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Le cinéma dans la mémoire d'une cité oasienne

par Farouk Zahi

?«Mais Bou Saada, la paisible, la petite oasis baptisée par les romanciers et les artistes, «l'enchanteresse» vivait au rythme d'un autre temps, celui de la contemplation et du mysticisme ; loin des bruits de la civilisation et des brouhahas de la colonisation qui venait tout juste, en 1930, de fêter en grande pompe le centenaire de sa réussite. Considérée, dès 1845, impropre à la colonisation, Bou Saada garda son cachet local que l'on allait mettre à contribution pour le compte d'un tourisme folklorique en plein essor»?(Barkhoum Ferhati chercheure au CNRPAH).

Telle est donc l'explication de l'attrait exercé par ce bout de paradis terrestre, sur les explorateurs, artistes-peintres et écrivains. Il n'y eut pas, seulement, que le paysage qui focalisait l'intérêt, mais la vie communautaire ascétique et résignée au sort funeste qui la frappe dans ses fondements existentiels. Réduite, mais non moins fière, elle marquait son refus de dissolution culturelle par la préservation ostentatoire de ses attributs propres : habitat, port vestimentaire et us alimentaires. Ainsi, les premiers artistes peintres qui accompagnaient l'Armée d'Afrique pour immortaliser ses faits de guerre, se tournaient vers ce filon exotique qui alimentera, plus tard, les salons parisiens.

Alphonse Etienne Dinet participera à l'exposition universelle de Bruxelles de 1910 par la publication de son premier roman : Khadra, danseuse Ouled Nail. Du bref séjour en 1922 de Sidonie-Gabrielle Colette à celui de Simone de Beauvoir en 1957, Bou Saada, «la conquise» aura frayé avec d'illustres personnages du monde artistique et littéraire à l'ombre des miradors. En 1923 le cinématographe naissant, encore muet, s'intéressait déjà à Bou Saada, un documentaire de 7 minutes y fut tourné par René Moreau cinéaste français. La génération des années 20 qui a fréquenté l'école coloniale, doit probablement se rappeler du tournage en 1934, de l'œuvre d'Alphonse Daudet sur son burlesque «Tartarin de Tarascon» parti à la chasse au lion d'Afrique. Signé de la main de Raymond Bernard, le film avait pour principal acteur le grand Raimu. Et oui ! L'immense Victor Mature (Samson) de « La Tunique», célébrissime péplum hollywoodien, a gravi la pente raide de Ain Ben Salem et scruté les gorges du Moulin Ferrero. En compagnie de Hedy Lamarr (Dalila), il observait à partir des hauteurs des Mouamine, le mont Salat. Cécil Blount de Mille, dont le penchant sioniste était à peine voilé, lançait en 1948 par cette saga amoureuse, les premiers jalons de la guerre médiatique menée contre l'Ogre arabe. Ce film sera suivi en 1956 par «Les Dix Commandements» du même cinéaste, mais tourné sous d'autres ciels.Il est remarquable que leurs dates de réalisation coïncident, avec celles des deux premières Guerres Israélo-arabes. En dépit de la charge émotionnelle et du message idéologique que drainent ces documents filmés, il n'en demeure pas, cependant, qu'elles ont été et resteront des œuvres artistiques abouties.

Qui a pu amener C.B de Mille à venir tourner à Bou Saada ? Nous sommes enclins à penser que l'artiste- peintre Anita Mabrook (Juanita Guccione) qui avait élu, momentanément, domicile dans l'oasis (1931/35), serait à l'origine de cette heureuse découverte. En exposant à son retour à New York près de 200 œuvres dont une vingtaine sur «la Cité du bonheur», nous supposons qu'elle faisait découvrir à ses concitoyens un autre monde fait d'authenticité humaine. L'atmosphère ambiante de ce milieu oriental, dépeinte par l'artiste et rappelant étrangement les sociétés bibliques, a du être la motivation principale ayant présidé au choix des lieux de tournage. En 1953, c'est au tour des britanniques de visiter ce studio à ciel ouvert pour y tourner «The South of Algiers» (au sud d'Alger) du réalisateur Jack Lee, ancien assistant du grandissime David Lean réalisateur du «Le Pont de la rivière Kwai» et «Dr Jivaro». Le déclenchement de la guerre de Libération nationale mettra, momentanément, un terme à cette odyssée du merveilleux. Ce n'est que bien après l'indépendance du pays, que Bou Saada fut rappelée au bon souvenir des cinéastes. Depuis lors, ce «Beverly Hill» algérien ne cesse d'attirer les plateaux de tournage nationaux et internationaux. La diversité des paysages : vallons encaissés, dunes, steppe, jardins rieurs et montagnes pelées, offrait un sublime spectre de couleurs et de lumières.

C'est ainsi que du film épique, d'aventure ou de guerre, les cadreurs n'avaient aucune peine à trouver le plan approprié. Kirk Morris, le célèbre acteur baraqué connu pour ses rôles de «Maciste» était hébergé en 1964 à l'hôtel «Transat» pendant le tournage du «Marchand d'esclaves» d'Antonio Margheriti

Casbah Films créée par Yacef Saadi, s'essayait, en 1966, au western spaghetti sous la direction d'Enzo Perri et Moussa Haddad. Le «Mechebek» servait alors de décor pour l'implantation d'un village du Far West pour «Trois pistolets contre César». Les coproductions avec l'Italie qui vont bon train, permettront en 1971, à Mario Monicelli de commettre «Brancaléone s'en va aux Croisades» avec l'inénarrable Vittorio Gassman. Hassan El Hassani et Said Hilmi feront partie du casting. En 1981 ; c'est autour de Ahmed Rachedi, un habitué des lieux, d'y tourner «Essilane». La place Emir Abdelkader appelée communément «Ramlaya» abritera en 1971, le plateau de «Sanaoud» de M. Slim Riad avec Mohamed Benguettaf et Abdelhamid Rais.

Les satellites de Bou Saada ne sont pas en reste dans ce foisonnement pictural, c'est ainsi que El Allig sera le théâtre, en 1975, du tournage de l'œuvre de A. Benhadouga «Le Vent du Sud» de Mohamed Slim Riad par lequel, il fit découvrir Nawal Zaatar. El Hamel, accueillait récemment dans ses murs, le tournage du film franco-belge «La Trahison» de Philippe Faucon. M. L. Hamina, enfant adoptif de la cité, a immortalisé le site par «Décembre» avec Sid Ali Kouiret et «la dernière image» avec Véronique Jannot et Hassan El Hassani. A la fin des années 80, la comédie burlesque «Le clandestin» de Benamar Bakhti venait clore un cycle ininterrompu d'œuvres cinématographiques allant du bon au moins bon et dont le cadre fut cet environnement oasien présaharien. Il est à espérer que si les pouvoirs publics ont l'intention de doter le pays d'une industrie cinématographique, il ne faut pas qu'ils éludent le rôle joué par la cité dans cet art majeur.