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Que reste-t-il de l'effet 5 Octobre 1988 ?

par Slemnia Bendaoud

Pas grand-chose! Sinon vraiment trop peu par rapport aux vœux des uns et aux souhaits des autres. Oui, quelque chose de presque insignifiant ! L'espoir s'est vite estompé, trouvant en face de lui ce mur du silence qui aura à lui tout seul tout absorbé de cette colère juvénile et l'essentiel de ce malaise national. C'est, disent certains, à la limite peine perdue que d'en parler aujourd'hui. Le mouvement en lui-même n'a jamais été reconnu comme tel par les hommes au pouvoir, restés toujours les mêmes, avec en prime cette autre caution de la démocratie taillée sur mesure ! Très rusés pour revenir aux commandes du pays, ils ont laissé passer l'orage pour trouver plus tard cette autre parade qui leur permet de régner sur la nation comme auparavant. Ils sont toujours là, presque tous, malgré l'usure du temps et les nombreux changements opérés depuis de par le monde de la politique ou celui des affaires. Ils cultivent cet esprit de gérontocratie qui balaie tout sur son terrain. Ils vivent cloitrés dans leur petit royaume dans cette hypothétique république qui chavire au gré des vagues et de l'ampleur du sens donné ou accordé à leur humeur matinale. D'octobre 88, ils s'en rappellent aujourd'hui que très vaguement ! oui, très sommairement jusqu'à parfois oublier carrément le pourquoi de ce soulèvement, eux qui ont tout le temps réussi par le passé à rendre tout rose la chose la plus sombre, sinon tout à fait blanc ce que tout le monde voyait vraiment en noir ! Il n'y a certes ni parti unique ni même l'article 120 d'antan, mais les mêmes apparatchiks sont toujours accrochés à leurs postes et nombreux avantages comme aux toutes premières années de l'indépendance du pays. Comment ont-ils pu faire pour échapper tous à cette véritable tempête de ce vent soufflant à pleins poumons le nom de la démocratie ? De quelles astuces usent-t-ils pour toujours se retrouver parmi les premiers à cette course électorale méticuleusement réglée à l'heure de leur réveil matinal pour toujours devancer ce monde de « couche-tard et lève-tard » ? Finalement pour eux comme pour presque toute la société Algérienne, octobre 88 n'aura produit plus aucun effet ! Alors pourquoi avoir peur pour les uns de perdre leurs privilèges, et pour ces autres d'aller jusqu'à tenter de remuer incidemment le couteau dans la plaie en essayant de revenir près d'un quart de siècle après sur ces mêmes évènements ? Et si, à présent, la majorité du peuple Algérien oublie ou même feint de le faire pour ces mêmes faits, certaines familles ayant chèrement payé un lourd tribut à cette ouverture démocratique célèbrent ou font à leur façon le deuil de l'évènement considéré. Ils le font dans leur intimité, se rappelant la disparition d'un être cher, déterminés à ne plus l'oublier.

Les héros du cinq octobre sont manifestement tous partis. Morts et enterrés ! Il ne reste que leurs bourreaux, transformés en éternelles victimes d'un système encore debout, et qui a réussi à les éjecter ou expurger des arcanes du pouvoir pour les jeter en pâture à une société civile qui court encore derrière sa propre civilité ! Finalement, le pouvoir a refait sa mue, et pour l'occasion, complètement récupéré « sa virginité » perdue dans un bref moment de folie ou d'affolemennt sinon d'ébriété lors de ce « chahut de gamins ». Et le monde des « miséreux » est alors complètement retourné à ses « vieilles guenilles ». Chacun est donc revenu ou est finalement retourné à « ses origines ». À vrai dire, d'où il est venu ou parvenu à cette rue, aujourd'hui interdite aux rassemblements comme du temps où le colon Français officiait encore en Algérie. En bons manœuvriers, en haut lieu, ils ont bien su manœuvrer leurs armes au lieu d'ouvrir complètement le champ politique et faire basculer le pays dans l'ère de la vraie démocratie. Ils ont laissé passer ce vent chaud à l'origine de cette grosse tempête de sable pour de nouveau bien s'installer sur leur fauteuil et installer leur régime dans la durée, en triturant autant que de besoin la pauvre constitution et verrouillant le champ médiatique et instrumentalisant la justice. Comme au temps du parti unique le régime est redevenu très fort pour de nouveau régner sur les affaires du pays comme jadis et autrefois. Bien entendu, le parti unique est toujours là appuyé de ses tout nouveaux gardes-de-corps remplaçant au pied levé l'article 120, mis depuis sous l'éteignoir. Gardant toujours ses galons, le régime fait aujourd'hui dans ce semblant de démocratie en gardant pour soi-même les vrais outils de l'expression libre et démocratique, en dépouillant tous les organes et institutions légales de l'état de leurs légitimes prérogatives pour sciemment les attribuer à un appareil exécutif faisant plus dans la création des lois que plutôt s'intéresser au contrôle de leur bonne exécution. Ainsi, tous les organes de consultation et de contrôle ont tout simplement été vidé de leur sens et substance, laissant le champ libre à un exécutif qui règne en maitre absolu d'une république s'appuyant sur des reliques pour faire face à ces nombreuses répliques d'une société vivant ses moments les plus critiques.

