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Le peuple syrien aime-t-il son président ?

par El Yazid Dib

L'on ne pourra jamais à l'apparence, oser croire en une telle niaiserie.

Et pourtant tout est possible.

Les Syriens le disent, les autres le réfutent. Qui croire ?

Les appareils politiques sous diverses formes mis en place par les régimes arabes en vue de leur assurer une légitimité façadière sont les plus sollicités en ce moment. Les medias et autres tambours de guerre deviennent une alimentation vitale pour un système obligé d'être hémodialysé. L'avis à faire par tout observateur de la scène syrienne dépend des matériaux réflexifs ramenés pour le construire. Si l'on les puise d'une chaine qatarie, le feu et le sang sont les titres génériques de tous les horaires. Si l'on va le faire ailleurs, dans le local les annonces sont d'un contraire à rendre coq une poule. Le caquet de l'une ou la confabulation de l'autre traduit nettement un préalable positionnel facile à déchiffrer. La guerre des tranchées voudrait que l'intérêt surplombe la vérité et que celle-ci s'érige volontiers dans un zoom dirigé expressément vers un diagramme, un timbre ou une bouche grandement ouverte. C'est selon les pourvoyeurs et les providers. Le président syrien, comme ses comparses arabes, qu'il soit ou non responsable ou coupable De meurtres, de muselage doit partir. Tout simplement. La Syrie comme la table d'Aznavour est desservie. L'amour multiple et unanime s'est envolé avec les éclats provenant de l'explosion tunisienne. Il s'est mis nettement en sourdine suite aux vociférations trop bruyantes fusant du Caire ou de Tripoli. Maintenant le souverain de Damas, malgré les abondantes affluences de personnes dressées comme des soldats russes, est touché par une invalidité historique qui l'exempte de poursuivre à jouir de l'héritage illégal malicieusement acquis. Mais comme le gène égocentrique cours aisément dans l'hémoglobine de tout despote usé ou en cours de gestation, la biologie du dirigeant arabe l'empêche de se mettre face à une glace miroitant son propre reflet. Il se croit invulnérable devant le complot ou envers la spontanéité d'une manifestation. La vérité n'est unique à son œil-conseil que dans un rapport strictement confidentiel. Celui de ses propres oreilles. Son œil de bœuf. La rue pour les partisans du pouvoir devient un eternel échafaud de montage d'intrigues et un tréteau de pièces dramatiques. Jamais une expression de pure vérité. De toute manière, contestion et réprimande vont comme un bon ménage sans avoir pour le faire à s'en offusquer. De surcroit dans un espace contaminé par le gout aventuriste ou par cette irrésistible envie de changement radical. A voir de prés le quotidien des syriens, ils ne sont pas mieux lotis que leurs confrères arabes. Longtemps mis sous la domination d'un homme, puis d'une famille, puis d'un homme, l'on a fini par croire que la vie ainsi menée n'est pas une condamnation à jamais. Il suffit de faire la gueule la suite d'autres vont s'en charger. Comme en Lybie. Ce qui s'est passé un peu loin aussi, laissait entrevoir des sentiers de lueurs qu'il faudrait bien imiter, sinon les faire adapter à la structure systémique du régime qui sévit. Des chaines bien en montre, devenues par la force de l'événement une réplique grande vision de facebook, n'ont eu de cesse de mettre dans la case des grosses rebellions populaires, des scènes atroces intenables à voir et encore à vivre. L'armée tire sur le peuple. Les policiers maltraitent les paisibles manifestants. Des chars et des tanks sillonnent, en bouclant hermétiquement les artères des villes. Les hôpitaux jonchés de cadavres et bondés de blessés. Une image, quoi, apocalyptique ? Cela dure depuis plus de huit mois. Le conseil de sécurité n'a pas bougé d'un iota, laissant le soin de l'agitation à une ligue arabe tâtonnante et otage d'un régime seigneurial et monarchiste. Par contre, au gré d'un zapping inhabituel vers des chaines inaccoutumées aux goinfres de l'information sensationnelle, l'on vous montre les séquences d'une vie ordinaire, d'un vendredi banal, des rues simples avec des marcheurs tout aussi simples. En accentuant le trait du commentaire sur les tentatives de déstabilisation, l'intervention extérieure, la main de l'étranger et les manigances des fauteurs de trouble et acolytes subversifs. Ainsi face à un pays, vous avez le droit à l'avis de tant de pays. Pas des moindres. L'avis du Burkina Fasso ou de la Mandchourie ne compte pas. Ce sera celui de la finance, des gros ordonnateurs, et des gendarmes du globe qui interférera dans l'unanimité de l'avis universel, allant jusque dans la décision des sans avis. Face à une situation donnée, vous avez l'embarras de faire un avis juste et cohérant. Que signifient ces nombreuses foules scandant positivement le régime ? Ces gosiers qui scandent les vivats et les hourras ? Ces écrits de soutien sur le mur de la toile ? Ces aveux de terroristes engagés à nuire l'image du pouvoir ? Un scenario monté de toutes pièces, dira la plupart des observateurs. Et les autres qui s'entêtent à abattre le régime. N'y a-t-il pas derrière un scenario peuvent légitimement dire les autres ? Les éléments récoltés par-ci et par-là font que naturellement chacun des protagonistes à la ferveur de ses sympathisants. Ils agissent au mieux de leurs intérêts. Notre pays avait vécu toute sorte de montage, remontage, de vérité et de contre vérité. A l'époque des années de sang, l'information fabriquée ailleurs faisait du pays une contrée en pleine guerre civile, les ambassades sommaient leurs ressortissants de rentrer, les ministères des affaires étrangères étrangers faisaient dresser des notes d'attention et de retenue à l'égard de tout un chacun s'apprêtant à y venir. La vigilance défiait d'un peu l'interdiction d'y aller. Pourtant nos enfants continuaient à aller à l'école, nous à prendre nos cafés, les femmes à se pavaner aux souks, les jeunes à se marier, les vieux à divorcer, les équipes à lutter pour le championnat. La vie faisait encore ses bouts de chemin. Non en évidence, sans peur, ni crainte.

