Envoyer à un ami | Version à imprimer | Version en PDF

Des idées et des stratégies

par Mohammed Beghdad

«A la source de toute connaissance, il y a une idée, une pensée, puis l'expérience vient confirmer l'idée». [Claude Bernard, physiologiste français, 1813-1878]

Durant la première crise mondiale du pétrole de 1973, le chanteur populiste français Michel Sardou avait suscité l'émoi en produisant une chanson qui allait provoquer un tabac dans son pays durant des mois. Les échos de cette mélodie patriotique avait aussi fait le tour dans les pays qui saisissaient la langue de Voltaire. On se lassait d'écouter ce tube qui passait à longueur de journées dans les radios françaises que tous les algériens captaient sur les fréquences des grandes ondes comme Europe 1, France Inter, RTL ou RMC. C'était la génération de Clo-Clo et ses Claudettes, de Dalida, de Gérard Lenormand, de Mike Brandt, de Salvatore Adamo, de Joe Dassin, du duo Sheila et Ringo, de Jacques Brel et tant d'autres que le magazine «Salut Les Copains», dont tous les jeunes adolescents en raffolaient à cette époque, faisait l'éloge dans ses unes hebdomadaires de toutes ces stars qui exerçaient une puissante attraction musicale et de mode sur la jeunesse des années 60 et 70.

Sardou, les Beatles et les Sailors

La chanson de Sardou nous avait fait surgir alors de notre profond réveil après avoir été très longtemps bernés par des interprètes de sa trempe au cours de notre jouvence. Les groupes musicaux du pays qui se formaient étaient pratiquement tous influencés par la mélodie française et par la suite avec l'éclosion du groupe britannique des Beatles, la chanson anglaise allait prendre également une place de choix dans le cœur des jeunes qui ne maitrisaient pourtant par assez la langue de Shakespeare. A tel point que dans ma ville d'enfance, le groupe musical qui devait s'appeler le groupe des marins, s'est baptisé naturellement en groupe des «Sailors».

Avec la chanson populiste de Sardou, on venait de découvrir brusquement que l'on nous offensait à travers cette chansonnette que l'on répétait presque naïvement comme celles d'avant sans saisir sa véritable portée. Au début des années soixante, on le savait déjà mais on feintait de ne pas le savoir qu'un chanteur célèbre disait qu'il ne pourrait en aucun cas salir sa chemise pour un arabe ! Déjà, on commençait à se demander à quel bord culturel sommes-nous entrain de suivre aveuglément ? On ne faisait pas la différence entre les sentiments et la logique des choses.

C'est là que notre éveil commençait à prendre forme envers ces chanteurs qui ignoraient notre existence et qui ne nous portaient point dans leur cœur contrairement à nous, perdus dans notre innocente enfance. En ces temps, on ne parlait pas encore du choc des civilisations mais on était en plein conflit culturel. C'est comme si on nous signifiait que leurs chansons n'étaient adressées qu'exclusivement à leurs compatriotes. L'universalité culturelle perdait ainsi toute sa raison d'être. Nos sensations leur importaient très peu. Ils s'en foutaient de nos émotions, l'essentiel était de satisfaire l'égo des leurs.

Nous avons le pétrole et c'est tout !

Michel Sardou dans sa chanson qui datait de 1979 avait pour titre «Ils ont le pétrole mais c'est tout». Tout un programme ! L'intitulé sonnait comme une gifle sur nos joues juvéniles. Ceux qui lui vouaient une immense estime ont vite déchiré ses albums cadeaux des numéros de Salut Les Copains. Ses posters couleurs qui ornaient les différents salons de coiffure, les magasins de vêtements et d'autres lieux commerçants ont été subitement arrachées des murs où elles étaient collées depuis les premiers succès de leur désormais ex-idole. Les perceptions patriotiques étaient plus fortes que les effets musicaux. L'orgueil passait avant tout. Pourtant, l'Algérie venait à peine d'être indépendante et sa jeunesse avide de connaissances et d'autres horizons avait déjà tourné la page du colonialisme, sans l'effacer, en désirant simplement vivre sa vie.

Même à Enrico Macias, une fois le pays libéré du joug colonialiste, on avait dissimulé ses frasques et ses sorties pour son choix de l'Algérie Française. Nous avons été assoupis pas les airs méditerranéens de ses berceuses qui nous caressaient dans le sens du poil et les larmes qui jaillissaient à flots. Ce n'est qu'après qu'il eut dépassé ses limites en vouant un amour sans aucune vergogne pour ses penchants sionistes qu'il a été rejeté par la majorité des citoyens. Ils ne voulaient pas mélanger la culture avec la politique mais Macias, quoiqu'un de ses chants semble prôner le contraire, avait privilégié de manière indéniable le choix unilatéral de défendre uniquement les enfants d'Israël au détriment des enfants arabes via les petits de Ghaza.

