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L'histoire, n'en déplaise à Juppé

par Abdelkader Leklek

Charbonnier est maître chez soi, dit un proverbe, français qui plus est. Donc, et comme depuis longtemps, grâce aux sacrifices des femmes et des hommes d'Algérie, nous pouvons nous exprimer sur nous-mêmes et aussi sur les autres, quand il le faut.

Nous avons, par conséquent, le droit de sasser notre histoire, c'est-à-dire la tamiser, et de la ressasser, c'est-à-dire la re-tamiser. Et nous y reviendrons, sans cesse, tant qu'il nous plaira. Autant de fois dans la même journée et plus. Bien que souvent, cela, nous rappelle nos malheurs, mais également cela évoque pour nous, de grands bonheurs mémoriels. Comme, par ailleurs, il plaira également à Monsieur Alain Juppé de ressasser son histoire, ou pas. Il en est libre. Néanmoins là où il se goure, c'est de vouloir nous l'imposer. En nous interpellant chez nous, pour nous signifier d'arrêter de ressasser l'histoire. Est-ce déontologiquement régulier et recevable ? Et puisqu'il me donne l'occasion, il doit raisonnablement accepter et digérer le fait, qu'à une de ses périodes, la sienne d'histoire, avait agressé la mienne, et fatalement il lui faudra la ressasser, même s'il lui faut la subir. Et de notre point de vue, même si nous ressassions tous les jours, notre histoire, nous ne viendrions jamais à bout, tellement elle est grande et que chacun de ses instants est en soi un moment événementiel. Et tout d'un coup, je m'aperçois, que par cet exorde, je me suis mis moi-même aux fers, je suis captif de la richesse de l'histoire de mon pays. Par où vais-je commencer, pour légitimer, s'il le fallait, ce retour continuel à sa remémoration ? Qu'à cela ne tienne, et ce n'est pas comme dirait Monsieur Juppé, ministre d'Etat, ministre des affaires étrangère français, un inventaire à la Prévert, que le poète en soit ici salué. Notre histoire commune infligée, avec la France colonialiste, pour ceux qui ne veulent pas voir, ce sont : les exécutions sommaires, les juridictions d'exception, où l'administration coloniale était juge et partie. L'accaparement des biens du beylik et des biens habous au profit du domaine français. La création et la levée, sous la contrainte d'impôts ruinants, et servant à financer l'oppression de la population algérienne. L'application du code de l'indigénat, qui rendait délictuellement punissables, le départ de sa commune sans avertissement, le départ de sa résidence sans passeport, l'oubli de faire viser son permis, là où l'on séjourne plus de 24 heures. Ou bien le refus ou la négligence de faire des travaux, des services, ou de prêter secours dans les cas d'insurrection.

Cette histoire partagée, c'est aussi : la dépossession des tribus de leurs terres et la dislocation du lien tribal et de la structure sociale. C'est la suppression de l'inaliénabilité des biens habous, au profit du colonat. C'est l'application de la loi pénale française aux algériens. C'est l'institution du séquestre sur les terres des algériens, et l'annexion des terres fertiles du littoral. C'est le sénatus-consulte de 1863 instituant la propriété privée, ayant pour objectif, le morcellement des terres Arch et la désagrégation de la cohésion et des liens du groupe humain, comme organisation sociale. C'est la procrastination dans le traitement des épidémies, des famines et des calamités naturelles, touchant la population autochtone. C'est le deuxième collège, c'est le certificat d'étude à titre indigène. Ce sont les S A S : sections administratives et sociales, en réalité des centres de l'action psychologique, de l'armée française. Ce sont les D O P : détachements opérationnels de protection, en fait des centres de tortures. Et least, but no last, ce sont les enfumades des populations algériennes.

Crimes contre l'humanité, puisque ce sont des meurtres et des assassinats génocidaires, par lesquelles s'était sinistrement illustré le général Pellissier alors colonel en 1845. Il enfuma des hommes, des femmes et des enfants dans le Dahra, qui fuyant la terreur de sa soldatesque, s'étaient réfugiés dans une grotte. Il se singularisa dans son odieuse entreprise, sur ordre de Bugeaud lui indiquant la conduite à tenir : «Si ces gredins se retirent dans leurs cavernes, imitez Cavaignac -autre funeste personnage- fumez les à outrance comme des renards.» C'est ce qu'il fit .Un témoin de cet horrible acte raconte : « Parmi les animaux entassés sur eux, on trouvait des hommes, des femmes et des enfants .J'ai vu un homme mort, le genou à terre, la main crispée sur la corne d'un bœuf .Devant lui était une femme tenant son enfant dans ses bras .Cet homme avait été asphyxié au moment où il cherchait à préserver sa famille de la rage de cet animal .On y a compté 76O cadavres.»

