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Sarkozy/Hollande : la campagne s'annonce rude !

par Pierre Morville

Sur fond de crise gravissime, le choc de deux personnalités,l'une étant aux affaires, l'autre non.

Sarkozy et Hollande sont, sous toutes probabilités, les finalistes de la présidentielle française en 2012. «Sous toutes probabilités»? sauf irruption massive et impromptue des électeurs de Marine le Pen dans le grand jeu institutionnel. Les sondages officiels créditent jusqu'à présent la candidate du Front national dans une fourchette de 15 à 18%, mais des chiffres officieux la hissent à 22/23%. L'incertitude est réelle et se nourrit surtout des craintes et des exaspérations liées à la gestion calamiteuse de la crise économique actuelle. Le bon peuple est fatigué de l'agitation stérile des gouvernants. Il constate que 21 sommets ( ! ) consacrés depuis quelques mois à la dette grecque, n'ont débouché sur aucune issue concrète de la crise chez les Hellènes. Les électeurs des 27 pays de l'Union européenne regardent hébétés, le spectacle des chamailleries des gouvernants et des bureaucrates de la BCE, qui ne sont d'accord que sur une seule chose : une cure d'austérité massive, uniquement supportée par les couches populaires et les classes moyennes. Ces dernières ont pourtant l'impression de n'être pour rien dans les dérives catastrophiques de la finance globalisée dont il faut réparer les excès de sa cupidité maladive à coup de milliards d'euros.

«L'INDEPENDANCE» DE LA BCE

Populiste, cette description ? Ce n'est rien à côté de ce que l'on entend régulièrement dans les bureaux, les transports en commun et les bistros parisiens. Le citoyen est inquiet et en colère. Pis, il est persuadé et il n'a pas nécessairement tort, que le pire est à venir. De quoi nourrir des réactions extrêmes qui peuvent être positives quand elles débouchent sur des contestations d'un système à bout de souffle, comme la vague des «Indignés» qui manifestent dans toute l'Europe. Elles peuvent aussi nourrir des replis égoïstes ou xénophobes, avec comme seule et unique bannière «chacun pour soi !». Dans un récent sondage, 63% des Français sont défavorables à une aide financière à apporter à la Grèce, 89% pense que l'argent prêté ne reviendrait jamais. Un Autrichien sur deux et un Allemand sur trois souhaitent que la drachme grecque quitte l'euro !

Or, les Européens ne sont à l'évidence, pas au bout de leurs déconvenues. Il n'est rien sorti du laborieux sommet du G20 à Cannes et la très timide baisse des taux d'intérêts du crédit directeur dans la zone Euro, décidée par Mario Draghi, le nouveau patron de la Banque centrale européenne ( 1, 25% contre 1,5%) ne servira pas de rempart à la contagion de la crise des dettes souveraines en Europe. L'Espagne et l'Italie sont déjà en pleine ligne de mire, ces pays étant contraint d'emprunter sur les marchés internationaux à des taux d'intérêt aux alentours de 6%, alors que la France trouve des crédits à 3% et l'Allemagne à 1,5%. Selon le journal allemand Die Welt, la France, l'Italie, la Commission européenne et les Etats-Unis, à Cannes souhaitaient que la BCE aille encore plus loin en s'inspirant de la Réserve fédérale américaine.

Agir comme la Fed reviendrait à acheter de la dette des Etats sur le marché primaire, c'est-à-dire dès son émission. Une éventualité que l'Allemagne a immédiatement refusée parce que cela reviendrait à créer de la monnaie, et donc à encourager l'inflation. Celle-ci est pourtant à un niveau historiquement bas en Europe.

La BCE achète bien depuis le printemps 2010 de la dette publique sur le marché secondaire, où circulent les titres déjà émis, pour tenter de freiner l'envolée des taux des pays en difficulté. Mais elle s'est toujours refusée à effectuer des achats de grande ampleur et attend désormais que le fonds de secours européen (FESF) prenne son relais dans ce domaine.

Pour le président de l'institution monétaire de Francfort, comme pour son prédécesseur Jean-Claude Trichet, il appartient aux gouvernements de se sortir eux-mêmes de cette mauvaise passe dont ils sont responsables en ayant creusé leurs déficits.

