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Mediatic : Crimes colonialistes, quel pardon ?

par Belkacem AHCENE DJABALLAH

Notre histoire ? tout particulièrement celle du mouvement national, de la guerre de libération nationale et de l'après-indépendance à nos jours - est devenue, peu à peu, un espace infini plein de «trous noirs», c'est vrai. Des trous noirs qui, au fur et à mesure du temps qui file et défile, emportant avec lui des témoins de première importance, font l'«affaire» de tous ceux qui ont intérêt à ce que cette histoire ne révèle rien de révolutionnairement «incorrect». Tout, ou presque tout, reste à écrire. Ici, en Algérie?.mais, c'est toute une autre histoire? algéro-algérienne qui n'est pas encore prête de se terminer? dans le calme et le dialogue. Pour paraphraser Mohamed Harbi, nos départements d'histoire ne sont pas encore assez libres de «construire leurs objets», les recherches restent encore "enfermées dans des cadres nationaux» souvent peu pertinents, et on n'accorde pas la priorité à l'analyse et à la réflexion sur les questions méthodologiques?

De l'autre côté de la Méditerranée, les «carottes sont cuites». Tout a été presque dit, et beaucoup de choses ont été écrites. A leur manière,cela va de soi ! On a même vu des tortionnaires ayant largement pratiqué la torture et organisé "légalement» le meurtre «avouer», toute honte bue, leurs crimes sans pour autant éprouver le moindre tout petit regret et encore moins demander un quelconque pardon. La politique politicienne aidant, surtout à l'approche d'échéances électorales, on en est même arrivé à encenser les dérives, tout en proposant d'aller encore plus loin dans le «tripatouillage» de l'histoire. Coloniale, tout particulièrement.

GRAND BIEN LEUR FASSE !

Quoi que l'on puisse en penser, c'est certainement dû à une pratique expérimentée de la «transparence» et à la liberté totale d'écrire, de dire et d'éditer en pays démocratique. De ce fait, le criminel le plus médaillé trouve souvent un défenseur, par historien ou journaliste ou pratique et discours politiciens interposés, et s'en sort presque toujours avec des «honneurs». Le Pen n'a-t-il pas failli devenir Chef d'état? et les assassins de l'OAS ne sont-ils pas en passe d'être plus que "réhabilités "? Sanctifiés même ! Les exemples ne manquent pas.

Etant donné nos faiblesses et leur capacité réactive afin de promouvoir et de défendre leur image et leur «honneur», il s'agit beaucoup plus, pour nous, de sortir de la spirale plaintive, de celle qui nous montre passant notre temps à demander un pardon, une reconnaissance de faits pourtant avérés et? des compensations financières? Une position de quémandeur rendue encore plus faible par la multiplicité et la dispersion des demandeurs, chacun tirant de son côté, certains pour se faire valoir, d'autres pour se faire «inviter»?

La méthode ne paraît guère payante, et notre gouvernement semble, il faut le reconnaître, en avoir pris conscience à travers la prudence avec laquelle il a abordé la fameuse proposition de loi criminalisant la colonisation. Il s'est aperçu que foncer «tête baissée» dans des textes, certes généreux mais inopérants par la suite ou pouvant créer une confusion dans les relations internationales, était tout simplement dangereusement démagogique (Cf : la polémique actuelle entre la France et la Turquie? et, déjà, une mini- polémique médiatico ? politico- historique entre l' Algérie et la Turquie sur la «présence», coloniale ou amicale ou fraternelle, c'est selon, de cette dernière dans notre pays avant l'arrivée des Français). Pourtant, la problématique de la reconnaissance, par le colonisateur, du fait colonial et de ses crimes et autres dérives, reste posée dans toutes ses dimensions. L'ignorer, d'un côté comme de l'autre, c'est laisser se perpétuer une incommunicabilité et une rancune dangereuses pour l'avenir, pouvant se transformer rapidement en, obstacle à toute bonne relation durable et fructueuse.

La France et bien des Français, près de 50 ans après leur départ d'Algérie, n'ont pas encore «avalé» leur défaite. Mise à part une frange infime de gens éclairés, parmi les quinquagénaires et plus, qui tentent de sortir le débat de la confrontation, l'Algérie reste, à leurs yeux, un pays «rebelle» (le concept a évolué en pire, les résultats du Festival de Cannes, récompensant un film sur les moines de Tibhérine, «Des dieux et des hommes», et «zappant» le film «Les Hors la loi» en sont la preuve). L'Algérien reste, pour eux, l'«Arabe» borné, violent, nuisible. Un terroriste en puissance. Une image qui date (du temps de la colonisation, l'"arabe " était surtout un fainéant et un assisté qu'il fallait faire marcher à la trique) mais une image qui dure. Il est vrai que nous ne facilitons pas une autre compréhension, parfois par nos comportements épidermiques trop visibles, ce qui est pire. Les Marocains, les Tunisiens et les Egyptiens ont réussi à «passer le cap", chacun à sa manière et les Libyens sont en train de suivre la «bonne voie» (déjà avec Kaddafi, devenu «réaliste»). Il est vrai qu'ils n'ont pas les mêmes contentieux et encore moins, mis à part la langue et la religion, les mêmes caractères.

C'est pour tout cela que je crois bien vaines toutes les demandes de «reconnaissance» d'un passé chargé de crimes, d'exploitation et de brimades. En face, le Mur.

La position est claire : face au Mur, il faut accepter son existence (le Mur !), arrêter les lamentations, ne plus rien lui demander, mais il faut, à chaque instant de sa vie, ici, commémorer avec encore plus de faste ou de recueillement, nos victoires et/ou nos martyrs et nos drames et mettre en exergue - grâce aux travaux de recherche scientifiquement menés sur la base d'écrits mémoriels librement produits - les crimes commis par le colonialisme. Dans le strict respect des peuples. Sans invectives et sans éructer d'injures, toutes incompréhensibles pour les nouvelles générations, d'ici et d'ailleurs, générations qui ont d'autres préoccupations.

Un lourd mais précieux fardeau qu'il faudrait classer «patrimoine national» impardonnable. Et, pourquoi pas, avec le soutien des peuples anciennement colonisés par la France, en faire une partie du patrimoine «universel». Les juifs ont bien réussi d'abord à transformer les crimes nazis en holocauste en dette «morale» universelle de l'humanité à leur endroit.