Plus maniaque, autant que cruel, fera plus atroce. Le général De Saint Arnaud, raconte dans ses -Lettres du maréchal De Saint -Arnaud- comment il s'était pris avec 5OO Algériens qui refusaient de se rendre, s'abritaient depuis le 8 Août 1845 dans une grotte prés de Ténès : «Je fais boucher hermétiquement toutes les issues et je fais un vaste cimetière .La terre couvrira à jamais les cadavres de ces fanatiques .Personnes que moi ne sait qu'il y a dessous 5OO brigands qui n'égorgeront plus de Français .Ma conscience ne me reproche rien .J'ai fait mon devoir». C'est un premier tableau de très loin non exhaustif, mais il est, et demeurera macabre. Durant les premières semaines de la conquête de l'Algérie par l'armée coloniale Française .Les Français en campagne guerrière avaient volé et rapatrié pour plus de 5OO milliards de francs de l'époque, soit l'équivalent de près de 4 milliards d'Euros .Et j'en arrêterais là, mais avant, je signale à certains, qu'en français, les exterminations, les déportations, esclavage, les tortures, les viols ,les persécutions physique et morale, les bombardements des populations avec du napalm, les camps d'internement, les chouhada, les veuves et les orphelins, cela s'appelle des crimes. Et pour la ixième fois, comme je l'ai déjà fait dans les colonnes du Q.O, j'avise que ce je vais relater, n'est ni une comparaison, ni une confrontation, ni une échelle de graduation, encore moins un parallèle d'amplitude, entre les malheurs, les afflictions, les souffrances et les détresses du genre humain. Néanmoins, quoi que l'on fasse, les faits historiques sont têtus. Qu'on y regarde de plus près, sans haine et sans animosité.

Le 17 juillet 1942, le régime français de Vichy ameute sa police pour participer à la rafle de tous les juifs de France et de navarre. Pour ce faire il mobilisera 9000 agents. Ce seront 13 152 juifs français, qui seront comptabilisés arrêtés au soir de la même journée, selon les chiffres officielle de la préfecture de police. Un exploit dans le genre, et conduits au vélodrome d'hiver à Paris, appelé le Veld'hiv. Ils seront ensuite conduits à Drancy, et finiront pour la plupart gazés, dans les camps de concentration nazis.

Cinquante trois ans après, c'est-à-dire, le 16 juillet 1995, le président Jacques Chirac avait reconnu devant le monument commémoratif de cet évènement, la responsabilité de la France, dans la rafle des juifs français et dans la Shoah, debout droit dans ses richelieu, il déclara : ?'Ces heures noires souillent à jamais notre histoire, et sont une injure à notre passé et à nos traditions. Oui, la folie criminelle de l'occupant a été secondée par des Français, par l'État français.

Ce jour-là, dans la capitale et en région parisienne, près de dix mille hommes, femmes et enfants juifs furent arrêtés à leur domicile, au petit matin, et rassemblés dans les commissariats de police. 4 500 policiers et gendarmes français, sous l'autorité de leurs chefs, répondaient aux exigences des nazis.

La France, patrie des Lumières et des Droits de l'Homme, terre d'accueil et d'asile, la France, ce jour-là, accomplissait l'irréparable. Manquant à sa parole, elle livrait ses protégés à leurs bourreaux ?'.

Cette attitude honore, ennoblit, et rehausse, l'humanité toute entière, parce que, c'est une reconnaissance, du tors de l'homme envers l'homme, du fort vis-à-vis du faible, de l'oppresseur face à l'opprimé, et du tortionnaire à l'égard de la victime. Cependant, l'essentiel est que cette confession puisse désormais valoir, interdiction, défense, prohibition et proscription de la moindre reproduction de pareilles épreuves, persécutions et douleurs, pour toujours.