 L'opposition syrienne que l'étranger avait mise sur orbite, à l'instar du CNT libyen, devait se constituer à partir des plateaux de télévisions externes. Des ONG bien ancrées dans le style de l'emmerdement des systèmes politiques durs à fléchir ont une recette standardisée pour tous. Faire appel à des sommités dans la sphère intellectuelle, scientifique, religieuse ou politique. Décortiquer l'espèce fondamentale du régime, extraire les scories et orienter facilement l'émoi su spectateur sur la justesse de l'action interventionniste. Ces débateurs au verbe facile sont le plus souvent fabriquées maison. Kardaoui est au même titre que BHL ou Alexandre Adler, Sifaoui est comme Anouar et ainsi de suite. Parfois la quête de notoriété se dessine en filigrane lorsque l'on renie jusqu'à sa propre origine. Ethnique, morale ou idéologique.

Un écrivain rebelle à la norme du pro-occidental, Pascal Boniface a bien traité ce sujet dans un pamphlet qui subit à ce jour la loi de l'omerta, car s'attaquant à ces grands faiseurs d'opinions, qu'il qualifie et c'est le titre de son ouvrage de « les intellectuels faussaires »

Qu'on le veuille ou non, la Syrie continue d'être, dans cette géopolitique moyen-orientale un rempart difficilement franchissable pour les desseins occidentaux agissant en sourdine pour le compte de l'entité sioniste. Israël, pour sa voracité permanente de se protéger devait inscrire en illisibilité dans la feuille de route de ce fameux GMO, l'impérieux besoin stratégique de réduire l'arsenal du fort arabisme que représentait la Syrie assadienne. L'Irak avec un Saddam intransigeant faisant partie d'une histoire maintenant révolue et salie, constituait à l'époque une puissance de dérangement et d'inquiétude. Mais somme toute, ce ne sont pas exclusivement ces genèses qui font croire que l'hégémonie outre-Atlantique est en phase de détruire. Ce sont surtout la félonie et le zèle de ces dirigeants, pourtant gérant de grands pays qui ont à attiser, en outre la colère de leur propre progéniture, le désarroi universel. Ce sont en fait eux même, leur inaptitude à comprendre leur peuple, leur inadéquation pragmatique en total désaccord avec le sentiment national qui ont par ailleurs contribué à leur largage d'une façon incommode et désinvoltante. Les USA ne sont pas partis sac à dos en prime dans les rues du Caire pour faire déguerpir un Rais octogénaire, impotent et invalide. Ils ne sont pas partis dans des chars supra armés à Sidi Bouzid pour écrire le légendaire « Benali dégage ». Encore loin de s'en être fourrés dans la cite de Benghazi pour vaincre l'auteur farfelu du livre vert. Certes la main et l'intelligence y étaient. Les services directs et via de la philosophie, de l'art, de la musique des media ont amorcé pour finir un travail de sape en bon ordre. Quelques écrans étaient là pour faire apparaitre le travail informationnel entrepris pour sauver ou protéger les civils. L'OTAN est devenue à notre insu une ONG de bienfaisance et d'assistance humanitaire. On distribuait des bombons en compagnie de quelques petites bombes. L'ONU pour le cas syrien s'est empêchée à ce jour de fourrer directement son nez. Faute de preuves tangibles, peur d'un déséquilibre semi-mondial le Conseil de Sécurité, d'habitude prompt à ce genre de guerre s'est limité à de timides admonestations, privilégiant à son sens le ballet diplomatique. Il s'en était autrement comporté avec l'Irak ou la Lybie. Le secrétaire général aurait délégué dans une première phase ses pouvoirs de maintien de la paix à la ligue des Etats arabes. Le 22 courant sera, dit-on déterminant dans le dénouement du feuilleton syrien. Les Arabes vont encore se réunir et écouter le rapport des observateurs, en attendant la seconde phase de contingenter des envois de forces. Le terrain doit être préalablement préparé. A voir les signes manifestes du soutien d'une frange de la population à son président, le délai de onze mois est assez éloquent pour exprimer quand bien même une résistance inouïe. Ce délai semble avoir épuisé le pari relevé par certaines capitales ou par certains esprits prémonitoires. Les Tunisiens ont expédié le leur dans moins d'un mois. Les Egyptiens plus vifs, l'ont fait en 17 jours. Devant cette « opposition populaire » à renverser d'un coup de manifestation leur président, les Etats antagonistes et « l'opposition démocratique » feignent d'attendre et misent sur l'usure du pouvoir. Acculé de partout, il ne pourra le grand gamin président prétendre encore à vivre des jours heureux. Le jeu est fermé. Il restera néanmoins mieux loti que ses comparses là où la rue avait de concert avec les labos et collabos décidé que le sort soit ainsi scellé. Prison, fuite ou mort.