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Strauss-Kahn, Gaza, Palestine, Grèce, Turquie?

par Brahim Senouci

La planète médiatique a rarement été aussi agitée que ces derniers temps. Elle a fait son miel du feuilleton Strauss-Kahn qui a occupé la quasi intégralité des journaux télévisés français. Ainsi, l'épisode de la libération sur parole du susdit a occupé l'antenne du sacro saint vingt heures de France 2 et de TF1 durant quarante minutes, les événements de Syrie, de Palestine, du Soudan étant relégués au rang de brèves. Pourquoi une affaire somme toute banale a-t-elle à ce point monopolisé les médias, la classe politique, les «intellectuels» en France, au point de leur faire perdre toute retenue ?

 Les guillemets dont est affublé le mot intellectuels sont là à dessein bien sûr. Ces soi-disant intellectuels qui se sont exprimés étaient déjà connus pour leurs foucades, leur incroyable absence de substance. Cela fait des années qu'ils tentent de faire passer des conversations de comptoir pour des échanges philosophiques.

 Là, ils ont été un cran plus loin. Ils sont apparus tels qu'en eux-mêmes, méprisants, petits bourgeois parvenus, foncièrement racistes. De Bernard-Henri Lévy à Finkielkraut, en passant par Luc Ferry, un grand nombre de leaders socialistes, ils ont étalé leur mépris pour une camériste noire et musulmane, victime d'un simple troussage de domestique selon le «bon» mot de Jean-François Kahn, coupable de se rebeller contre le caprice d'un puissant. Et voici les mêmes se félicitant de l'élargissement annoncé de leur pote, oui leur pote, dans une version nouvelle de l'imbécile Touche pas à mon pote !

 Ils ne s'étranglent pas d'indignation à la lecture des révélations odieuses sur les turpitudes supposées de Nafissatou Diallo. Ils ne s'élèvent pas contre le fait que ces détails n'ont rien à voir avec ce pour quoi elle a porté plainte. Ainsi, doit-on supposer qu'une femme soupçonnée de trafic de drogue peut être violée sans que le violeur encoure les foudres de la justice ? C'est pourtant un fait universellement admis que la justice ne doit pas opposer à un plaignant des faits sans relation avec l'objet de sa plainte !

 Elle aurait menti, Nafissatou ? Elle ne l'a pas fait sur l'essentiel, qui concerne son emploi du temps juste après l'incident (doux vocable qui désigne le viol présumé dans la bouche de nos ineffables commentateurs !). Ceux qui ont menti sont ceux qui ont emboité le pas aux gazettes douteuses qui ont dit qu'elle avait nettoyé une autre suite avant de revenir dans celle de Strauss-Kahn. C'était faux et ils le savaient ; les badges magnétiques du Sofitel ont prouvé qu'elle n'avait passé qu'une minute dans l'autre suite pour se remettre avant d'alerter sa supérieure.

 Elle a menti sur d'autres sujets, il est vrai, mais sans rapport avec la violence qu'elle soutient avoir subie.

 Une autre menteuse célèbre a eu les faveurs de notre coterie de pseudo-intellectuels. Il s'agit d'Ayaan Hirsi Ali. Souvenons-nous. Ayaan Hirsi Ali, arrivée aux Pays-Bas en 1992 à l'âge de 23 ans, s'est fait passer pour une exilée politique arrivant d'un camp de réfugiés somaliens au Kenya. En réalité, elle vivait dans ce pays depuis douze ans, parfaitement intégrée à la société, et y avait même poursuivi des études. Un avantage dont ne bénéficient pas tous les Kenyans, encore moins les étrangers au pays. Cela ne suffisait pas. Elle a donné aux services de l'immigration des Pays-Bas une fausse identité, Ali au lieu de Magan, et une fausse date de naissance. Enfin, elle a menti en déclarant s'être enfuie de chez elle pour échapper à un mariage forcé.

 Elle a ainsi bénéficié d'un immense élan de sympathie aux Pays-Bas et parvint même à se faire élire députée en 2002.

 C'est vrai qu'elle présentait un profil idéal pour une opinion qui ne demande qu'à donner corps à ses fantasmes. La description de l'»enfer musulman» décrit par cette femme venait corroborer les pires clichés racistes.

 Toutefois, la révélation de ses mensonges a suscité un retournement de l'opinion, mais pas celle de nos «intellectuels».

