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Depuis juillet 1962

par Bureau De Bruxelles : M'hammedi Bouzina Med

C'est la commémoration de la fin de la guerre libération qui domine les célébrations du 50ème anniversaire de l'indépendance. Il ne se dit rien ou presque sur le bilan du pays depuis 1962, c'est-à-dire notre 50ème anniversaire, justement.

Quelque chose manque dans la célébration du 50ème anniversaire de l'indépendance nationale. Ce sont, justement, ces «50 années d'indépendance». Depuis le début de ces célébrations, un seul thème domine les débats, les manifestations et événements organisés tant en Algérie, en France, en Belgique, en Suisse et ailleurs : la guerre de libération nationale de 1954 - 62. Certainement qu'il le faut en cette année anniversaire symbolique, et continuer à le faire, tellement l'histoire de la génération de Novembre 54 n'a pas livré encore tous ses secrets et toutes ses vérités. Cependant, faut bien parler, débattre et faire le bilan des 50 années d'indépendance, comme l'indique le générique même de cet anniversaire : «50 ans d'indépendance».

Dans le cas où l'Algérie se contentera du seul rappel des faits d'armes de la guerre la libération en faisant l'impasse sur le bilan des 50 années d'indépendance, la fête ressemblera plus à une commémoration de la fin de la guerre qu'à un anniversaire où «50 bougies» illumineraient la naissance de l'Algérie indépendante. De plus, il y aurait comme un sentiment de culpabilité et de frustration, tant l'Algérie d'aujourd'hui est si loin des idéaux de Novembre 54. Tant la conviction dans l'idéal de liberté, le don de soi, le sacrifice de la génération de Novembre nous renvoient, dans l'Algérie d'aujourd'hui, à nos égoïsmes, nos démissions, nos inconsciences et jusqu'à nos trahisons. Car raconter, à juste titre, la guerre de libération et appeler au témoignage les femmes et les hommes qui l'ont menée et encore en vie, doit ben servir à quelques chose : le regard rétrospectif sur l'Algérie depuis 1962 à nos jours. Autrement dit, qu'avons-nous fait depuis 1962, où en sommes-nous ? Ainsi, le générique de la fête, «50ème anniversaire de l'indépendance» aura pris tout son sens. Le lien entre la guerre de libération et les 50 ans de notre indépendance ne peut être que celui de l'héritage des valeurs pour lesquelles nos aînés ont payé le prix du sang. Qu'avons nous fait de cet héritage si lourd, intense et riche depuis «50 ans» ? Les valeurs portées par nos aînés, sanctifiées dans la déclaration du 1er novembre 1954, marquées dans le marbre du Congrès de la Soummam en 1956 s'inscrivent dans celles de l'universalisme, de l'humanisme, de la justice, de la solidarité, de la démocratie et de la liberté des individus et des peuples.

Qu'est-il de nous 50 ans après ? Avons-nous intégré ces valeurs dans nos mœurs et comportements citoyens et politiques ? Avons-nous protégé et défendu cet héritage depuis 50 ans, depuis que nous sommes indépendants ? Y répondre sans détours, ni tartufferie signifierait faire le bilan de l'Algérie d'aujourd'hui et surtout découvrir le fossé immense qui nous sépare des martyrs de la guerre de libération et de ses survivants. Y répondre, c'est nous regarder dans les yeux et avoir le courage de reconnaître que nous avons dilapidé l'héritage de la génération de Novembre. Inutile de chercher qui a commencé la «trahison» des valeurs de novembre. Le régime de Ben Bella en 1962 et sa politique d'autogestion ? Boumediene et sa révolution agraire et industrielle? Chadli et son ouverture au libéralisme sauvage ? Zeroual et son intransigeance contre les islamistes ? Boudiaf et sa confiance au peuple ? Bouteflika et sa politique de réconciliation nationale ?

Les islamistes et la police politique depuis le début ? L'Algérie a eu plus d'une occasion de renouer avec les valeurs de Novembre, sans s'en saisir, jusqu'à nous replonger, oh ! Suprême trahison, dans une guerre fratricide, une guerre civile qui a duré plus que la guerre de libération ! Cet épisode tragique encore vivace dans notre chaire et notre mémoire est, plus que tout autre moment de notre histoire, à comptabiliser dans nos «50 ans d'indépendance», à assumer et à classer dans le chapitre des hautes trahisons des idéaux de Novembre 54. Et puis, il y a l'autre «acteur» lié à cet anniversaire : La France, celle officielle et celle de ses propres témoins. La France «célèbre» à sa manière la fin de la guerre d'Algérie. Pas celle des 50 ans de l'indépendance. C'est normal. C'est, sans doute cette façon française de concentrer les manifestations sur la guerre d'Algérie qui nous fait oublier de nous pencher sur nos 50 ans d'indépendance autant que sur la guerre de libération. Nous nous retrouvons dans la posture du vaincu (de la guerre) en demandant «le pardon» de la France d'aujourd'hui pour celle coloniale d'hier, alors que nous sommes les vainqueurs de la guerre. Belle aubaine pour les colons pieds-noirs, harkis et perdants de la guerre pour dispenser toute leur haine et leur colère de vaincus sur l'Algérie d'aujourd'hui.

Ils disent que nous n'avons pas su faire vivre, développer et protéger notre pays, alors qu'il n'a pas encore l'âge légal de la retraite du simple travailleur. 50 ans c'est beaucoup et peu dans la vie d'une nation. C'est peu pour un pays comme le nôtre après 2000 ans d'occupation, de guerres et de misère. C'est trop dans la vie d'un homme, d' une femme et pour les algériens post-indépendants, particulièrement les jeunes, qui ont connu (et connaissent encore) la violence, la répression des libertés, la «hogra» et le mépris de la part des pouvoirs successifs et la politique des clans, tribus, de l'opportunisme, de la corruption? Célébrer les 50 ans de notre indépendance en faisant appel à la noblesse de l'engagement de la génération de Novembre 54, ne doit pas nous cacher le désespoir des immolés par le feu, des harraga (immolé par l'eau), des miséreux qui nous tendent la main dans les rues, des exilés et autres «oubliés» de la nation. Parce que tant que nous n'auront pas appris les leçons des révolutionnaires de Novembre, celles de l'universalisme, de la justice, de la tolérance et de la liberté, toutes les réalisations, et il y en a, telles les écoles, les universités, les routes et autoroutes, barrages et mosquées, logements et musées etc. ne serviront point à faire le bonheur des algériens pour qu'ils fêtent vraiment un anniversaire commun : celui d'une Algérie libre et pleine d'espérance.