travail informel à la montée du chômage suite à des crises économiques et les mesures d'ajustement structurel qui les ont accompagnées, cette formule qui arrange les acteurs du système n'est pas fausse, mais l'aborder de façon exclusive la détourne d'une analyse profonde qui permettra d'appréhender même le fonctionnement de l'emploi informel. Une compréhension sans laquelle, il serait illusoire de prétendre à la formalisation du secteur, il y'a d'autres facteurs qui ont contribué et qui contribuent encore à complexifier le marché de l'emploi et à entretenir le secteur informel.

Entre autres, la mondialisation, les flux de technologies et les opportunités transculturelles que ces dernières portent .ainsi, on peut dire que le développement du secteur informel et de l'emploi et de l'emploi atypique est favorisé par une déstructuration et une dérèglementation du marché du travail traditionnel. A la fin, le travailleur pense que l'essentiel c'est d'avoir un revenu qui lui permet de survivre et de faire survivre sa famille, à défaut de vivre décemment de son travail. Et ce travail qu'il exerce en attendant des jours meilleurs qui arrivent difficilement, il le conserve jalousement et le conserve même contre l'Etat qui lui promet un avenir meilleur dans le formel. Le travail autonome (informel) et les emplois précaires progressent régulièrement au détriment de l'emploi traditionnel ce qui engendre l'éclatement du marché de l'emploi et l'émergence de nouvelles formes de travail.

Cependant, il n'en reste pas moins vrai que l'Etat doit rester le principal régulateur du marché de l'emploi et offrir des conditions favorables à la création d'emploi décents, démarche qui doit prendre en compte les échecs des expériences passées.

 La difficulté de l'Etat, à formaliser l'informel, est réelle. Même si l'ambition reste poussée, il faut que le système qui encourage assure la pérennité de l'emploi informel ne sera pas mis à mal. En effet la traque des acteurs de ce système n'est pas suffisante pour le muter au formel. Encore que ce faisant, il y a le risque de faire développer des nouvelles formes pratiques plus insidieuses et plus difficiles à maitriser.

L'informel pose de nouveaux défis à la société toute entière. Des défis qui peuvent se résumer dans une perspective de régulation du marché de l'emploi nécessaire à une émergence effective de l'économie en terme de : comment muter l'économie informelle vers l'économie formelle ? Envisager des solutions durables, c'est établir les responsabilités des acteurs de la résistance au changement, c'est attaquer de fond les causes même de cette résistance, c'est assurer les acteurs du secteur informel quant à l'apport réel de la formalisation notamment en terme de la couverture sociale et de bien-être (pour les employés) ou de rentabilité et de développement de l'entreprise. Toutes choses qui ne sont possible que l'on attaque de plein fouet les facteurs d'expansion de ces pratiques à travers surtout l'allègement de la fiscalité, l'abattement des taux de sécurité sociale, gage d'un véritable développement socioéconomique et d'une véritable paix sociale et éviter les solution du temporaires qui durent mais aussi éviter d'être l'otage de sa propre politique de l'emploi.

* MOSTAGANEM