Les gouvernements ne doivent pas «compter sur une aide extérieure» mais sur «leur capacité à se réformer eux-mêmes» a déclaré Mario Draghi, ajoutant: «Personne ne peut nous obliger (à augmenter ces achats). Nous sommes indépendants». Entre «l'indépendance» de la BCE et l'incapacité des gouvernants européens à trouver une quelconque solution, le seul point d'accord existant est l'instauration de telles politiques de rigueur (celle de la France «sera la pire depuis 1945» a promis le 1er ministre Fillon !), que la très grande majorité des économistes prévoient une rentrée dans une phase prolongée de récession. La zone Euro a envoyé se faire voir les électeurs grecs et leur prétendu référendum. Pourra-t-elle faire de mêmes avec les électeurs portugais, espagnols, italiens? ?

UNE CAMPAGNE A «TIRS TENDUS»

Nicolas Sarkozy qui fait mine de sauver la planète, l'Europe et la France chaque semaine, devra quant à lui, annoncer les mauvaises nouvelles et les administrer à des Français mécontents tout en menant campagne pour se faire réélire. Une tâche malaisée comme en attestent continûment les sondages. Les derniers créditent François Hollande de 36% des scrutins au 1er tour contre 25% à Nicolas Sarkozy. L'avance est encore plus nette au second tour : 61% contre 39%. Certes, le président sortant a consolidé de 2 ou 3 points ses scores antérieurs après son dernier road-show économico-médiatique mais l'écart est encore très important du fait de l'avance prise par le candidat du PS.

Tout cela annonce une campagne électorale qui ne sera pas à «fleurets mouchetés», comme dans ces duels où les adversaires prennent la précaution de mettre des bouchons à leurs armes pour éviter de se blesser. Les balles vont siffler et les coups bas seront légion.

Pour l'instant, les dérapages sont uniquement verbaux. En début de semaine, François Baroin, ministre de l'Economie a provoqué les virulentes protestations des députés socialistes à l'Assemblée, en affirmant que l'opposition de gauche avait remporté avec les élections législatives anticipées de 1997, «une victoire par effraction». Le propos est surtout insignifiant mais il dénote la rogne et le désarroi qui s'est emparé les rangs de la droite.

Le climat à l'UMP est encore alourdi d'innombrables «affaires» qui remontent à la surface judiciaire, où se mêlent gaillardement gros business et politicaillerie, barbouzeries et dérapages de l'appareil d'état.

Du côté de la gauche, on se remet difficilement des révélations sur les frasques de Dominique Strauss-Kahn à New-York. Paradoxalement, les hiérarques du Parti socialiste pousse rétrospectivement un ouf de soulagement à l'idée que ces révélations eut pu être mises sur la place publique non pas avant mais après les primaires où DSK était donné largement favori par les médias?

De ce point de vue, François Hollande, qui d'emblée s'est positionné comme candidat «normal», rassure. On ne craint pas de lui des débordements à la Strauss-Kahn et il contraste heureusement avec Nicolas Sarkozy dont l'incontestable dynamisme se transforme souvent en activisme compulsif. Le président sortant, conscient de cette image «d'agité du bocal», s'était imposé en début d'année une cure d'austérité médiatique, réduisant au minimum ses apparitions télévisuelles. Mais le naturel est revenu au galop, via la Libye et la crise de l'Euro.

Au-delà de l'arrière-fond d'une possible récession mondiale et des aléas sondagiers reflétant une opinion déconcertée par la précipitation des évènements, le scrutin électoral sera, comme toujours, largement déterminée par les caractères de deux principaux protagonistes.

Nicolas Sarkozy a des atouts sérieux : il est le président sortant, ce qui peut rassurer en période de grande tempête. Il est à ce jour, le seul candidat possible pour la droite.

