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Effets d'illusion et corollaires mystificateurs

par Farouk Zahi

La canicule frôle les 44 degrés Celsius en ce début de juillet à Tipaza. Sur la route, au-delà de Bou Ismaïl où l'autoroute prend fin, ça bouchonne à Bou Haroun et à Aïn Tagouraït (Bérard, comme aiment à l'appeler encore les autochtones).

Les Algérois à l'assaut des côtes de l'antique Césarée, ramènent avec eux leur complexe de citadins roulant sur une triple voie, voire une quadruple voie, pour enfin de compte, bloquer le flux circulant. Le vis-à-vis, est contraint de subir ces excès d'enfants gâtés. Ce n'est guère meilleur par Attatba, le marché de gros créé l'encombrement ce qui rend le trajet interminable. Montre en main, il aura duré 1h30 entre Chéraga et Tipaza. Une dame, descendue d'un 4 /4, tenaillée certainement par la faim, se «voile» la face pour éviter « l'enfumade » du brasier qui lui grille son pain de maïs. Juste en face, le vendeur occasionnel qui a pignon sur rue, annonce par une immense pancarte en carton écrite à la craie et soutenue par un pieu: ?ufs bouillis et autres victuailles. A l'ombre d'un parasol, les poissonniers qui foisonnent, ne s'embarrassent d'aucun scrupule, le poisson qui avait une certaine fraicheur le matin, est maintenant flasque à cette heure où le soleil est au zénith. L'immense carpe d'eau douce du Mazafran ou du barrage de Sidi Amar et la gracile crevette ne résisteront pas à l'effet d'étuve. Imperturbable, un jeune homme jette dessus de pleines mains de glace concassée à la blancheur douteuse. Il y a, à peine quelques jours, le visiteur ou même le résident était surpris par la vacuité des accotements. Point de camionnettes « bourrées » de patate, ni basse cour caquetante, ni monticules de melon, ni « khoubz eddar ». La visite du chef de l'Etat à l'Académie interarmes de Cherchell pour la traditionnelle sortie de promotions a fait place nette.

 Blancheur d'ambiance et étendards flottants au vent ont effacé, momentanément, l'hétéroclite bric à brac qui agrémente cet axe balnéaire à vocation touristique. Des policiers et des gendarmes en tenue d'apparat, semaient la route officielle de leur silhouette de soldats de plomb. Le soleil réverbérant, aura sur eux, sans nul doute, de fâcheux effets. Points de barrages de contrôle, point de clous sur la chaussée, point de ralentisseurs, tout a disparu par ce miracle dont seules, nos collectivités locales en sont capables. Le trajet Tipaza- gare centrale d'Alger n'aura duré qu'à peine 1 heure. Le nouveau paradoxe et que certainement tout le monde aura constaté, est cette surprenante fluidité dans la circulation routière à l'intérieur de la capitale. La seule obstruction, se trouvant en contrebas du parc de la Liberté (ex. Galland) est causée par des travaux de confortement de terrain. La sortie vers le Front de mer par Bologhine est aisée. L'on se demande jusqu'à présent, pourquoi le nom de Boulokine Ibnou Ziri, s'est-il transformé en Bologhine. Les anciennes demeures coloniales longeant le boulevard, sont dans un piètre état. Décrépies et pelées, leurs façades offrent une image peu flatteuse de ce que droit être le cœur d'une capitale. Les effluves marins ont eu raison de tout ce qui est métallique. Les antennes paraboliques rouillées en sont la démonstration. Rais Hamidou, Bainem-Les-Bains, jadis havres de paix, se sont transformés au fil du temps en quartiers périphériques grouillants. La promotion immobilière verticale en a fait des quartiers populaires, pour ne pas dire populeux. L'autoroute Ain Benian-Boufarik achevée et livrée à la circulation, peine à sortir de la première localité pour cause de travaux inachevés. Le retour sur Tipaza est facilité par la fluidité de la circulation et ce jusqu'à Bou Ismail qui, il n'y a pas si longtemps, constituait un casse tête pour les automobilistes. La localité, soustraite à la circulation par le contournement supérieur, tente de retrouver un tant soi peu, sa sérénité d'antant. Son célèbre boulevard du Front de mer, n'est plus qu'un lointain souvenir des nostalgiques. En dépit du renouvellement des candélabres et quelque rafistolage, la promenade est dramatiquement nue. La chaussée, toujours défoncée, sujette à de piètres rapiècements est indigne de cette cité balnéaire dont le vivier n'est plus qu'un lointain souvenir. La marina promise, n'est qu'une muette couronne de blocs de granit. L'odeur pestilentielle, générée par les rejets de l'industrie papetière, est la nouvelle nuisance dont le collège élu semble s'en détourner. Le marché communal, joyau architectural de l'époque coloniale, n'échappe pas à la règle du laisser aller et de l'esprit « beylik ». L'insalubrité de l'entrée de cet équipement public, est devenue une fatalité de la ville.