Revenons au chanteur Sardou qui fredonnait dans un des ses refrains de sa chanson citée plus haut: «Ils ont le pétrole, Mais ils n'ont que ça. ? On a les cailloux. On a les bijoux. On a les binious. Ils ont les dollars, Et c'est bien. On a les mannequins, Les grands magasins, Le paradis latin. Ils ont les barils, on a les bidons, Mais pour boire où vont-ils ? Chez Dom Pérignon. Parce qu'ils ont le pétrole, Mais ils n'ont pas d'eau. ? Que des sables chauds, Pétrole on the rocks, ça ne désaltère pas, Evian sort des Alpes, pas du Sahara. Ils ont le pétrole, pour trente ans. On a du vin blanc, des blés dans les champs, pour au moins mille ans. On a des idées, ? Quand ton puits sera sec, plus de jus dans le citron, plus personne à La Mecque. ? Quand ton puits sera sec, viens à la maison. On boira cul-sec, en vieux compagnons».

Ils ont des idées et c'est suffisant !

Sardou n'était pas à sa première sortie politique en dehors des planches. La parution de son tuyau en 1976 : «Le temps des colonies et surtout, je suis pour» avait soulevé l'indignation parmi ses pourfendeurs mais a suscité un engouement particulier au sein de ses supporteurs de la France profonde comme il le sentait en perpétrant l'apologie du colonialisme. Sardou s'était donc déjà distingué bien avant de ce qu'on appelle aujourd'hui la colonisation positive avec : « Moi monsieur j'ai fait la colo, Dakar, Conakry, Bamako. Moi monsieur, j'ai eu la belle vie, Au temps béni des colonies. Les guerriers m'appelaient Grand Chef. Au temps glorieux de l'A.O.F. J'avais des ficelles au képi, Au temps béni des colonies. On pense encore à toi, oh Bwana. Dis-nous ce que t'as pas, on en a. Pour moi monsieur, rien n'égalait Les tirailleurs Sénégalais Qui mouraient tous pour la patrie, Au temps béni des colonies. Autrefois à Colomb-Béchar, J'avais plein de serviteurs noirs et quatre filles dans mon lit, au temps béni des colonies. Y a pas de café, pas de coton, pas d'essence, en France, mais des idées, ça on en a, nous, on pense. . Moi monsieur j'ai tué des panthères, A Tombouctou sur le Niger, Et des Hypos dans l'Oubangui, Au temps béni des colonies. Entre le gin et le tennis, Les réceptions et le pastis, On se serait cru au paradis, Au temps béni des colonies».

Sardou se voyait comme le chantre de la chanson populiste de la majorité silencieuse. Il était l'un des précurseurs de l'extrême droite bien avant les percées électorales du front national d'aujourd'hui. Il faut aussi remarquer qu'il évoquait les idées de la France dans ces deux chansons. Sans ces idées, les français n'auraient jamais atteint ce développement et ce déploiement hors de leurs frontières. Et c'est ce qui nous fait le plus défaut à l'heure actuelle chez nous où les compétences sont marginalisées ou écartées au profit de rentiers captifs dont la réflexion ne dépasse guère les limites de leurs tubes digestifs.

Nous importons, etc. et c'est normal !

Lorsqu'on regarde de plus près les paroles de ces chansons qui datent d'une quarantaine d'années, on ne peut que se mordre les doigts et se prendre à nous-mêmes car on continue toujours à subvenir totalement nos besoins par ce pétrole qui est, si on réfléchit un tout petit peu, la source de tous nos déboires au lieu d'être une source supplémentaire des revenus du pays. C'est comme si on a hérité d'un cadeau empoisonné qui nous dévie complètement du chemin de la création d'idées et de stratégies. Pire encore, notre dépendance vis-à-vis de cette ressource souterraine s'est accrue de manière inadmissible ces dernières années.

Comme le rapporte le site TSA en ce dimanche 25 septembre 2011, le Centre national de l'informatique et des statistiques (Cnis), cité par l'APS, chiffrent à 31,17 milliards de dollars les importations algériennes, durant les 8 premiers mois de l'année 2011, soit en hausse de 18,34% par rapport au précédent échéancier. A ce rythme, on va battre un nouveau record avec une estimation évaluée à 47 milliards à la fin de l'année. Où va-ton avec cette politique qui ne recherche qu'à colmater les brèches sans se soucier guère à entamer des réformes profondes pour mettre en marche la machine rouillée ? Pire encore, ces importations sont possibles que grâce à l'exportation des hydrocarbures. Sans cet or noir, on devait crever la dalle. L'imminence de la fin du pétrole c'est dans quelques temps. Cela fait plus de 4 décennies que l'on est entrain d'évoquer cette catastrophe mais on ne bouge pas le petit doigt pour formater et réformer notre politique tous domaines confondus. Est-il normal que notre pays importe en raflant une très grande part de la production mondiale des céréales pour un pays qui représente à peine 0,5% de la population de la planète et dont la surface est de 1,6% de la superficie mondiale pour un ratio de 16 habitants au kilomètre carré et en sus une hausse de 59% de la facture alimentaire au premier semestre 2011 avec 4,83 milliards de dollars contre 3,02 pour la même période de l'année écoulée ?

