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Mohammed El Bouazizi : la gifle, puis l'étincelle? !

par Slemnia Bendaoud*

Sans cette gifle, l'histoire du changement vers la démocratie dans le monde arabe n'aurait certainement jamais eu lieu ! Elle aurait probablement changé de cours ! Sinon cette démocratie tant espérée ou vivement souhaitée aurait comme de coutume ou toujours été différée à plus tard. Aux calendes grecques, allais-je dire ! Sans cette gifle, les dictatures arabes les plus anciennes et les plus despotiques n'auraient jamais été inquiétées ! Jamais été sérieusement menacées, y compris à l'intérieur même de ces hermétiques monarchies.

L'auteur de la gifle à résonance politique et arabe n'est autre qu'une femme. Une femme de l'ordre, bien évidemment ! Comment se fait-il qu'une femme, commis de l'état ?de son état en plus- sorte de sa réserve ou coquille pour la « une » des journaux et tout le monde arabe, l'espace d'un bulletin d'information au sujet de l'incident commis et de la victime giflée, laquelle s'immolera par le feu, devant tant d'humiliation subie de la part d'une femme en uniforme, faut-il au besoin bien la rappeler !

Et pourtant, en Tunisie ?du moins dans les textes- la femme est tout à fait « l'égale » de l'homme. Mais de là à ce qu'elle (l'agent de l'ordre) se permette de le gifler publiquement, il n'y a qu'un pas de franchi ! Cela relève plutôt de la dignité du mâle ou de l'individu dans un pays comme la Tunisie.

La religion est donc sur le champ ou manu militari convoquée puisque l'honneur de la tribu accourant au secours du sexe masculin aura été manifestement écorché et sérieusement provoqué. La raison que justifie, entre autre, l'esprit accroché à la phallocratie est alors invoquée et bien brandie en lame de fond afin de prendre sa revanche. La cause étant alors entendue. Le procès bien terminé et le verdict publiquement prononcé ! Les représailles donc vite annoncées? !

Mais que faire devant une femme habillée en uniforme, défiant cet ordre masculin au point de publiquement humilier le sexe opposé au sien ?

Ici, le sexe fort dans l'équation du couple, en général, celui tout le temps dominant, aura été pour cette fois-ci bel et bien dominé, humilié et trainé dans la boue par celui jugé faible, pour l'occasion, mais bien armé.

Le monde ?surtout masculin- ne pouvait accepter le coup. Et tout le peuple ?les deux sexes confondus- était sens dessus dessous !

La gifle était alors bien partie résonner à mille lieues de la Tunisie, traversant monts et vaux, mers et continents, tribus et religions réveiller chez l'homme cet instinct bien humain de s'insurger contre cette » injustice des femmes » !

Comment y remédier alors ?

Pour l'auteur de la gifle, cela fait partie de son banal quotidien. Le peuple n'est-il pas considéré tel un troupeau de moutons dont on fait taire les meneurs, ces brebis galeuses qui lui empoisonnent la vie et attentent à sa légendaire tranquillité ? Sinon à toujours recevoir des coups, de poing, de pied et même des gifles humiliantes telle celle donnée en public à Mohammed El Bouazizi ?

Pour la victime, le coup fatal était déjà parti. Et l'impact résonne de tout son poids et ses inévitables et très lourdes conséquences déjà bien loin du seul territoire de la Tunisie.

Il aura donc constitué cette étincelle ?à l'origine de son immolation par le feu-qui va tout à l'heure tout brûler sur son passage comme régimes dictatoriaux et hiérarchies faussement érigées en de solides institutions de ces pays arabes, lesquels iront les uns après les autres s'écrouler tels des châteaux de cartes.

La rue est alors occupée ! Bien occupée par ces jeunes générations qui ne vont jamais abdiquer ! Elle sera totalement investie nuit et jour par ce jeune monde venu prêter main forte à Mohammed El Bouazizi.