 L'école Akermi Zahra, sur les hauteurs, est d'anthologie dans le mépris de l'enfance. A moins d'une dizaine de mètres d'un dépotoir d'ordures, elle souffre autant que la cité qui la jouxte, du dédain des cantonniers. Plus haut et à moins de 200 mètres, le rond point enguirlandé à satiété, modèle accompli de mystification, présente un tout autre visage de ce que l'on dissimule au regard officiel.

 Présentée comme la panacée aux maux dont souffre l'environnement urbain, la sous traitance de l'enlèvement des ordures, est ce nouveau fléau qui siphonne, à son seul profit, des ressources budgétaires communales pérennes. La curée, largement consommée, est admise par tout le monde, tutelle comprise apparemment. Bérard, pour rester dans l'air du temps, est toujours ce village propret et avenant. Agrémenté par les magasins d'articles de plage, il semble sourire aux visiteurs. Un point noir cependant, l'épidémique couleur orange semble, cette fois-ci, toucher même les lieux du culte ; la mosquée du village, n'en a pas réchappé. Un important organisme logeur, innove en matière d'information du public. Un encart publicitaire annonce, fait inhabituel, un chantier de 124 logements promotionnels aidés, inscrits dans le quinquennal 2010-2014. On se permet le luxe d'implanter une belle clôture de chantier peinte aux couleurs azurées. Les ouvriers s'affairent encore à réaliser un muret de soutènement en pavement de pierre. Le terre plein, semé de gazon ne passe pas inaperçu ; est ce le début de la fin de la médiocrité ? Est-ce le cas pour tous les sites ou est-ce l'habituel traitement de faveur réservé aux vitrines comme à l'accoutumée ? Espérons que cette initiative heureuse, après tout, ne soit pas que circonstancielle. Pendant que la longue file s'étirait laborieusement, trois mustangs aussi noirs que des scarabées, surgissent de la file opposée, tous feux allumés et gyrophare clignotant, pour disparaître subrepticement dans le flot de véhicules. Si cette escorte est présidentielle, il y aura tout lieu de croire que de nouvelles mœurs de sécurité sont entrain de supplanter les pratiques archaïques de blocage et de détournement de la circulation avec les incommensurables désagréments vécus par tous. Le chef de l'Etat, apparemment, de retour du cérémonial militaire de l'AMIA, rentrait dans ses quartiers sans tambour ni trompette. Le chantier de l'autoroute est aux portes de Tipaza. A son achèvement, l'accès à la ville, haut situé, n'en sera que plus beau par le surplombement de la rade au pied de l'austère mont du Chenoua qui se mire dans le grand bleu. La cohue estivale est perceptible à travers les rues, l'achalandage des commerces et l'effervescence de l'esplanade du port envahie par des cohortes d'enfants venues de partout. Cette image idyllique, peut et à tout moment, être remise en cause par des énergumènes qui refusent par leur comportement, de s'inscrire dans la cohésion sociétale qui fait la citadinité. C'est ainsi qu'en plein boulevard principal, le regard tombe sur un individu, d'apparence normale, qui soulageait sa vessie sur le gazon non loin du Mémorial de la ville. Allez discourir la citoyenneté à une engeance de cet acabit.