C'est un manœuvrier redoutable qui dispose de l'appareil d'état et qui ne déteste pas les coups fourrés. Il peut faire preuve d'une énergie, d'initiatives hardies et d'une capacité de rebond sans pareil. C'est comme l'on dit en France pour résumer de telles qualités, du «vif-argent». Il est en effet, très vif mais parfois aussi très colérique, et l'argent lui colle à la peau. Nicolas Sarkozy n'a jamais pu se détacher de son image bling-bling et les premières mesures qu'il prise en faveur des français les plus fortunés, font toujours tache sur son costume présidentiel.

François Hollande a remporté haut la main les élections primaires, alors qu'en début de campagne, il était largement devancé par DSK et Martine Aubry. C'est un homme de synthèse et il sait se mettre à la portée des gens. Elu du département montagneux de la Corrèze, il fleure bon la France profonde dans un pays cocardier qui adore son monde rural. Il est drôle, affable et naturellement gentil mais attention, c'est un «faux mou» ! Bon économiste, il veut mettre à plat le système fiscal français, empilement byzantin dont certaines niches fiscales remontent à la royauté.

Mais la crise économico-monétaire actuelle a une dimension planétaire et sa résolution éventuelle passera nécessairement par des bras de fer géopolitiques. C'est donc beaucoup sur les dossiers internationaux que ses détracteurs attendent François Hollande. Mais là aussi, il risque de surprendre?

EUROPE : MULTIPLICATION DES GAZODUCS

«La crise financière qui secoue actuellement l'Europe semble bien profiter à l'Algérie. Depuis quelques jours, les délégations européennes se succèdent dans le pays pour obtenir des marchés inclus dans le plan quinquennal 2010-2014», nous apprend le journal «Manager» En effet, précise le média, l'Algérie a mis sur la table 286 milliards de dollars d'investissements potentiels. L'autre facteur qui attire les Européens est la prospérité des banques algériennes.

Une très faible croissance sur la rive nord de la Méditerranée va néanmoins mettre un coup de frein aux importations et aux investissements européens.

Aujourd'hui, l'Europe absorbe 2/3 des exportations de l'Algérie, constituées à 98% par le gaz et le pétrole. Qu'en sera-t-il demain ? Certes, la demande énergétique restera ferme mais le gaz algérien devra affronter une concurrence accrue , notamment du fait d'une politique agressive du géant russe Gazprom. La Russie représente aujourd'hui un tiers des importations européennes de gaz, devant la Norvège 30%, l'Algérie 15% et le Qatar 10%. D'ici 30 ans, il est probable, selon des experts, que la dépendance énergétique européenne à la Russie atteigne 50%.

Le 8 novembre, le gazoduc Nord Stream, (51% pour Gazprom associés à des entreprises allemandes, néerlandaises et française) reliant sur 1224 kilomètres la Russie à l'Allemagne par la mer Baltique, a été mis en service, mettant ainsi fin au quasi-monopole de l'Ukraine dans l'approvisionnement de l'Europe en gaz russe.

Autre projet bilatéral sur le modèle de Nord Stream, italo-russe celui-là, South Stream, long de 3 600 kilomètres, doit relier la Russie à l'Italie en passant par la mer Noire, la Bulgarie, la Serbie, la Hongrie et la Slovénie. Ces deux gazoducs illustrent la volonté de la Russie, premier détenteur (avec quasiment un quart des réserves prouvées), deuxième producteur et premier exportateur mondial de gaz naturel, de faire du gaz, une carte maîtresse dans son ambition de restaurer son statut de grande puissance

Si Nord Stream et South Stream permettent de rendre l'UE moins vulnérable aux crises entre l'Ukraine et la Russie, ils ne font que renforcer sa double dépendance à Gazprom, en termes d'accès aux matières premières et aux infrastructures de transport.

Pour limiter cette vulnérabilité, note Delphine Lavergne, de l'IRIS, la Commission européenne défend activement un 3ème projet d'acheminement de gaz, Nabucco, en provenance du Caucase et d'Asie Centrale, en contournant la Russie. Le tracé prévoit de relier Bakou en Azerbaïdjan, sur la mer Caspienne, à Erzurum en Turquie en passant par la Géorgie puis d'arriver en Autriche en transitant par la Bulgarie, la Roumanie et la Hongrie.