 «Ayaan Hirsi Ali, c'est l'Europe !» affirme ainsi l'ineffable Bernard-Henri Lévy. Et d'ajouter : «Elle incarne la laïcité, la liberté de penser, la liberté d'aller et venir. Laisser tomber Ayaan, c'est bafouer nos propres valeurs.» Il ne lui est pas venu à l'idée de remettre en cause une personnalité si commode. Bien que menteuse, elle restait pour lui une sorte d'étendard de l'anti Islam. Sans elle, l'écrivaillon français Richard Millet aurait-il pu dire au clone de Bernard-Henri Lévy, Alain Finkielkraut dans l'émission Répliques du 11 juin 2011 (une émission de France Culture, si, si !) : «Quelqu'un qui à la troisième génération continue à s'appeler Mohammed quelque chose, pour moi, ne peut pas être français.»

 Il se trouve que ces mêmes personnages se retrouvent dans le soutien inconditionnel à Israël. Ils pratiquent en toute impudence le «deux poids, deux mesures».

 Ainsi ne les a-t-on jamais entendus condamner le massacre commis par Israël à Gaza en décembre 2008 et janvier 2009. Bien entendu, ils n'ont pas un mot pour dénoncer le blocus de Gaza. Quelle relation, me direz-vous, avec l'affaire Strauss-Kahn (laissons les acronymes aux grands de ce monde, tels JFK. Pas de DSK de grâce !) ?

 C'est qu'ils sont pour quelque chose dans la marche du monde. A titre d'exemple, il est de notoriété publique l'intervention française en Libye a été obtenue par Bernard-Henri Lévy. Ils contribuent fortement à faire l'opinion. S'ils jouaient un rôle d'intellectuels véritables, qu'attendent-ils pour condamner le gouvernement grec qui empêche la flottille de la Liberté tenter de briser le siège de Gaza en essayant d'y accoster pacifiquement pour y porter une aide humanitaire et un témoignage de solidarité ? Ou alors, ils sont du côté des décideurs qui contraignent le gouvernement grec à avoir cette attitude indigne pour bénéficier des financements dont le pays ruiné a besoin.

 Que dire du gouvernement turc de Monsieur Erdogan ? Après avoir fulminé plus souvent qu'à son tour contre la politique israélienne, après avoir exigé des excuses qu'il n'a jamais obtenues, le voici qui se couche lui aussi. Le navire Marmara, théâtre de l'assaut israélien au large de Gaza qui s'est soldé par neuf morts, a été lui aussi interdit d'appareiller, officiellement pour des raisons techniques, en réalité à la demande des Etats-Unis qui tenaient à aplanir les tensions diplomatiques entre Turquie et Israël qui, on l'oublie souvent, sont alliés militaires. Quelqu'un a-t-il entendu un de ces «intellectuels» vouer Erdogan aux gémonies. Le Quartette, qui regroupe les Etats-Unis, l'Europe, la Russie et l'ONU, est cette organisation fantomatique qui promet chaque année ou presque l'émergence d'un Etat Palestinien. Il vient de demander officiellement aux bateaux de la flottille de la Liberté de renoncer à se rendre à Gaza. Ce serait inopportun, ajoute-t-il. Les Gazaouis resteront donc sous blocus jusqu'à ce que le gouvernement israélien décide qu'il sera enfin opportun de les libérer, ce qui se produira sans doute aux alentours des calendes grecques. Nos fameux «intellectuels» ont-ils eu la dent dure contre cette organisation qui prétend empêcher des pacifistes d'exercer leur droit de citoyens en s'opposant à un acte illégal ? Non, évidemment.

 Gageons qu'ils seront encore là en septembre prochain lorsque, à l'ONU, les Etats-Unis et leurs alliés mettront leur veto à l'admission de l'Etat de Palestine, en dépit de l'écrasante majorité de voix qui l'aura approuvée. Eux seront encore une fois du côté des oppresseurs. En fait, ils n'ont jamais mis autant de conviction que quand ils ont défendu l'un des leurs, riche socialiste de salon, incapable de maîtriser ses instincts les plus vils. Ils n'ont jamais autant eux-mêmes que quand ils se sont acharnés sur une femme de ménage noire et musulmane. Ils n'ont jamais autant été eux-mêmes que dans la défense inconditionnelle de l'homme de pouvoir qu'ils ont absous bien avant que le doute envahisse le procureur Cyrus Vance Jr.