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Leçons tunisiennes et chocs libyens

par Mohammed Beghdad

Cette semaine aura été très riche en événements sur le plan maghrébin avec le déroulement de deux actes majeurs qui vont certainement bouger la donne chez nos voisins mitoyens et, par ricochet, assister à un bouleversement important au plan géostratégique régional et international.

D'abord en ce jeudi 20 octobre 2011, c'est la capture de Kadhafi qui a fait la sensation dans les médias internationaux où les images captées à l'aide des téléphones portables des insurgés ont fait le tour de la terre en un temps record. Les vidéos qui défilaient sur les écrans de télévision faisaient pitié sur un homme qui pendant 42 ans faisait la pluie et le beau temps en régnant lui et sa famille en maîtres absolus sur le destin des libyens. Rien ne pouvait échapper au guide en contrôlant tout à sa guise, pratiquement tout.

 Mais une révolte est passée par là, appuyée fortement par les intentions sournoises des pays de l'OTAN, en détruisant tout ce qu'il a construit pendant plus de 4 décennies comme mirages sur le plan idéologique et infrastructures. Ce qui choque épouvantablement chez une majorité de gens chez nous, c'est la manière avec laquelle il a été traité et achevé avant sa mort et ensuite tout ce qu'il en est suivi comme dégâts inconcevables. Mais je me suis rendu compte que cela vient principalement de l'éducation qu'ils ont reçue de leur guide pendant toutes ces années qui rend presque normal le comportement de ces rebelles qui l'ont capturé, toujours selon l'aide de leurs protecteurs, et de le massacrer ainsi.

 On voyait comment ils jubilaient et se réjouissaient de cette prise miraculeuse dont ils ne s'attendaient pas si aussi rapide. Mais au lieu de le laisser en vie et le juger par la suite comme tout peuple civilisé, c'est à la vindicte de ses geôliers qu'il a été soumis. Un lynchage qui n'honore en rien les prétendants à sa succession. L'histoire risque bien de se répéter dans un pays nourri par la vengeance et la revanche. Le pire est encore à venir après son transfert dans une morgue de la ville de Misrata où on défilait sans cesse en procession et en famille pour contempler les corps sans vie de Mouammar Khadhafi et de son fils Mouaâtassam. Ce que je n'arrive pas à comprendre, à saisir le sens, c'est se faire photographier avec un mort comme s'il s'agissait d'une proie chassée et à exhiber ! Il n'y a aucun respect aux morts. Je placerais toujours cela dans le cadre de l'éducation désuète et déliquescente qu'ils ont reçue dans l'école de l'ancien guide. On ne peut recueillir les mauvais fruits d'une éducation vouée aux échecs.

 Paradoxalement, comme deux mauvaises choses ne peuvent rarement et heureusement se suivre, les élections qui se sont déroulées en Tunisie remontent quelque peu le moral et corrigent ou nous faire oublier toute la violence libyenne qui s'est passée 3 jours avant. Tous les espoirs ont été permis malgré les inquiétantes de certains cercles qu'a engendrée cette première place du parti Ennahda, cataloguée au camp des islamistes, qui a raflé aux alentours de 40% des voix selon toutes les estimations recueillies.

 Ce qui est encore plus encourageant, c'est la forte participation de 90% qui a suscité tous les aspirations de ce peuple et ranimé la flamme de tous les défis. Il ne s'agit pas là d'un chiffre préfabriqué mais c'est la réalité. On passe ainsi allègrement du bourrage des urnes à presque 100% à un autre pourcentage qualifié de nulle. Une chose et son contraire à quelques mois d'intervalles dans le même pays.

 En 10 mois seulement, l'administration a retrouvé toute sa verve, son panache, son assurance et la confiance de tous en ses capacités à redresser une situation longtemps sous mainmises. Aucun parti, ni les observateurs avertis n'ont mis en doute le déroulement du scrutin ni d'ailleurs ses résultats. Quand on veut, on peut !