Comme suite à cette tragédie, œuvre française, et pour ne prendre que deux exemples de l'histoire commune par la force, de l'Algérie et de la France, je citerais, premièrement :

Le cas du président du Conseil, Guy Mollet qui co-signa, en mars 1956, avec le ministre de la Défense, Bourgès-Maunoury, celui de la Justice, François Mitterrand, et Robert Lacoste - gouverneur général de l'Algérie - un décret,dit des pouvoirs spéciaux, relatif à l'application de la justice militaire d'exception en Algérie,qui donnait, les pleins pouvoirs à l'armée. Ce qui se traduira dans la réalité, par une licence accordée au pouvoir pour utiliser la torture tous azimuts, contre tous ceux qu'il soupçonne d'aider la révolution algérienne. Cet oukase autorise l'envoi de 250 000 hommes supplémentaires en Algérie pour procéder au maillage du terrain et des populations que Robert Lacoste réclamait depuis son arrivée en Algérie. Ces troupes commettaient les crimes de sang, la nuit, et leurs officiers disaient leur justice, le jour. Contre des femmes et des hommes, sans défense et ne comprenant même pas la langue dans laquelle était annoncé, l'acte d'accusation.

Pour le deuxième cas : c'est l'attaque engagée, par les services de sécurité français, pour contrer les actions du F L N historique et de sa fédération de France. Pour ce faire, les autorités françaises instaurèrent un couvre feu de 20 h 30 à 05 h 30, ne concernant que les algériens. En réaction, ces derniers encadrés par leur organisation, se rebellèrent et décidèrent de manifester pacifiquement, contre cette discrimination. Ils répondirent à l'appel et sortirent de nuit à l'heure du couvre feu, femmes et enfants par défi. Pour réprimer ce simple droit de la personne, le fait de se déplacer librement. Maurice Papon préfet de police, donne l'ordre aux 7000 gardiens de la paix et 1400 CRS et gendarmes mobiles d'intercepter tous les Algériens et de les empêcher par tous les moyens de participer à la manifestation. Des contrôles sont effectués dans tous les grands points de passage de Paris. Les policiers se massent à la sortie des bouches de métro pour emmener directement les Algériens en cars aux centres de détention. Au centre d'Identification de Vincennes, au Palais des sports de Paris et au Parc des Expositions. Une épreuve où plusieurs n'en sortiront pas vivants. Ils seront torturés et brutalisés jusqu'à la mort. Le bilan est selon les sources françaises, de 2 morts parmi les manifestants Algériens et 1 Français métropolitain, 64 blessés et 11500 arrestations, ainsi que de 13 blessés du côté de la police.

Les sources algériennes évaluent à entre 30 000 et 40 000 manifestants dont 327 morts et portés disparus.

C'est le même Maurice Papon, qui était sous le régime de Vichy, secrétaire général de la préfecture de Gironde, deuxième pole en densité, de la communauté juive de France, après Paris, qui supervisa personnellement, les préparatifs de la déportation des juifs du département à Drancy et de là, aux différents camps de concentration hitlériens. Et hasard de l'histoire, c'est ce même sinistre personnage, qui le 17 Octobre 1961, organisait la chasse aux des émigrés algériens, décida de leur concentration et ordonnait froidement leurs exécutions. C'est un cas de parfaite similitude historique, où le principal protagoniste se trouve être la même personne, le secrétaire général de la Gironde, devenu préfet de police de Paris, le funeste Maurice Papon, pour ne pas le nommer. Toutefois, ce qui change dans le scénario, et seulement cela, ce sont les traitements dissemblables, et les réponses sélectives et préférentielles réservés par les officiels français aux mêmes épreuves et aux mêmes affres, subis par des hommes et des femmes, par le bon vouloir de ces mêmes officiels à des époques différentes. Écoutons, pour plus de visibilité, monsieur Chirac,qui en 1995 s'indignait du comportement de la France envers ses juifs, parler dans le tome deuxième de ses mémoires paru en 2011, des relations de la France avec l'Algérie, et précisément de la reconnaissance des crimes commis par la France colonialiste. Il explique que :'' Le principal obstacle viendra de l'acte de repentance que le gouvernement algérien nous demande quelques mois plus tard de faire figurer dans le préambule - du traité d'amitié- acte par lequel la France exprimerait ses regrets pour «les torts portés à l'Algérie durant la période coloniale».

