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De l'écrit jaillirait la lumière !

par Mohammed Beghdad

Depuis le 26 juin dernier, de nombreux lecteurs s'intéressent passionnément aux échanges sur le Quotidien d'Oran entre deux plumes. Un véritable face à face dans un pays désertique entre deux éminences grises de la plume, chacune dans son domaine, en l'occurrence messieurs Kamel Daoud et Yasmina Khadra. Il ne s'agit pas ici de prendre partie pour l'un ou pour l'autre, loin de là pour le moment. On en demande infiniment des échanges de ce type. On apprend plus que l'on donne. Les réactions, ce ne sont pas dans l'immédiat. Ils sont entrain d'éclairer nos lanternes et nourrir nos méninges sur des choses laissées en suspens et que les politiques n'ont pas réglées en leur temps et qui dorment aux fins fonds de l'inconscient de l'algérien. Dans les pays développés, les télévisions et tous les autres médias auraient pris automatiquement le relais en invitant les intervenants à débattre de vive voix, non pas pour relancer les polémiques mais pour extirper le plus de jus à alimenter les cervelles. Chez nous, un tel débat ne dépasserait pas les frontières de l'adresse d'un journal. Le grand public ne saura jamais ce qui se passe dans les têtes de nos intellectuels. Cela resterait presque du domaine privé.

En tous les cas sur Facebook, les membres amis ne font abstraction d'aucune retenue et n'ont pas de crainte à affronter leurs idées. Ils y vont avec toutes leurs opinions, le débat fait sensation. Et c'est vraiment dommage pour le pays tout entier de ne pas en profiter de ces moments d'une rare saveur. C'est une des causes principales que l'écrit ne peut se populariser dans le pays tant qu'il n'y a pas de répondant dans la société et au sein des pouvoirs publics qui monopolisent les médias lourds. Mais il faut persévérer jusqu'à ce que tous les rêves soient un jour permis.

À quoi servirait-il ALORS d'Écrire ?

Combien de fois avons-nous entendu dans notre entourage la phrase désespérante et assassine: mais à quoi servirait-il d'écrire ou de faire des analyses sur tel ou tel problème qui mine le pays si ça ne rimerait finalement à rien ? Une phrase interrogative décourageante à plus d'un titre. On peut renvoyer la question sous une autre forme : dans le cas où nous nous déroberions de notre devoir, existerait-il alors un autre moyen de s'exprimer pour quelqu'un qui ne peut survivre que par sa plume ? Là tout le monde se détourne. Si des millions d'Algérie ont été à l'école depuis l'indépendance, ils devraient être utiles au pays même en répandant une petite phrase autour de soi et non semer le doute, le désespoir et la démoralisation. L'espoir doit être l'horizon qui nous ouvrirait toutes les portes du bonheur.

Quel est le moyen dont dispose un érudit, un instruit pour s'attaquer aux maux et aux fléaux qui rongent le pays de bas en haut et dans le sens contraire ? Evidemment l'écriture est un moyen formidable pour faire parvenir le message. Elle constitue sa véritable seule force nécessaire s'il sait l'utiliser à bon escient. Elle est redoutable et redoutée par tout le monde. On doit la manier avec intelligence où chaque mot, chaque verbe, chaque ponctuation aurait son importance pour décrire les tares ou les qualités de notre société. Une simple formule bien soignée et convenablement ficelée soulèverait des montagnes et ameuterait les responsables désignés ou imposés. Une lecture entre les lignes donnerait l'alerte aux concernés. C'est dans les discussions et les opinions contradictoires et constructives que le pays se forgerait, avancerait et non dans les propos outranciers des thuriféraires qui nous déchoient vers l'abîme et cultivent la fiction de l'illusoire du présent. La langue de bois ne nous dirigerait que rectilignement vers toutes les dérives et tous les dépassements incroyables. C'est ici que les intellectuels doivent jouer leur rôle principal de guide cérébral. On doit aussi savoir écouter, lire le contraire de ce que l'on pense. C'est dans les arguments nécessaires que l'on progresserait. Lorsqu'on aborde un universitaire dégoûté, déprimé, qu'est-ce qu'on pourrait espérer de mieux de ses disciples. Ou un parent qui n'accomplirait pas son devoir envers ses enfants laissés à l'abandon, à quoi s'attendrions-nous de sa progéniture dans un proche avenir ?

