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Il est des terres brulées...

par Farouk Zahi

? dont l'arôme du fruit est sublime. A l'orée des années quatre-vingt du siècle dernier, la loi sur l'accession à la propriété foncière agricole, alors promulguée, faisait sourire les plus sceptiques ; d'autres y ont cru.

C'est ainsi que l'opiniâtreté et le goût du risque vinrent à bout de l'adversité désertique. Là où la steppe ne survivait que grasse au maigre couvert végétal alfatier piqueté de touffes d'armoise, arrosé irrégulièrement de quelques ondées providentielles survint le miracle. Le spectre dunaire reculait sous le coup de boutoir de pelleteuses et autres niveleuses. On jetait à Maâdher Bou Saada, les premiers jalons de l'engouement pour l'agriculture saharienne. Le vocable «madher» voulait dire pour les anciens, un sol arable inondé par les crues riches en limon. On y semait du blé à la volée et on attendait patiemment la récolte aléatoire. Cela dépendait de l'humeur climatique. Un «saâ», l'équivalent de 140 kg de grain pouvait produire, jusqu'à 20 fois sa quantité à l'hectare ; on parlait alors de «bonne» année agricole. Il faut dire aussi que ces superficies marginales n'arrivaient souvent pas à nourrir toutes les bouches, d'où le bellicisme clanique ou tribal menant parfois aux rixes pour la survie. Un vieil adage agraire recommandait de : «scinder la moisson en trois parties, un tiers pour la bouche, un autre pour le stockage et le dernier enfin, pour le contentieux judiciaire». Les temps ayant bien changé depuis lors, il n'est point surprenant de voir verdoyer des terres jadis désertes, sous la pluie fine de pivots d'irrigation. Les premières tentatives qui ont débuté en 1974 avec 3 ou 4 pionniers qualifiés de casse-cous, n'ont pas été concluantes. L'immensité des dunes situées à l'est du territoire de la commune eut raison des quelques impertinents qui osaient défier la nature. Fief de vipères et de scorpions, il ne fallait surtout pas se laissait surprendre par la morsure ou la piqure, le plus souvent mortelle en l'absence de soins. Ce n'est qu'en 1985 que des parcelles cadastrées de 3 hectares chacune furent distribuées à 211 attributaires. La superficie totale, actuellement cultivée est de 2600 hectares. L'extension prévue vers la commune de Ouled Sidi Brahim au nord et vers Houamed au sud, compte 800 hectares potentiellement arables. L'eau, élément vital pour bonifier ces terres soustraites aux dunes en perpétuel mouvement, est puisée dans trois nappes. La plus proche est à 80 mètres, la plus profonde à 180 mètres. Alimentées par les précipitations le plus souvent irrégulières, elles ne peuvent résister à la surexploitation d'où une chute de 9 mètres de leur niveau supérieur. Selon hadj Amar, l'une des figures de proue des exploitants agricoles avertit de la pénurie qui ne serait pas très lointaine. Les déperditions sont importantes quand on sait que seules 30 % des superficies sont irriguées par goutte à goutte ou par aspersion. L'habitude voudrait encore que l'irrigation se fasse à flot par le système traditionnel. Le puisage a été longtemps assuré par la moto pompe fonctionnant au diesel, les numéraires déboursés pour le carburant et l'entretien mécanique mettaient à mal les capacités financières des agriculteurs qui n'avaient souvent pas de soutien bancaire. Ce n'est qu'en 1992 que l'énergie électrique faisait son entrée chez quelques particuliers qui en consentir le prix. Ce n'est enfin de compte, qu'en l'an 2000 que le gouvernement de M. Benflis consentait l'effort de doter la zone agricole de l'électrification rurale et c'est justement M. Youcef Yousfi, actuel ministre de l'énergie qui répondait favorablement à la doléance des agriculteurs. Ces aires fragilisées par la nudité presque désertique devaient, impérativement être protégée contre les vents le souvent violents. Agressifs par l'élément sablonneux qu'ils transportent, ils peuvent mettre en péril les spéculations de plein champ. On eut recours d'abord au roseau connu pour son exubérance et ensuite à la classique haie de brise vent faite de cyprès ou de casuarina. Définitivement adoptée, cette dernière est ramenée de la pépinière de Moudjebara à Djelfa. L'ombrage de 5 mètres généré par la haie est utilisé comme chemin de dégagement. La production agricole spéculative s'est faite d'abord sur la trilogie suivante : Carotte, navet, laitue. Le Madher est devenu ainsi la place forte de la carotte «muscat». Investissant depuis longtemps les carreaux d'une dizaine de wilayas par sa notoriété, la carotte a traversé la frontière ouest pour atteindre la Mauritanie. Comparativement à ceux de Djelfa et de Laghouat, les rendements sont de loin supérieurs, ils oscillent entre les 400 à 600 quintaux à l'hectare. La pomme de terre, reine actuelle de la table nationale est en passe de disqualifier les terroirs traditionnels, le Souf et le Hodna risquent à brève échéance d'en devenir le grenier et c'est tant mieux. Le gout et la qualité «bio» risquent de faire pencher la balance en faveur du Sud. Le transfert de technologie agricole est entrain de se faire inexorablement ; primaire d'abord, il fait déjà appel à la main d'œuvre le plus souvent ramenée de Tighenif et de Sidi-Lakhdar. Les rendements de saison ( mars-juin) seraient de l'ordre de 400 à 550 quintaux à l'hectare ; ceux d'arrière saison de 250 à 300 quintaux à l'hectare pendant la période d'aout à mars. La semence toujours importée va de la «désirée» à la «condor» à la «paméla». Hadj Amar souhaiterait à ce titre, que le pays devienne au plus vite producteur et qu'il couvre ses propres besoins en semis. En plus des produits cités plus haut, le bassin agricole produit la tomate, l'oignon, la betterave, le choux fleur, le fenouil.

