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Le printemps arabe, dites-vous ?!

par Aissa Hireche

Avril? c'est le début du printemps.

Le starter du rêve. C'est l'ouverture des portes et des yeux et, surtout, des cœurs. C'est le départ de quelque chose de nouveau et de beau! Nous les Arabes, nous aimons bien le printemps.

Depuis l'aube des temps, nous nous transmettons des rites et des festivités dont le seul objectif est de fêter cette période de la vie.  Une période dont les symboles sont les oiseaux, les fleurs et le soleil et qui est assimilée à la beauté, à la liberté et à la vie. Dans les histoires de nos grands-mères, il y a toujours une hirondelle, une fleur, du soleil, de l'herbe, des papillons? ou tout autre chose qui réfère au printemps. Dans les vers de nos poètes il y a toujours une place pour le printemps lorsqu'il ne s'agit pas d'alexandrins, voire de quatrains, carrément dédiés au printemps. Dans les airs de nos musiciens, il y a toujours un bémol qui fait le clin d'œil au printemps.

Notre histoire avec le printemps remonte au début, au tout début, du temps. C'est-à-dire à ce moment précis où nous avons raté le départ et à partir duquel rien n'a jamais été pour nous comme il faut. Ce faux départ qui nous a coûté du sang, de la sueur et du temps sans que nous puissions avancer, ne serait-ce que d'un pas, pour voir de plus près à quoi ressemble un présent et à quoi, bon sang, pourrait bien ressembler l'ombre d'un avenir.

Coincés entre l'hiver qui ne passe pas et le printemps qui n'arrive jamais, nous n'avons jamais su de quoi est faite une saison. Nous ignorons comment se passe une année et, dans nos souvenirs imprécis et fuyants, seules quelques feuilles mortes, presqu'entièrement recouvertes de boue, nous font croire qu'avant notre hiver il y eut, sur notre partie de la terre, un automne. Peut-être!

Nos grands-pères n'ont connu que l'hiver, sans même le vivre. Leurs grands-pères aussi. Nous, pour notre part, continuons aussi à faire perpétuer cette saison du froid et de la grisaille sans trop savoir pourquoi. Ni même comment !

Nos enfants, si différents de nous, peut-être un peu moins lâches, peut-être un peu plus téméraires, mais sans doute aussi un peu moins rêveurs, et voyant que l'hiver refuse de partir, ont décidé de convoquer le printemps. Et, comble de l'audace, ils lui ont même exigé une ? option. Le printemps démocratique !!!

En cœur abandonné, le printemps ne demandait qu'à être pris. Sauf que le printemps d'aujourd'hui est? trop âgé. Les cheveux blancs et la peau déshydratée et profondément creusée par les serres d'une période plus froide que l'ère glaciale, le printemps a perdu de sa verve et de sa beauté mais, malgré tout, il a décidé de répondre à l'appel.

Pour le principe, certes, mais aussi par respect à ceux qui ont eu le courage et la volonté de lancer le cri à travers les entrailles d'un hiver plusieurs fois millénaire. Et puis, surtout, par curiosité parce que le printemps n'a jamais entendu de parler de nous les arabes. Et pour une fois qu'il a la possibilité de voir à quoi cela peut bien ressembler, il ne va pas rater l'occasion.

Aussi, il n'hésita pas à glisser les pattes dans ses vieilles sandales et, se mettant à souffler dans son harmonica usé, il avançait au rythme de son arthrite et de ses veines éclatées.

Lorsque l'air remplit l'air et que la nouvelle que le printemps était en marche fut donnée, la joie s'empara de tout le monde. Les jeunes envahirent la rue, comme seuls les jeunes savent le faire. Les plus âgés, par regret de ne pas avoir essayé depuis trente-deux générations, se mirent à verser des larmes en caoutchouc. Certainement à cause des quelques balles en caoutchouc qu'ils n'avaient pas reçues. Et les femmes, comme font les femmes toujours, se mirent à innover dans les you-you de circonstances? Le printemps est en marche, se disait-on à tout bout de chemin. Alors vive le printemps, répondit-on un peu partout, presqu'en chœur.

Les chaînes de télévision du monde entier s'émerveillent devant le miracle. Nul ne s'attendait à ce que le printemps se levât après tant de temps passé couché. Certaines de ces chaînes se prosternent même longuement pour faire les louanges de facebook et s'attarder sur les vertus de la technologie moderne qui a permis de relayer les cris des jeunes.         D'autres se mirent à vouloir s'accaparer de l'instant, comme El Jazeera qui se découvrit, d'un coup et par on ne sait quel miracle, coach virtuel de la partie. D'autres chaînes, beaucoup plus sérieuses, se mirent à analyser qui la marche du printemps, qui la marche des hommes, qui la marche du temps? et les théories se mirent à couler. D'abord sur le pouvoir de ceux qui peuvent, ensuite sur le pouvoir de ceux qui auraient pu, puis sur celui de ceux qui pourraient? le complot, la traitrise, la vengeance? tout passait comme thèmes de débats télévisés entre d'illustres inconnus, d'ici et d'ailleurs.