Il me paraît utile et même salutaire, comme je l'ai indiqué dans mon discours de l'Unesco à l'automne 2001, qu'un peuple s'impose à lui-même un effort de lucidité sur sa propre histoire. Mais ce qu'exigent de nous les autorités d'Alger n'est rien d'autre que la reconnaissance officielle d'une culpabilité.

Je ne l'ai naturellement pas accepté, consentant tout au plus à souligner, dans une déclaration parallèle et distincte du traité, «les épreuves et les tourments» que l'histoire avait imposés à nos deux pays. C'est le maximum de ce que je pouvais faire. Il n'était pas davantage question pour moi de célébrer, comme certains parlementaires UMP m'y invitaient, le bilan positif de notre héritage colonial. C'eût été tout aussi excessif et injustifié, pour ne pas dire indécent. L'amitié franco-algérienne se passerait donc de traité.

Après cette forte affirmation qui vaut ce qu'elle signifie, il nous est dès lors, légitime, de nous questionner. Et pourquoi cette différence de considération ? La réponse ne peut-être que multiple et diverses. Mais pour éviter de foncer tête baissée, dans les travers, d'un pseudo antisémitisme primaire, dont les apôtres servants, sont aux aguets de la moindre allusion et prompts à dégainer, mon propos ne vice aucunement la communauté juive de France. Elle a su se donner les moyens pour faire, par divers procédés et méthodes, admettre et reconnaître à la France et à l'Etat français ses crimes envers les juifs.

Donc la question ne concerne pas les juifs, mais le parangon est illustratif, et commande une réponse de la France officielle, envers le peuple algérien victime, qui tarde à venir, sinon qu'à chaque occasion, la France et l'Etat français, sous l'emprise d'un émotionnel qui a des difficultés à se stabiliser, sur la question de la guerre franco-algérienne est ses lots de massacres, réagissent mal, brouillent les cartes et boudeurs, ils s'enferment chez eux. Pourtant la génération, Chirac, n'est pas la génération Juppé, mais les comportements et les réactions demeurent, cinquante après le fin de cette guerre, les mêmes. Est-ce atavique ? Ce constat me donne l'opportunité, de questionner Monsieur Jean Pierre Chevènement, président le l'association France-Algérie, qu'il me permette donc, cet échange de points de vue. Lors de son passage à la télé algérienne, le vendredi 25 juin 2011, il affirmait, comme un fort en thème, que le passé, c'est fini, et que monsieur Juppé avait parfaitement raison, de nous dire d'arrêter de ressasser l'histoire. Cher ami, et c'est sincère de ma part, merci pour la leçon de logique, le passé ce n'est ni maintenant, ni également demain. Et chez nous, le diagramme du temps, ainsi que le sens trigonométrique des aiguilles d'une montre, s'apprennent très tôt. Et si vous approuvé monsieur Juppé, ce qui vous est d'ailleurs, librement permis , s'agit-il alors d'un simple accord sur la sémantique,ou bien est-il question de la défense d'un corporatisme,de politico-énarchistes, cocorico et franchouillard ? Par ailleurs, dans sa conférence de presse à Alger, le sénateur du territoire de Belfort, en républicain convaincu, ce qui le grandit, prétend que : ?' la notion de «repentance est une suggestion imprégnée d'esprit chrétien».

Du point de vue de la République française, qui est une république laïque, je préfère le travail de la conscience''. Monsieur Chevènement, acceptez que j'interfère dans votre cogitation, pour vous dire que le pardon, n'a pas de nationalité, n'a pas de pays, n'a pas de religion, n'est l'apanage d'aucune linguistique. Il n'est ni laïc, ni agnostique, ni athée. Monsieur notre ami, le pardon, c'est une morale et une éthique entre les humains. Alors messieurs Juppé, Chirac et Chevènement, sachez que le pardon, n'est pas en langue française synonyme de repentance. Quant au ressassement ou bien ressassage, car l'un et l'autre se dit et se disent, nous le continuerons, comme thérapie contre, l'oubli, l'amnésie et l'autisme, face aux crimes commis contre nous, jusqu'à l'avènement de femmes et d'homme capables de pardon, sans aversion et sans rancune, pour d'autres femmes et d'autres femmes, dont les ancêtres se sont combattus. De notre côté, en attendant, sachez également, que nous sommes capables de persévérer sur le chemin de la paix, sans occulter toute notre histoire, y compris dans son pan commun avec la votre.