Mais?que reste-t-il à présent de l'effet 5 octobre 1988 ? Pas grand-chose, nous semble-t-il. Sinon absolument rien du tout ! Comment donc l'histoire va-t-elle demain expliquer ce mouvement populaire et sur quel compte devrons-nous comptabiliser ces nombreuses pertes en vies humaines et destructions en série de toute une économie socialiste aujourd'hui n'ayant plus cours ? Et si ce saut dans le vide ou dans l'inconnu d'une jeune population avide de se retrouver dans son propre terrain de jeu n'a vraiment rien d'un sursaut révolutionnaire ou celui mené contre une quelconque injustice ?tel que officiellement expliqué-, pourquoi alors a-t-il conduit le régime à revoir sa copie, se détourner complètement de l'option socialiste de son économie, amender sa constitution, ouvrir partiellement le champ médiatique et politique et même ?privilège des privilèges- créer cette « cacophonique commission de dialogue national» ? Pour terminer plus tard même avec cette institution de « médiation » entre éternels gouverneurs et éternels gouvernés. Un évènement pareil qui arrive à lui tout seul à vraiment chambouler ou chambarder toute cette haute sphère de l'état dans ses nombreux droits et étendues attributions jusqu'à faire de l'étranger revenir au pays ces grands héros de la révolution ne doit pas être occulté de la sorte? !

Il fait partie intégrante de notre histoire contemporaine, et nous sommes dans le devoir de le réhabiliter pour enfin reconsidérer le mouvement dans le contexte politique et social qui lui sied. Historiens et surtout sociologues Algériens sont les premiers concernés par ce devoir de mémoire collective. Leur charge dans la réhabilitation de l'histoire liée à cette action est très lourde de sens et de conséquence. Il y va de l'histoire de toute une nation qui aura demain à revendiquer ses propres repères. Comment donc au plan officiel s'arrange-t-on aujourd'hui pour carrément ignorer le message de ce 5 octobre lequel grâce à lui tout a bien changé dans le pays ? Dans son côté bon ou mauvais ? Ont-ils encore cette peur bleue de se déjuger dans leurs actions et contractions pour tout simplement travestir l'histoire de toute une nation ? Tiendront-ils pour longtemps encore rigueur au temps ? Et surtout à l'histoire laquelle détient cette providence de tout le temps les rattraper, parfois un moment où ils ne peuvent le dire en public et bien haut pour être entendus par tout un peuple épris de justice et de liberté ? Le 5 octobre a-t-il eu l'effet d'une rupture « épistémologique » au sein de la société Algérienne. ? Rupture avec son mode de gouvernance passé, au plan politique et économique, cela s'entend ? Le peuple Algérien répondra certainement par l'affirmative au moment même où l'Algérie officielle jouera sur tous les concepts pour détourner la question dans son impossible action de prouver le contraire !

C'est d'ailleurs de là que le mal Algérien prend naissance. Il le fait dans cette différence d'appréciation ou d'interprétation d'un même évènement qui devait plus tard servir de vrai détonateur pour réunifier cette très puissante Allemagne, et dont nos dirigeants ne lui louent à présent la moindre considération. S'il est permis à l'être humain de se défendre par n'importe quel moyen, il lui est tout aussi exigé de ne jamais imposer aux autres sa « seule vérité » sachant que celle de l'histoire est toujours là pour la démentir sur le champ. Près d'un quart de siècle après les douloureux évènements du 5 octobre 1988, fort heureusement, l'Algérie est toujours debout. Elle vit toujours des dividendes de son brut. Comme autrefois, sinon davantage ! La télé est toujours aux mains des mêmes personnes qui gouvernent depuis longtemps encore le pays grâce à ce FLN, toujours présent comme à son habitude, mais dépouillé de son article 120 que remplace deux invités de marque sur le plateau de la télé. Le quotidien El Moudjahid qui n'a pas beaucoup changé dans son look comme dans son contenu, tient toujours le haut du pavé et la bonne route, et est largement exposé au public même s'il n'est « vendu » qu'à l'intérieur de nos administrations, soucieuses de se mettre à la page du régime en place. L'Algérie officielle a toujours bien su garder ses outils de persuasion et de propagande. D'ailleurs son échec sur le plan économique la fait revenir aux anciens offices de l'ère socialiste. Après celui du lait, à qui le tour ? Probablement celui de la patate? ! Avec ce retour dans les méandres de l'histoire ancienne du pays a-t-on vraiment idée du recul que l'on prend sur le reste des autres nations et surtout sur la voie démocratique que le pouvoir prône ou brandit souvent comme arme de sa politique du moment ? Les vrais acquis du 5 octobre ne sont autres que cette presse libre à longueur de temps trainée devant les tribunaux par un pouvoir aux aguets, et une langue Amazigh cherchant encore et toujours après les lettres de son alphabet.