Et tout passait aussi comme nourriture servie aux jeunes crieurs au printemps qui devinrent, par ci des manifestants, par là des révolutionnaires.

Dans tous les cas des héros adulés et applaudis ! Les plus audacieux iront jusqu'à proposer deux jeunes femmes signataire de l'appel au printemps au prix Nobel de la paix? pendant ce temps, le printemps avançait. Lourdement certes, mais il avançait tout de même? et plus il avançait, plus la fête grandissait. Un vieil imam ira jusqu'à faire un long voyage pour faire le prêche et la prière du vendredi sur la place Tahrir. Un autre vieillard prit ses valises et, le bas de la veste entre les dents, se mit à courir jusqu'à Tunis? un autre s'esclaffa à Doha de ne pas pouvoir faire de même pour aller à Alger. Puis commença une valse à dix mille temps comme aurait dit Brel. Ici, des américains, là, des israéliens, par ci des coptes, par là des chrétiens, de ce côté-ci les juifs, de ce côté-là des kurdes, là les chi'ites, là-bas les alaouites?

Le printemps, murmurait-on dans les salles de spectacles, n'aime pas les anciens régimes et les anciens maîtres. Il lui faut de nouveaux.

Oui, bien sûr de nouveaux régimes et de nouveaux maîtres! Ben Ali eut à peine le temps de se rendre compte qu'il n'avait pas compris les siens pour qu'il se retrouvât ailleurs. Moubarak s'entêta et se trouva sur un lit de ?.prison. Ali Salah reçut quelques obus. Kadhafi y laissa la vie? Nul ne savait à quoi pourrait ressembler la venue du printemps chez les arabes. Nul ne pouvait savoir.

Ni ces arrivistes qui font les intéressants en vous reprochant de tout vouloir expliquer par la théorie du complot.

Ni ces idiots ahuris qui, du jour au lendemain, se croient devenir des analystes politiques parce qu'ils habitent à côté d'une faculté de sciences po.

Les jeunes rêveurs, un peu partout où se trouve l'arabe, et qui voulaient simplement le printemps devinrent, par la force des médias, des manifestants endurcis et ne tardèrent pas à se transformer, par la grâce des émissaires d'Occident, en révolutionnaires.

Du sang coulait à flot en Lybie et au Yémen. Puis il se mit à couler aussi en Syrie lorsque les syriens se mirent en tête de vouloir faire une réception au printemps, de passage près de chez eux. Nul ne sait plus s'il faut chanter en attendant le printemps ou s'il faut panser les plaies grandes ouvertes. Nul ne sait plus s'il faut pleurer les morts ou en vanter le martyr. Nul ne sait plus si ce printemps tant désiré par nos amis occidentaux, plus que chez eux-mêmes, mérite tant de sang et tant de désastres.

La Lybie est brûlée et détruite. Les entreprises occidentales se frottent la main car elles vont devoir tout reconstruire, même ce qui n'a pas été détruit. Des guerres ci et là entre les tribus laissent croire que le désastre est bien parti pour durer et laisser le temps aux autres d'aspirer le pétrole maudit. Les gens d'Egypte ne savent plus comment passer du crépuscule à l'aube. Ils ont oublié le printemps et ne savent plus s'il faut l'attendre ou s'il faut le fuir. Au Yémen on attend aussi, sans trop savoir quoi. Ni pourquoi. Aux dernières nouvelles, il paraît que la nuit a jeté l'ancre. En Tunisie, certains ne veulent pas forcer le peuple à faire ce qu'il ne veut pas.

Ils veulent tout juste qu'il respecte ce que décide leur ? majorité. En Syrie la terre fume et le ciel fume? en attendant que passe l'hiver? tout le monde se regarde et puis, après un long silence, on se rappelle qu'il était question d'un printemps qui devait venir. Où est-il ? demande-t-on ci et là. Personne n'est capable de répondre.

On sait tout juste que, après une année de marche, il n'est toujours pas arrivé? personne ne l'a vu. Pas même les animateurs des plateaux de TV d'occasion qui refusent de faire leurs valises. Peut-être qu'il est parti dans le mauvais sens.

Qui sait ? Peut-être n'est-ce au fond qu'une fable à laquelle il faut bien cesser de croire ! Peut-être même que le printemps n'a jamais existé ailleurs que dans l'imaginaire. En tout cas, une fois encore, ni les arabes n'ont eu leur printemps, ni le printemps n'a eu ses arabes.