D'abord à Sidi Bouzid, pour ensuite s'étendre auprès de toutes les contrées du pays, finissant par gagner l'avenue Habib Bourguiba, au cœur de la capitale Tunis.

Ainsi, Tunis, la capitale, fut longtemps assiégée par une foule de plus en plus compacte, scandant des slogans hostiles au président Benali ainsi qu'à sa belle famille.

Et malgré les coups de feu tirés sur les manifestants en grand nombre, la foule décide d'installer la contestation dans la durée, occupant en permanence le cœur de Tunis.

Ils le font en résistant héroïquement à ces coups de boutoir des milices du régime jusqu'à le faire définitivement douter de l'opportunité de sa stratégie de gérer le pays un certain vendredi 11 janvier 201.

La foule déchainée tel un seul homme aura donc eu raison du dictateur. La gifle donnée au pauvre malheureux s'était donc retournée contre son auteur. Les rôles venaient donc d'être complètement renversés, et la donne ne devait être bien évidemment que logiquement inversée.

Justice aura enfin été rendue. Les représailles auront donc été générales ! Et chaque fautif n'aura pris que pour ce qu'il méritait de prendre.

La banale gifle aura ainsi enfanté une grande révolution. L'injustice commise quelques jours plus tôt à l'endroit de Mohammed El Bouazizi aura donc fait de lui un véritable héros : celui de la démocratie, de la Tunisie, du monde arabe et de toute l'humanité !

Il est mort pour que naisse cette toute jeune démocratie. La flamme avec laquelle il s'est immolé constitue désormais cette autre flamme de l'espoir qui luit de toute son énergie, illuminant ces jeunes et tout frais esprit de la jeunesse tunisienne.

El Bouazizi mérite bien plus qu'une stèle érigée à la hâte en son honneur. Son âme est encore vivante en nous, parmi nous-mêmes, présente à jamais dans nos esprits et mémoires, toute décidée à franchir ce mur de la peur dont le peuple tunisien ara été l'otage durant de longues décennies.

Mohammed El Bouazizi aura tout simplement immolé par le feu son corps pour enflammer le monde, ouvrant la voie à une vraie démocratie et chasser à jamais tous ces vieux démons qui tissent le lit à cette autocratie, forte de ces dictateurs, nombreux prédateurs et autres inoffensifs observateurs, laissant justement faire les courtisans en parfaits artisans de cette sale besogne de la sous-traitance en tout genre et en tout lieu.

El Bouazizi est bel et bien parti, ouvrant cette voie du salut, venue à cause ou grâce à son immolation, de l'insurrection, de la révolte, de la bataille sur ces durs terrains du maquis en tout genre, du soulèvement de tout un peuplement d'une nation arabe désireux de refaire leur retard et surtout faire la guerre ?encadrée par cette grande révolution- contre ces potentats, ces tyrans, despotes et dictateurs d'aujourd'hui et d'autrefois.

Cette gifle au féminin aura eu le mérite de provoquer le feu aux poudres. Et si l'effet de son humiliation aura réussi à immoler par le feu de l'injustice Mohammed El Bouazizi, bien loin de là, ce sont tous les régimes dictatoriaux arabes supposés très solides et bien puissants qui devaient prendre à leur tour feu de toutes parts : ce feu de tout bois de la seule démocratie !

A présent, la gifle reçue sur la joue de Mohamed El Bouazizi ne se conjuguera désormais plus au féminin singulier. Elle aura donc changé en genre et en nombre pour se conjuguer au masculin pluriel, atteignant surtout ces solides intouchables d'hier et de jadis !

Elle aura à jamais détruit ces dictateurs, ces fausses républiques, ces durs royaumes, ces fortunes indument amassées et cet argent sale sauvagement ramassé !

L'autre gifle, la vraie, celle-là, c'est Benali qui l'avait bien reçue, en plein dans la figure. L'auteur n'est autre que l'histoire de toute l'humanité. C'est surtout ça la vérité? !

(*) Auteur d'un ouvrage à paraitre chez Edilivre, France, intitulé «Recto Verso».