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Votez «oui»

par Ghris Djillali

Les choses étaient bien plus simples pour tout le monde. Les analphabètes avaient toujours, au départ, cinquante pour cent de chance de tomber sur leur choix. Ils étaient surtout certains de figurer dans le résultat final, étant donné que le «oui» et le «non» signifiaient la même chose. On concluait toujours avec un pourcentage maximum de «oui». Les comptes finaux étaient faciles.

Les résultats plaçaient toujours les mêmes personnes aux commandes. Cela n'empêchait pas les choses de faire quelques pas en avant. Aujourd'hui, avec beaucoup de travail et des dépenses énormes, nous avons les mêmes résultats. Pour le citoyen ordinaire, la médiocrité de gestion n'a pas changé. D'un coté l'état dépense des fortunes, signe de bonne volonté de progresser, mais d'un autre, nous avons des émeutes presque tous les jours et dans toutes les régions. Le mécontentement populaire a pris des dimensions effrayantes. Bien sûr, des projets immenses ont vu le jour. Nous avons de jolies routes, le métro, le tramway, de grandes cités et bien d'autres infrastructures en projets, mais tout cela semble ne pas suffire en cette époque des grandes attentes. Il est bien clair aujourd'hui, que les grands moyens sans grande intelligence dans la gestion, ne peuvent suffire pour satisfaire des exigences de plus en plus pressantes. Est-il donc nécessaire d'attendre des discours et des statistiques pour comprendre que l'incompétence et la négligence ont trop duré ? C'est le temps des vérités. Nos enfants ne sont plus comme nous. Ils savent tout et ne sont pas prêts à fermer les yeux et patienter, comme on l'a fait, lorsque le « oui » et le « non » avaient le même sens. Ce qui nous a conduit à notre état actuel. Celui qui votait « non » n'était pas nécessairement moins nationaliste, il avait tout simplement une vision différente des choses. Une vision qui, si on avait pris la peine de l'étudier, on aurait peut être épargné bien des dégâts. Et des retards. Un jeune collégien de treize ans a récemment demandé à son père, un voisin : « Parce que le wali est un homme actif, notre village a changé de visage, c'est très bien. Mais comment expliquer que dans notre école il y a toujours des salles sans étanchéité, sans lumière adéquate, parfois sans chauffage,? ? ». Bien sûr, en se rappelant qu'autrefois, sans gaz naturel et avec peu de moyens, les classes étaient chauffées avant même l'arrivée des écoliers, on comprend que la question n'est pas seulement une affaire de choix binaire, « oui » ou « non », ou multiple, entre partis multicolores.

Aujourd'hui, ils sont plus d'une vingtaine de partis censés nous représenter, mais on n'entend aucun. Ils sont là pour ne représenter qu'eux-mêmes. Les affaires locales sont gérées par des personnes désignées à notre insu et nous n'avons ni le pouvoir, ni les moyens de les contrôler. Les élus locaux ne sont là que pour un rôle secondaire, pour servir de décor, pour tromper on ne sait qui.

La désignation des responsables, souvent selon de faux critères, est une chose courante chez nous, et on la trouve dans tous les secteurs.

A titre d'exemple, un directeur central, fraichement nommé à la tête d'un grand institut de formation, arrive pour la première fois à une école à Oran. Pour une première rencontre, le personnel ne s'attendait pas à entendre : « j'ai tout juste trente minutes pour vous écouter ». Et effectivement, le premier intervenant était arrêté avant même de terminer ce qu'il avait à dire, et le reste des présents a compris que le nouveau chef était vraiment pressé de clôturer la séance. Et ce n'était pas l'avion pour Alger qui l'attendait, parce qu'il est resté l'après midi visiter les lieux. Un responsable qui n'a pas la patience d'écouter ses subordonnés est un mauvais gestionnaire. Il n'a pu être désigné que par un autre pire que lui. Lorsque les bases élémentaires de la bonne gestion ne sont pas respectées, il est illusoire de parler de bons résultats. La qualité du travail est fortement liée au moral de ceux qui le produisent. L'injustice, quelles que soient ses formes et ses sources se traduira toujours par de mauvaises performances.

L'incompétence, on la sent, on la voit, on la vit et on est souvent forcé de la supporter. On ne peut pas la cacher. Lorsqu'on doit parcourir, par exemple, des centaines de kilomètres et passer des mois pour compléter des dossiers, tout juste pour corriger, ajouter ou enlever une lettre de son nom, il est bien évident que cela n'est pas normal. L'identification d'un individu se fait à la base de dizaines de paramètres, déjà inscrits sur le même document. Trouver deux individus avec les mêmes noms et prénoms, les mêmes lieux de naissance, les mêmes dates de naissance, les mêmes noms et prénoms des parents, etc., est une chose purement impossible. Alors pourquoi punir un citoyen en l'obligeant à courir pour changer une lettre dans son acte de naissance, lorsque cette lettre arabe, par exemple, peut avoir plusieurs traductions en français ? On punit le citoyen pour une erreur qu'il n'a pas commise. L'administration ne peut-elle pas corriger ce genre de fautes, par simple demande écrite ? Surtout lorsqu'on sait que cela concerne un grand nombre de citoyens. Faut-il avoir des génies pour résoudre ce genre de problèmes élémentaires, qui dérangent inutilement et au quotidien, des milliers de citoyens ? Avec le téléphone et le réseau informatique, un simple agent de l'administration peut facilement rassembler tous les documents nécessaires et épargner le citoyen une punition inutile. Un lycéen né à l'étranger, raconte qu'au lieu de se concentrer sur la préparation de son bac, il passe son temps à rédiger des lettres, à droite et à gauche, pour la correction de son nom comportant des lettres ayant la même prononciation en français et des sons différents en arabe, « gh » et « r », pour l'obtention d'une carte d'identité, obligatoire, le jour de son examen.

