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Et les droits des malades ; qui s'en occupe ?

par Amara KHALDI

Ceux qui avaient pensé naïvement que l'augmentation des alaires allait se traduire par une bonne prise en charge des malades commencent sérieusement à déchanter.C'est plutôt l'effet inverse qui s'est produit : Une clochardisation rampante a corrompu toutes les activités et aucun artifice ne peut plus masquer ses méfaits dans les structures sanitaires du pays.Malgré l'injection de budgets colossaux la situation décline chaque jour un peu plus.Ni les multiples dotations en équipements modernes, ni les nouvelles réalisations d'infrastructures, encore moins les incessantes transformations et coups de peinture ne peuvent faire allusion à un progrès dans la qualité du service.Quand la volonté de bien servir est altérée, il est vain de chercher l'alternative dans la fourniture massive de matériel !

Hormis quelques rares exceptions engluées dans la médiocrité ambiante, le monde médical est tellement accaparé par la revendication des droits à coups de grèves à répétition qu'il a finit par totalement oublier ses devoirs envers ceux sans lesquels il n'a aucune raison d'exister : les malades !

Dans l'un de nos hôpitaux on a suivi les aventures de l'un des milliers de malades quotidiens ballottés d'un service à l'autre sans le moindre égard.Son tort est des plus communs : il est pauvre. La faiblesse de ses moyens en face des tarifs surréalistes pratiqués par les établissements de santé privés lui interdisent de recourir à leur service.Pourtant, neuf fois sur dix, un système insidieux mis en place par les nouveaux barons de la santé le conduira, contraint et forcé, à se saigner et se faire plumer par une quelconque clinique privée pour traiter une affection des plus ordinaires. Confronté à l'incapacité provoquée et entretenue du secteur public il n'a plus aucun autre choix possible

 Son itinéraire dans cette jungle nous révèle au fil des étapes les dégâts de l'absence d'autorité et jusqu'à quel point tout est devenu réfractaire aux règlements dans un univers où l'aléatoire a finalement supplanté la gestion rationnelle.

Essoufflé un vieux couple arriva aux urgences de l'hôpital en portant un enfant d'une demi-douzaine d'années dont les gémissements et les plaintes laissaient deviner une immense souffrance.Il se tordait de douleur et ses parents désemparées ne cessaient des'agripper à chaque blouse blanche qu'ils rencontraient dans les immenses couloirs grouillants de monde.

On est tout de suite frappés par la désorganisation et la gabegie dans ces lieux désertés par l'ordre et le calme, éléments indispensables pour le repos des patients.

Si certains parmi le personnel médical ne s'épargnent aucun effort pour exercer honorablement leur noble profession avec le peu de moyens qu'ils ont réussi à préserver jalousement du vandalisme ou du pillage, d'autres semblent s'accommoder à l'anarchie et n'éprouvent aucun scrupule à se dérober honteusement à leurs obligations avec une désinvolture à la limite de l'insolence

Cette espèce, dont personne ne peut expliquer l'utilité de leur présence se distingue par le mauvais accueil qu'ils réservent aux malades et la révulsion qu'ils affichent ostensiblement à leur contact.On imagine facilement le genre de rapports qu'ils entretiennent avec les grabataires non assistés d'un proche !

Après de multiples supplications et probablement l'aide d'une connaissance ou d'une tchippa discrètement glissée à la personne idoine on fit entrer le malade dans le cabinet du Généraliste.Ce dernier, après deux questions dont il n'attendit même pas la réponse, regarda sa montre et les orienta sur le «Spécialiste» dans l'autre aile de l'établissement hospitalier. Un autre parcours du combattant au milieu de la cohue et notre malade toujours soutenu et porté par ses parents parvint chez le Spécialiste.Un semblant de consultation et sans lever les yeux il prescrit une série d'examens de laboratoire et d'imagerie médicale. Le couple, tout content d'avoir pu enfin rencontrer cette sommité de la science et de l'humanisme, transporta l'enfant au laboratoire où à leur vue le préposé, mal rasé et postillonnant la chema à plein jet cria nerveusement de loin:»allez faire vos examens à la clinique «x»nous n'avons pas de produits.» Il a fallu plusieurs pérégrinations pour les deux vieux perdus dans ce magma pour trouver le bloc radio.Sur une porte un écriteau amovible est suspendu à un fil et portait l'indication :: en panne.