 Que ce soit en dictature ou en démocratie, ce pays ne cesse de nous étonner. La Tunisie, malgré les maigres moyens mis en sa disposition comparativement aux nôtres jugés astronomiques, arrive toujours, contre vents et marrées, à tenir le coup. On se demande ce qu'on aurait devenu à sa place. Il faut aussi noter que si ce petit pays maintient ce rythme viable, c'est grâce essentiellement à son système éducatif performant au regard du nôtre auquel il a misé depuis son indépendance et des cadres que son enseignement ait formé comme compétences utiles et sûres. Si la démocratie réussirait un jour dans ce pays, on pourrait toujours dire que la bonne éducation a porté ses concrets fruits mûrs. On se croirait dans un pays civilisé avec ces débats dans une campagne électorale des plus sérieuses mis à part quelques grabuges et c'est tout à fait normal comme disait l'autre. Même dans les démocraties chevronnées, ils se passent des choses. Les extrémismes sont partout présents, ils font même partie du décor. Ce qui m'a agréablement surpris pour une si jeune démocratie, c'est ce respect entre les partis politiques, quoique leur nombre dépassent toutes les limites.

Ce qui rajoute encore davantage aux espérances qui se lèvent à l'est, c'est cette déclaration honorable de Najib Chebbi, chef du Parti Démocratique Progressiste (PDP), qui pourtant classé dans le camp des laïques et qui sans attendre la proclamation des résultats officiels par l'Instance Supérieure Indépendante des Elections (ISIE), où il annonce clairement : «Le PDP respecte le jeu démocratique. Le peuple a accordé sa confiance à ceux qu'il a considérés comme étant dignes de cette confiance. Nous félicitons le vainqueur et nous siégerons dans les rangs de l'opposition». Mr Najib Chebbi n'a pas dit qu'il s'est trompé de peuple ou traité ce même peuple de « ghachi». Il a reconnu humblement la défaite de sa formation et qu'il était question d'être encore plus à l'écoute des citoyens en se rapprochant le plus de leurs préoccupations quotidiennes. Ce qui donne de la hauteur et de la grandeur pour cet homme qui se bat et continue de se battre pour le bien de son pays.

La sauce tunisienne n'est pas à son terme, elle n'est pas prête de nous délivrer tous ses secrets. On risque fort de voir le parti islamiste d'Ennahda former une alliance avec les deux formations laïques arrivées derrière lui, Ettakatol de Moustapha Ben Jaafar et le Congrès Pour la République (CPR) de Moncef Marzouki. Qui l'eut cru ! S'ils le font, c'est uniquement dans le strict intérêt de leurs pays qui ne peuvent compter que sur leurs bras, sur leur intelligence et sur leur conscience. Ils ne peuvent mener leur pays à la dérive.

Par ailleurs, ils n'ont pas de rente pour maquiller toutes les erreurs et les imperfections. Ils ne disposent d'aucun droit à la faute où chaque pas doit être extrêmement mesuré et où tous les défauts doivent minimisés à l'extrême. Aucun petit écart n'est admis. Il est vrai que la douce Tunisie avance doucement mais sûrement en ayant bénéficié de l'expérience des autres et plus particulièrement de celle de notre pays qui a toujours avancé avec de grands pas démesurés pratiquement à l'aveuglette, sans aucune profonde réflexion en sus des dommages incommensurables que l'on sait avec un pire retour à la case de départ.

Tout ce qu'on puisse souhaiter à ce pays, c'est de s'éloigner de toutes les déviations qui risquent de les conduire vers l'inconnu en stoppant nettes toutes les aspirations de leur peuple de pouvoir choisir son destin. Tout le bien que l'on pouvait exiger à ce pays c'est de réussir une alternance porteuse de toutes les perspectives avec un avenir radieux qui nous servirait cette fois-ci à nous de leçons afin que nous ne puissions pas retomber sur notre tête. A nous cette fois-ci de bien retenir les leçons des autres !