Une arme À double tranchant

Néanmoins, c'est une arme à double tranchant. Elle peut se retourner allègrement contre son auteur si elle est manipulée avec traîtrises, tromperies ou flatteries débordantes. On peut la rendre rentable dans tous les sens. Elle peut vous enterrer vivant si elle est manœuvrée imprudemment et peut-vous exhumer facilement comme l'avait été ces derniers temps Albert Camus en Algérie. Ne dit-on pas que les écrits restent tandis que les paroles s'envolent ? Imaginons un instant que le peu de gens qui écrivent, s'arrêtent subitement de le faire. On n'aurait ni connu Mohammed Dib, ni Mouloud Feraoun ou Malek Benabbi et encore aujourd'hui Mohamed Sansal, Yasmina Khadra, Kamel Daoud, Abed Charef ou Chemseddine Chitour. Le malheur et la décadence du pays seraient plus que garantis. Si le nombre de contributions s'accroitrait, ça ne pourrait que rapporter du bien à ce pays, le réconforter dans son esprit et dans sa marche vers le progrès. Une véritable bouffée d'oxygène dans un milieu gaz carboné.

L'Algérie forte en Oral, faible À l'Écrit ?

Peut-être que l'Algérie est à vocation orale où l'écrit ne tient qu'un négligeable rôle. Mais cette supposition ne tient pas longuement la route. Si c'est réellement le cas, cela signifierait que notre pays est encore analphabète qu'on ne le pense en haut lieu alors que les chiffres officiels prônent l'inverse. Lorsque vous vous trouverez en Europe par exemple, les citoyens lisent où qu'ils se trouvent. Que ce soient dans le métro, dans le bus, dans le train ou partout ailleurs. A tel point que la distribution des journaux gratuits s'est généralisée dans toutes les villes. On le constate fortement dans la rue. La lecture est partout présente. L'oral, sauf dans les débats télévisés ou des réunions, n'a aucune chance de sévir dans un milieu développé et averti. Il ne trouverait refuge que dans les pays qui ressemblent au nôtre. A défaut de débats organisés, c'est dans le brouhaha que l'on s'affronte à coups de gueule, de manches et de barres de fer. On en lit tous les jours dans les journaux que ce soit au sein des partis ou des associations qui ont pignon sur rue dans chaque campus universitaire. C'est un spectacle désolant offert aux médias de l'image du pays.

L'Algérien adore la tchatche

Il est connu de tous que l'algérien aime beaucoup plus parler dans l'informel qu'écrire. Est-ce un défaut ? Le lecteur moyen d'un journal ne s'intéresse qu'à la page sportive, aux scandales et les polémiques dans la presse. Il ne veut pas aller à l'essentiel, au plus profond des choses. C'est ainsi qu'il a été formé et formaté. Il adore s'intéresser aux sorts des autres que de se préoccuper de son quotidien. Mais comme me l'avait dit un collègue, le nombre restreint d'écrivains peut aussi expliquer le faible pourcentage de lecteurs dans la société. Il est aussi vrai dans l'autre sens.

À vos plumes !

Il y a d'après les chiffres officiels 38000 enseignants universitaires dans le pays sans compter ceux qui exercent hors université. Mais lorsqu'on veut chercher de la qualité, c'est rechercher une épingle dans une botte de foin. Bon bref, passons ! Ici un autre débat s'impose. Supposons que le quart de ces universitaires participe annuellement avec un texte. C'est 9000 papiers de 3 ou 4 pages, c'est presque une production de 400 livres en format de poche par an! Si le côté scientifique suivrait allègrement dans le cas où les moyens seraient déployés sans aucune embûche bureaucratique, notre pays pourrait faire progresser sensationnellement son score plombé en bas de l'échelle. Ce serait certainement une véritable révolution culturelle au vrai sens du terme. Ils auraient la capacité d'investir dans tous les domaines à force de creuser dans les crânes. De la politique jusqu'aux sports. Le gouvernant aurait certainement l'embarras du choix et le rayonnement sur la société serait quasiment évident.