Lorsque le sens des priorités est absolument absent, on ne peut pas parler de gestion. Gérer le hasard demande beaucoup de moyens, d'efforts, d'énergie et d'intelligence. Cela ne doit pas hasarder la gestion pour arriver à des résultats incertains et entrer dans une spirale infinie, telle une suite divergente de complications. On n'en finira jamais. Pourtant, c'est apparemment ce qui se passe chez nous. On a l'impression que nous vivons une éternelle crise. On cherche à moderniser sans l'adhésion efficace du citoyen, qui de nos jours, se sent absolument à l'écart. A quoi bon voter si tous les programmes politiques se ressemblent ? Tous les partis promettront des emplois, des logements, de la justice sociale, etc.?Et les billets de banque qui sont toujours sales et déchirés ? Depuis quand les citoyens souffrent de cette situation ? Ce qui se passe chez nous, ne se trouve nulle part ailleurs. Dans une banque, j'ai assisté à une querelle entre un client et le caissier : « Je ne prends pas ces billets de deux cent dinars déchirés, la dernière fois j'ai passé mon temps à les scotcher et prier les commerçants pour les accepter ».

Et les queues d'attente, au quotidien, dans les bureaux de postes, les tribunaux, les APC, les hôpitaux ? Et la mauvaise gestion locale ?

On nous trouvera toujours des arguments pour justifier les multiples erreurs de gestion et la négligence exagérée, mais personne n'est convaincu lorsque ce sont les mêmes erreurs qui se répètent alors que les moyens ne manquent pas pour mettre fin à cette situation.

En 2012, on croyait qu'après tout ce qui a été dit et écrit, on n'allait plus revoir les mêmes modes de fonctionnement archaïque. Malheureusement, rien n'a changé. On continue, par exemple, de voir dans la même wilaya, une route en assez bon état en train d'être refaite à zéro, avec tous les dérangements connus, alors qu'à côté, une route nécessitant une intervention urgente, tout simplement négligée. La route liant la zone industrielle d'Arzew à l'autoroute est-ouest, jonction d'Oued Tlélat, et trop fréquentée par des camions citernes provenant surtout du sud-ouest, est un bon exemple.

Nous avons encore le problème des jeunes du pré-emploi qui sont encore injustement exploités. Leur misérable paie est souvent en retard. Lorsqu'ils commencent à se stabiliser et maitriser leur fonction, ils sont renvoyés malgré le manque de personnel dans les unités.

Dans un grand et joli bureau de poste, une vieille dame trop abimée et apparemment malade, entre et se dirige vers la seule employée :

- Bonjour. Je vois que tu es seule ma fille, j'espère que vous n'êtes pas en grève.

- Non, El Hadja, seulement les deux collègues sont des pré-emploi, et comme elles n'ont pas reçu leur paie pendant plus de deux mois, elles ont décidé de partir.

- C'est triste. Je suis venue pour retirer un chèque de cinq mille dinars.

- Désolée, El Hadja, je n'ai pas un sou dans la caisse. Mais reviens cet après midi, il y aura peut être de l'argent.

- On ne va pas le fabriquer cet argent ? S'il est déjà disponible quelque part, est-il si difficile de l'avoir maintenant ?

Un client arrive et interrompt la discussion :

- Bonjour. J'ai quinze mille dinars à verser au compte de CETELEM.

- Désolé Monsieur. Je n'ai pas d'imprimé, je ne peux vous effectuer cette opération.

- La dernière fois c'était l'imprimante en panne, et cette fois ci, c'est l'imprimé qui manque. Mais comment est ce que vous travaillez ?

Nous vivons trop de faux problèmes, et cela rend malade. Le laisser aller, telle une contagion dangereuse, s'est propagé pour atteindre des proportions incroyables. Il ne suffit pas d'avoir de jolis établissements pour prétendre au développement, il faut surtout avoir des citoyens motivés, et donc prêts à plus d'efforts et de sacrifices pour défendre l'intérêt commun.

Lorsqu'il y a preuve de négligence et d'incompétence, un responsable qui se respecte démissionne. Dans un système correct, ce responsable sera démis de ses fonctions. Il ne sera pas appelé à d'autres fonctions, parfois à un poste meilleur. En récompensant l'incompétence et la négligence, nous avons encouragé le laisser aller et la médiocrité. On est arrivé à ce mode de fonctionnement lorsqu'on a réussi à anéantir toute opposition et on a cru gérer une propriété privée. Seule une opposition forte est en mesure d'assurer un avancement sain et durable de la société. Ce qui est basé sur du faux ne dure jamais. En cette période dangereuse de transformation du monde arabe, il est difficile de comprendre comment on continue encore à ignorer les voix multiples qui appellent à plus de transparence et de sérieux dans la gestion du pays.