 Fleuron de l'arboriculture locale, l'abricotier qui a acquis ses lettres de noblesse dans cette région depuis l'implantation des vergers vivriers traditionnels, est devenu une substantielle source de revenus. Planté à raison de 200 pieds par hectare, il arrive à produire de 1 à 1,5 quintaux. L'espèce locale peut atteindre les 150 ans de durée de vie. Rustique, il s'adapte bien au contexte climatologique local. La superficie totale détenue par l'arboriculture consacre à l'abricotier, le pêcher et le prunier près de 800 hectares. Plus des 2/3 de cette superficie sont plantés d'abricotiers dont 300 hectares détenus par le département agricole de «Cosider». L'amendement du sol et l'introduction de variétés ont fait de ce fruit assez fragile, un produit de spéculation compétitif sur le marché national. Les «boulaida», «pavé», «amandier» et «louise rouge» sont les appellations que notre hôte décline dans son jargon spécifique. L'industrie agroalimentaire, notamment celle des confitures dont les unités sises à Blida, Bejaia et Skikda s'approvisionne sur les lieux mêmes. L'arôme et le gout ont en fait un produit labélisé. Ces deux qualités sont de sérieux atouts pour la commercialisation extranationale qui ne sera en fait, que justice rendue à ces anonymes dont le pari fou a été payant. L'olivier qui a fait une timide incursion est en passe de se densifier. Utilisé comme brise vent d'abord, il devient de plus en plus commun dans le paysage steppique. La première huilerie ouverte depuis 2 ou 3 ans déjà, s'est constituée une fidèle clientèle. L'entreposage frigorifique dont la capacité n'est actuellement que de 3000 m3, répond plus ou moins bien à la demande actuelle pour la conservation de la pomme de terre, l'oignon et la grenade. Cette capacité est appelée à évoluer si les productions revêtent un jour ou l'autre, un caractère extensif par la mise à disposition de nouvelles superficies ou si le marché de la plasticulture, encore élevé, connaît une baisse significative des prix de revient. L'élevage bovin qui a largement dépassé le niveau expérimental, détient un cheptel qui avoisine les 5000 têtes. Le bassin laitier ainsi constitué, pourvoie au besoin des laiteries «Hodna» et «Soumman» en lait cru. Cette dernière prendrait à elle seule, quelques 20.000 litres de lait par jour. Certains promoteurs envisagent l'élevage bovin destiné aux commerces de bouche. Se pose, cependant, aussi bien pour l'un que pour l'autre et de manière aigue, la problématique de l'alimentation. Le produit agricole n'a de raison d'exister que lorsqu'il parvient sans à coup au consommateur et au prix étudié. Cette fluidité n'est envisageable qu'à travers un circuit commercial des plus courts dont les deux acteurs ne seront que le grossiste et le détaillant. Ce duo ne peu avoir d'espace d'expression que dans la marché de gros. Celui prévu à cet effet et qui ferait partie d'une série typifiée à l'échelle nationale, ne semble pas augurer d'une quelconque concrétisation. Celui qui remplit cette fonction ne semble pas fédérer les avis en matière de fonctionnalité. Selon notre interlocuteur dont la faconde est pleine de sagesse, si une parcelle de trois hectares arrive à subvenir aux besoins des familles du propriétaire et de celles de ses deux ouvriers, il y a lieu d'en faire un étalonnage pour équiper ou soutenir financièrement ce microcosme. Il est, paradoxalement observé que l'octroi du logement rural excepte ces unités agricoles pour le motif d'opulence. S'il est vrai que le propriétaire habite ailleurs, l'ouvrier vit sur les lieux mêmes.

 En dépit des facilitations, le soutien financier sous l'intitulé «R'fig» demeure encore semé d'embuches bureaucratiques. Le parcours est rendu sinueux par le seul comportement de ronds de cuir. Le système bancaire gagnerait à être au plus près de l'agriculteur en innovant dans la constitution du dossier. Il peut être envisagé des bureaux itinérants chargés de «dégrossir» la procédure afin d'éviter le déplacement inutile, source de désagréments décourageants.