L'homme comprit sa douleur mais il préféra s'assurer auprès d'une paire de blouses blanches dont l'un fumait tranquillement sa clope en regardant le paysage par la fenêtre avec l'esprit en vadrouille.Son collègue, visiblement absorbé dans sa contemplation d'une noce de chats sous l'escalier d'en face répondit l'air agacé, sans même regarder de leur coté : la radio est en panne adressez-vous à la clinique «x»

Un infirmier apitoyé par cette scène pathétique vint à leur secours et administra quelques calmants au malade. Dans un profond soupir d'impuissance, il leur expliqua que tout ce qu'ils peuvent récolter s'ils tardent encore dans cet hôpital c'est une des maladies contagieuses qui rodent à cause du manque d'hygiène et leur conseilla amicalement de se diriger de suite vers la clinique privée pour faire les examens demandés.

Un peu apaisé par la gentillesse de cet agent l'homme osa poser la question qui le taraudait depuis tout à l'heure : est-ce que la radio et les examens de laboratoires sont payants à la clinique «x».Bien sur ! répondit l'infirmier au vieux qui s'accrochait encore à la notion de médecine gratuite devenue malheureusement ringarde.

Le frère du petit malade, appelé au secours, arriva sur ces entrefaites après avoir fait quelques emprunts pour conduire l'enfant à la clinique «x» où ils payèrent cash les examens dont personne ne peut affirmer l'utilité et encore moins garantir la fiabilité.

Se croyant au bout de leur peine ils retournèrent à l'hôpital en brandissant comme un trophée les résultats des épreuves.Le spécialiste les regarda d'un air complètement insensible à leur calvaire et s'adressa au père de l'enfant : Une intervention chirurgicale est nécessaire, il faut l'évacuer tout de suite sur la clinique»x»

Aux bords de l'apoplexie les braves gens s'affalèrent à même le sol en laissant fuser un long chapelet d'incantations religieuses assaisonnés de jurons du terroir : Aux risques de complication toujours possibles de l'opération s'ajoute l'inévitable facture à payer ! Et avec quoi ?

Après information auprès de la clinique»x»ils apprirent que l'intervention chirurgicale allait leur coûter une somme hors de portée de leurs pauvres ressources. La mort dans l'âme, l'homme mit en berne sa dignité et accepta l'idée de l'Imam du quartier et le recours à la solidarité.Quelqu'un se proposa de prendre en charge l'opération et demanda s'il était possible d'avoir une facture. La clinique «x» offusquée par cette «étrange» requête répondit que cette chose ne se fait pas en Algérie !

 Après avoir payé rubis sur l'ongle, l'enfant fut admis au bloc opératoire en toute urgence et là quelle ne fut leur surprise en retrouvant le spécialiste qui n'avait montré aucune disposition pour s'en occuper et effectuer le même travail dans la structure publique.

 Nullement gêné par cette forme de prostitution notre «spécialiste» sous une autre casquette est complètement métamorphosé par la cupidité du gain.

Dans cet espace l'ambiance et le personnel de service ne ressemblent en rien à ceux de l'hôpital, Ici point de syndicat ni de fortes têtes pour passer leurs caprices sur la tutelle en prenant en otage les malades qui viennent quémander leur aide.Personne ne se laisse effleurer l'esprit par une quelconque velléité de réclamer le moindre des droits sans être vraiment indispensable et surtout rentable à l'employeur.Le seul qui a le droit à la parole c'est le patron et il fait ce qui arrange au mieux ses intérêts en dehors de toute autre considération.