On se demande aujourd'hui, si l'arabe dans son état normal, n'est pas à moitié anormal, sourd, muet et aveugle. Les Tunisiens disent qu'ils sont différents et qu'ils ont leur spécificité, les Egyptiens disent la même chose, les Syriens, et tous les autres. Les Algériens, le disent aussi. S'il est vrai que des particularités existent dans les différentes sociétés, cela n'empêche pas les peuples d'avoir tous, plus ou moins, les mêmes aspirations. Tous les peuples sont nés libres et sont déterminés à le rester, quel que soit le prix à payer. Une gestion intelligente permet toujours d'atteindre un certain degré d'équilibre entre les différentes forces pour garantir un développement stable de la société et assurer l'avenir des générations futures. Et comme les dictatures ne permettent généralement pas de changements progressifs des régimes, il est tout à fait naturel, qu'à la longue, les peuples arrivent à la conclusion que la seule alternative reste la force. Une transition sans grandes perturbations nécessite une très grande intelligence. En effet, durant les longues périodes des dictatures, se tissent des liaisons complexes qui font que la corruption se généralise et la mafia se transforme en pouvoir parallèle. Pour mettre fin à de telles situations, il faut l'adhésion du peuple qui doit d'abord être prêt à écouter les discours. Un peuple qui n'a pas confiance en ses responsables, pour être trop déçu, ne les écoutera peut-être pas les moments difficiles.

On peut tromper une partie du peuple, une partie du temps, mais on ne peut pas tromper tout le monde, tout le temps. » Je crois que c'est Abraham Lincoln qui a dit quelque chose comme ça. Les citoyens ne sont pas stupides, ils sont tout simplement patients. Evidemment, comme il y a des niveaux et des degrés dans toute chose, il y a également des degrés d'intelligence, de niveau d'éducation politique, de conscience et bien d'autres caractéristiques entre les peuples. Nous pouvons par exemple dire, que vers la fin des années quatre vingt, les Algériens étaient les seuls dans le monde arabe à suivre les effets de la perestroïka soviétique, en avance même de quelques pays de l'Est. Nous sommes le seul pays arabe à avoir eu six leaders différents en moins de cinquante ans. L'expérience des algériens dans le domaine politique est beaucoup plus riche que celle de bien d'autres de la région et le peuple algérien le sait. Il sait également que le pays ne manque pas d'experts et de moyens pour jouer les grands rôles dans la scène politique.

Toutefois, le citoyen ordinaire pourrait ne pas comprendre ou ne pas être intéressé par les grandes questions politiques ou économiques. C'est une affaire des experts et des élites politiques, et l'Algérie n'en manque pas. Ce qui l'intéresse, par contre, c'est surtout son mode de vie au quotidien. Il peut ne pas être intéressé par ce qui se passe dans notre région, mais les dirigeants intelligents savent que nous en faisons partie et que nous devons être attentifs à ce qui se prépare. Bien sûr, les dictatures sont partout pareilles et elles n'écoutent personne. On ne comprend pas, par exemple, comment, un pays comme l'Iran avec tous ses atouts économiques et géostratégiques, a choisi le domaine de l'armement pour prouver sa capacité d'influence dans la région ? Nous ne doutons pas du courage et de la détermination de nos frères persans, mais quand les forces du mal déclarent la guerre loin de leurs territoires, ce sont toujours nos terres et nos peuples qui souffrent. Les mercenaires à la recherche de visas en occident seront utilisés comme boucliers, et les dépenses seront payées en surplus par les valets arabes. Les forces impérialistes ne perdent rien, et ne cherchent que des prétextes pour renforcer leur présence dans les zones qui les intéressent. En trompant comme d'habitude, avec la propagande qu'elles maitrisent bien, les opinions internationales, elles cherchent l'occasion de tester leurs équipements militaires modernes et, surtout, garder le monde musulman sous surveillance. Si les Arabes ont prouvé leur ignorance et l'ont confirmé, on croyait les Iraniens un peu plus intelligents pour éviter de tomber dans le piège qui leur est tendu.

L'Algérie a les moyens pour réussir une transition douce vers un système démocratique réel et stable, avec plus de justice et de liberté. L'année 2012 doit être l'occasion à ne pas rater pour se replacer une fois pour toute sur la bonne voie. Donc, « oui » ou « non », les Algériens seront-ils au rendez-vous ? Et si tous les partis agréés participeront aux élections futures, pourrions-nous dire qu'on a réussi le pari ? Non. Car, ce qui compte réellement, c'est le taux de participation des citoyens. Des partis sans poids réel, n'attirent personne et ne changeront rien. Et pour rétablir la confiance des citoyens, il faut tout d'abord commencer par résoudre les faux problèmes qui ont trop duré.