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La course à El Mouradia

par Abdou B.

« Ne songer qu'à soi et au présent, source d'erreur dans la politique ». La Bruyère

L'impression générale qui semble s'installer est qu'il y a une course contre la montre entre le président de la République et une mosaïque d'intérêts à l'intérieur de la majorité censée contester le législatif, l'exécutif et l'administration. Les appétits, bien précoces et fébriles, se manifestent comme en témoignent la guérilla bien entamée autour de la loi sur les partis, le code électoral, l'information, le quota pour les femmes, la constituante, la friperie et autres joyeusetés. A un moment crucial, un ministre n'a pas trouvé mieux que de partir en croisade contre un livre, un simple livre, qu'il a sûrement lu et compris, pour le mettre sur un bûcher. La gymnastique du jour pour la majorité est intenable pour les articulations. Comment vider de toute pertinence et réduire à zéro, les réformes envisagées et faire oublier que le Graal indépassable était « soutenir le programme et chaque décision présidentielle » au péril de sa vie ?

En face, des oppositions hétérogènes et sans once de plus petit dénominateur commun, ont pour programme un tic, un slogan, une fixation obsessionnelle : « tout sauf Boutelika qui doit partir ! Une posture adoptée par des courants de la majorité qui scrutent les oracles et lorgnent vers El Mouradia. En réalité, de nombreux partis, bien « gérés » convergent objectivement pour assécher le débat, reconduire le suivisme administratif du parlement, doper le statu quo, retarder toute réforme et faire joujou avec le pays contre de gros et gras salaires. Mais heureusement que la société bouge, que des syndicats exclus des négociations se légitiment sur le terrain, que des citoyens dénoncent ceux qui autorisent des constructions mortelles lorsqu'il pleut, les trottoirs recouverts de carrelages et la corruption qui atteint des cîmes? Les appareils, tendus vers les rentes, les postes et l'inquisition n'ont pas le temps d'analyser les champs social, générationnel, politique et la disparition de concepts, à la mode il y a peu. Ils ont disparu aussi des pages de journaux, alors qu'ils étaient les indicateurs d'un « combat » managé à bon escient.

La confrontation d'une rare violence, d'une exceptionnelle capacité meurtrière, qui a opposé des Algériens à l'A.N.P., aux autres institutions, des citoyens entre eux, a diminué d'intensité à partir des années 2000. Le terrorisme (qui tue encore chaque jour) a failli faire imploser le pays, mais s'il n'est pas résiduel aujourd'hui, il ne peut faire vaciller les fondements essentiels du pays ni la volonté des Algériens qui veulent vivre dans la paix et la sécurité. Les mandats de M. Bouteflika sont soumis à la critique d'experts, ici et ailleurs, d'intellectuels et chercheurs nationaux, tout comme la place de la religion, de l'intégrisme, de la tolérance. De leur côté, les partis toutes tendances confondues, évitent comme la peste les sujets relatifs au culturel, au cultuel, à un projet de société, au genre féminin, etc. Pour les uns, ils sont à 100% pour le programme présidentiel qui ne pêche par aucune faiblesse. Quitte à le dévoyer lorsqu'il s'agit de la femme, du non cumul (ministre et parlementaire) du maintien de la tutelle de l'administration sur les partis et les associations.

Pour la majorité des opposants, aussi manichéistes que l alliance des 3, M Bouteflika n'a fait aucune action positive, aussi petite soit-elle et n'a pris aucune décision positive ou progressive. La posture est peu mobilisatrice, vide de pertinence et c'est l'autre face d'un vide politique. Des généraux impliqués dans la vie politique, les vedettes de l'ex FIS, les « bidouilleurs » du scrutin remporté par le parti de l'apocalypse sont absents du dispositif mis en place à partir du premier mandat de M. Bouteflika. Le traitement à deux volets du terrorisme (lutte ferme et réconciliation) a ratissé surtout large, en dehors d'îlots incompatibles et surtout élitistes. Des « éradicateurs » soutiennent la réconciliation nationale, d'autres ne savent pas, en dehors de la force armée, comment affaiblir les forces composites et parfois folkloriques, islamistes. Et ces dernières, en fonction de la situation internationale et des évolutions internes investissent plus dans les réalités sociales, les perversions culturelles, la haine des femmes que dans une stratégie politique sur le modèle turc par exemple. Si le climat sécuritaire et même social qui était manipulé au profit de l'ex FIS a radicalement changé, il y a des questions en suspens qui tétanisent. Les disparus, l'enrichissement de repentis, la torture, le rôle de la justice donne du grain à moudre à l'opposition, aux associations, aux ONG?