En clinique la plupart des malades et surtout les accouchements doivent passer par le bloc, l'objectif est de rentabiliser au plus vite l'investissement et s'enrichir sur la détresse de l'humanité et lorsque, par incompétence, on pousse quelqu'un jusqu'à un stade désespéré ou qu'il n'a plus de quoi payer, on s'en déleste sans aucun état d'âme sur l'hôpital pour ?y trépasser.

Devant cette incurie on se demande quelle est finalement la raison d'exister de toute cette infrastructure avec ses équipements ultra sophistiqués mais chroniquement inutilisables pour différentes raisons et son personnel pléthorique et d'une mauvaise volonté manifeste doublée le plus souvent par un comportement irrévérencieux.

Dans ce corps médical que nous enviaient même les pays avancés s'est glissée malheureusement une nouvelle graine de «praticiens» sans aucun respect pour le sacerdoce. Cet ersatz de «spécialiste» qui piétine sans aucun scrupule les valeurs humaines de la médecine s'est transformé par dépit dans son propre pays en vulgaire trabendiste de la santé tout juste parce qu'il a échoué lamentablement dans plusieurs tentatives d'exercer ses «talents» hors frontière, même en tant que larbin de second ordre. Au lieu de soulager la souffrance et de gagner dignement son salaire, Il s'est trouvé une vocation de rabatteur pour les cliniques privées, où il s'adonne à son sport favori ; prescrire et réaliser des interventions souvent injustifiées pour dépouiller les malades (l'exemple courant des césariennes systématiques)

Quand il n'est pas occupé à débusquer la proie à l'hôpital transformé en banal terrain de chasse giboyeux, il s'arrange avec ses congénères pour trouver une raison de se plaindre et déclencher carrément des grèves interminables pour exiger du secteur public des droits à tiroirs dont la liste se rallonge chaque jour.

L'appartenance au secteur de la santé, c'est juste pour bénéficier d'avantages mirobolants et d'une base-refuge en cas d'échec ailleurs.On s'assure un tremplin pour organiser sa fortune tout en continuant à prospecter les moyens de changer de latitude à la première occasion.

Nos hôpitaux, dramatiquement précarisés par le chantage à la grève et l'absence de discipline, sont devenus entre les mains de ces fossoyeurs de la santé publique de véritables tonneaux des danaides.Quel que soit le volume et la fréquence des approvisionnements consentis par l'état, la pénurie des produits médicaux est endémique et la panne des équipements chronique.Un phénomène qui n'échappe pourtant à personne tant le malaise est généralisé et permanent. Si une infime minorité peut se permettre des soins dans des cliniques privées ou même à l'étranger, la plus grande partie de la population est condamnée à subir l'humiliante incapacité des structures publiques qui ne peuvent plus répondre à la demande à cause de la défaillance endémique créée artificiellement.

 Si jamais l'adversité vous mène vers ces hauts lieux sensés refléter le meilleur visage de la charité humaine, n'oubliez pas de vous munir de votre literie, d'un sachet de médicaments, d'une jerricane d'eau potable, de beaucoup de patience et surtout d'un garde malade pour veiller sur votre entretien et vous ramener la nourriture de l'extérieur (celle que l'hôpital sert aux pensionnaires est généralement incomestible)

Dans ce qui est devenu la dernière station avant le cimetière, même le laveur de cadavres n'a pas échappé à la soif de l'enrichissement rapide au point où l'on reproche à certains d'entre eux de détrousser sans aucun état d'âme les dépouilles !

Autant que l'éducation nationale, le secteur de la santé doit impérativement être mis à l'abri des trabendistes et subir sans plus tarder des actions vigoureuses d'assainissement.

On ne joue pas avec la santé du peuple !

Au fait, à quoi sert donc un hôpital ?