Mouiller son maillot

C'est de l'écrit et de la réflexion que le pays peut en tirer profit et nous sortir du marasme actuel dans lequel plonge le pays. Un beau pays transformé en un territoire à fuir par toutes les recettes chimériques et à l'exécrer et le vomir tous les jours qu'on y demeure sur son sol. Par ailleurs, la matière grise est en hibernation, elle dort dans son profond sommeil et ne fournit aucun semblant d'effort pour métamorphoser son sort ou encore celui de son environnement. Beaucoup d'expériences somnolent en chaque universitaire dans ce pays mais elles n'éclateraient jamais si elles ne seraient pas mises à l'évidence.

C'est dans la production que l'on tire de la qualité. Il y a beaucoup de compétences qui reposent en chacun. Elles ne seraient jamais explorées si elles ne soient pas expérimentées. Il y a des universitaires qui travaillent beaucoup plus que les autres. Pas comme ils le font la moyenne par la brosse. Il y a ceux qui réfléchissent 18 heures par jour et il y a ceux qui ne procurent pas une minute à leur milieu. Le chacun pour soi semble être l'adage préféré.

 Les universitaires doivent laisser des traces. Ils doivent guider par la lumière cette société. Ils véhiculent de la science et peuvent créer du savoir faire. Ils doivent exprimer leurs opinions, pourquoi pas politiques, sur leur vécu au sein de la société dans laquelle ils vivent. J'ai la conviction qu'ils peuvent changer beaucoup de choses. L'écrit responsabilise aussi son auteur. Il faut qu'il se mouille le maillot. Il ne doit absolument pas rester en marge de la société, il doit absolument s'impliquer, gagner sa place. Si le pays lui a permis de faire de grandes études, il doit lui rendre ses dettes et des comptes. Et ne pas rester à l'écart et attendre que les autres lui apportent les remèdes. Un médecin doit soigner ses malades. On voit la catastrophe lorsque les charlatans se sont occupés de ses patients. L'histoire est pleine d'exemples concrets de ce genre.

L'écrit émane d'une profonde analyse tandis que le discours instantané, non réfléchi, non étudié nous mènerait tout droit vers la déroute. Je pense qu'ils seraient écoutés s'ils pourraient faire leurs preuves en apportant de solides références et de l'argumentaire fort soutenu.

Comment peut-on produire une élite dans le pays si elle n'est pas organisée et qui est surtout trop muette et invisible. C'est une histoire de coups d'échec et mat. Si aujourd'hui, le coup n'a rien apporté, il peut demain atteindre l'objectif escompté. C'est une question de persévérance et de stratégie. Lorsqu'un qualifié n'apporte pas son regard particulier sur une épreuve qui touche la société, dites-moi : qui est-ce qui pourrait le faire à sa place ?

L'indépendance de l'Algérie n'a pu être réelle que grâce à quelques uns qui avaient à peine le niveau de certificat d'études primaires ou le niveau secondaire. On imagine un peu qu'est ce qu'ils auraient pu accomplir s'ils possédaient en leur temps un niveau supérieur. La France coloniale trouvait en eux un danger permanent car ils savaient lire, écrire et donc raisonner. L'école était pratiquement un interdit pour tous les autochtones. Les adversaires de notre indépendance craignaient plus que tout de l'instruction. Les chiffres de scolarisation de l'époque le prouvent de manière singulière.

Un parent d'un ami m'a affirmé récemment que l'école française ne leur permettait jamais de dépasser le cap de l'école primaire pour ceux qui habitaient les quartiers des indigènes aux périphéries des villes. Les ruraux étaient condamnés à l'analphabétisme.

Le collège était un rêve inaccessible. Lorsqu'ils avaient de la chance, c'était la formation professionnelle pour les plus nantis. Quant au reste, c'était la rue qui les accueillait. Ils n'avaient de meilleur choix que d'aller faire leur classe chez Monsieur Guy le forgeron ou chez Monsieur Albert le menuisier du coin (c'est son expression) ! Pour les recalés, le désespoir les poursuivrait. Tandis que pour les illettrés, les colons fermiers les attendaient de pied ferme pour aller travailler la terre dans les champs et les exploiter pour un maigre pain noir et rassis.

En attendant que les consciences actuelles s'arrachent, rêvons un peu d'un sursaut salvateur. Un vœu pieu est toujours du domaine du possible.