Il suffit que les cours du brut subissent une légère secousse vers la baisse pour que les économistes du pays commencent à craindre le pire et d'envisager à serrer la ceinture comme cela s'est passé de 1986 jusqu'à la fin des années 90. Les leçons ne sont nullement retenues, on reprendre la même politique et on recommence. On n'est point à l'abri de nouveaux chocs pétroliers par le tarissement des puits. Actuellement, nous vivons une embellie financière qui est loin d'être le reflet de la santé de nos finances ni les conséquences de politiques économiques judicieuses. C'est un peu comme la planche à billets. C'est aussi un gaspillage de nos ressources qui ne seront plus renouvelables. L'avenir du pays et des prochaines générations sont pleinement hypothéqués.

En panne d'idées

Est-ce qu'un quelconque politicien peut nous prédire de ce qu'il en sera du futur de l'Algérie dans une cinquantaine d'années comme ceux de 1962 ne l'avaient jamais ainsi envisagé ? Justement, ce sont les idées dont on nous a outragé outre-mer qui nous font défaut. Ce n'est pas la peine de se mettre en colère ni de vociférer. On ne peut s'essuyer nos mains sur la chemise de Michel ou Johnny mais s'en vouloir à nous-mêmes qui nous n'avons pas mis au point des stratégies à longs termes et des politiques pragmatiques éloignées de toute idéologie imposée pour faire plaisir aux chefs du moment.

Durant très longtemps, on nous a enivrés par l'option socialiste et irréversible pour le pays. On nous ressassait que la révolution agraire était un choix irrévocable jusqu'à ce que nous nous sommes cognés contre un mur. Les algériens n'ont jamais compris dans leur tête ce retournement de veste qui prouve bien que les successeurs n'avaient jamais cru à cette option. Ils sont devenus par la suite adeptes du libéralisme sauvage où c'est l'informel qui définit les contours de l'économie du pays.

Voilà où nous en sommes actuellement: pieds au mur. Ou bien on doit engager de profonds changements politiques concrets sur le terrain selon la gravité de la situation du pays ou alors, nous sommes condamnés à céder la place à ceux qui ont l'inquiétude de voir ce pays sombrer dans la médiocrité et la dégringolade. Ils en existent des compétences algériennes. Il faut se donner les moyens de les rassembler pour nous proposer les solutions aux innombrables problèmes du pays en acceptant toutes les vérités, rien que la vérité dans l'objectif de rechercher les moyens utiles et les itinéraires adéquats afin de rattraper le retard qui ralentit le pays dans les domaines qu'il n'est point de les rappeler tous à force d'être nombreux et complexes. Il suffit que la volonté politique existe en mettant l'amour du pays au dessus de toutes les considérations.

L'essentiel est de sortir indemne de cette crise qui secoue les pays arabes. Il faut une révolution intelligente et pacifique, pas celles des armes comme les ennemis de ce pays et les nostalgiques du chaos et du néo-colonialisme se font un plaisir certain de la voir rallumer pour prendre leur revanche sur l'histoire. On n'est pas là entrain de créer un ennemi virtuel de la main étrangère mais certains indices et déclarations de quelques politiciens en aparté font craindre le pire comme celle du président français qui d'après certains journaux avait annoncé au président du CNT libyen que la révolution atteindrait l'Algérie dans moins de 3 années. Si on regarde les ingrédients sur le terrain, on ne peut juger le contraire.

Si sa prédiction se révélerait, cela veut signifierait que c'est eux les stratèges de notre éventuelle évolution. C'est eux qui décideraient de notre action et de notre futur et c'est eux qui nous mèneraient droit sur un bateau. A nous de contraindre leurs pensées en étant plus lucides et en ne tombant pas dans le panneau en adoptant des politiques qui ne nous dirigeront pas jusqu'à notre autodestruction. Nous pouvons que s'en prendre à nous-mêmes, à s'auto-flageller jusqu'à ce que nous prenions conscience du désastre dans lequel on s'est fait enchaîner. Par notre fuite en avant, ce sont nous qui avons créé ces occasions d'ingérence dans nos affaires internes. Si nous resterons en l'état actuel, nous risquons de gager notre indépendance à l'identique du voisin libyen, à nous de créer notre liberté de penser, d'entreprendre, de réfléchir et de travailler uniquement pour les intérêts du pays.