M. Bouteflika se place résolument au centre. Ce qui contrarie les rigoristes « fous de Dieu » et les éradicateurs. Il se veut l'homme de consensus, au-dessus des appareils acteurs impliqués dans les processus autoritaires et violents. Ces derniers dont les bilans sérieux et les analystes froides restent à faire, ont failli emporter le pays et créer un séisme au Maghreb bien avant les récents développements. La stabilité du socle est revenue avec certes des islamistes tueurs en liberté. Mais si la majorité, toute administrative et artificielle jouait le jeu des réformes avec volontarisme et courage, il est possible d'aller ailleurs et vite. Il est possible de fédérer les citoyens, s'il le faut au-dessus des partis manichéens et extrémistes. Les uns pour le tout va bien (T.V.B) et d'autres pour le tout va mal (T.V.M). On peut rassembler au-delà des appareils partisans soucieux de conserver ou d'avoir la présidence d'une chambre parlementaire, le plus d'élus (sans aucun programme propre), d'occuper les syndicats autonomes comme le fait le gouvernement, de dénigrer, d'insulter et même de fragiliser le pays à l'extérieur.

La fermeture de la tripartite aux syndicats non officiels, la disparition des billets de banque de 2.000 dinars après leur sortie de l'imprimerie, la corruption, la dépendance alimentaire qui atteint des sommets, le refus du quota pour les femmes, le verrouillage du mouvement associatif, le nombre ahurissant de quotidiens dopés par l'ANEP, la cacophonie autour de l'audiovisuel et de la loi sur l'information, confortent les extrêmes. Il est quand même stupéfiant d'entendre dire que « l'ouverture du champ audiovisuel à l'investissement privé apparaît en effet, au regard des progrès considérables atteint par le développement transnational des technologies (?). » Cette phraséologie techniciste approximative décrédibilise avec force, la volonté du chef de l'Etat qui, elle, est politique. Le processus voulu, dit, n'est pas technique. Il vise à faire vivre le pluralisme, à supprimer le monopole étatique sur les médias et élargir la libre expression. Réduire la volonté du président aux évolutions de la technologie, c'est bel et bien, lui faire un croc en jambes au plan politique. Des chefs de partis qui ne pensent pas une seconde à affronter le suffrage universel, qui défendent le nomadisme politique, qui ne pipent mot lorsque des débits de boissons sont fermés et devant la situation de l'enseignement, des hôpitaux, ne peuvent se transformer en réformateurs. M. Bouteflika en vertu des pouvoirs que lui confère la loi suprême peut faire partir le train des réformes qui perdent du terrain ç chaque jour gagné par les conservatismes, la guérilla interne à la majorité et la montée des intolérances. Les recommandations récoltées à la base, sur l'ensemble de territoire par le Conseil national économique et social et qui seront livrées le 22 décembre prochain, peuvent être le signal majeur pour refaire le lien et le liant entre les populations et le pouvoir. Et il est vital que chacun, là où il peut, s'il le veut, apporte son aide aux réformes sans renoncer à des convictions, surtout si elles sont accompagnées de projets vulgarisés par tous les moyens légaux, en direction des populations, des médias, des associations, des élites? Il ne s'agit pas de signer un chèque à blanc, mais de défendre des convictions et d'élargir chaque ouverture, aussi imparfaite soit-elle, au moment où des partis s'accrochent à des lopins d'intolérance, d'archaïsme et de régressions, avec le temps qui passe.