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Par où commencer la réforme ?

par Abed Charef

Les réformes sont à la mode. Y compris en Algérie. Encore faut-il s'entendre sur le sens du mot réformes.

Depuis qu'il a accédé au pouvoir, le président Abdelaziz Bouteflika n'a agréé aucun nouveau parti. Ses gouvernements, dirigés par Ahmed Ouyahia, Ali Benflis ou Abdelaziz Belkhadem, sont restés sourds aux appels de personnalités de l'opposition qui voulaient faire de la politique de manière légale. Ses ministres de l'intérieur, Yazid Zerhouni et Daho Ould Kablia, ont tous deux affiché un rare cynisme envers les personnalités et les courants qui souhaitaient entrer en politique.

Cette attitude, adoptée dès l'accès de M. Bouteflika au pouvoir, a été maintenue alors que la loi est claire à ce sujet. Malgré les restrictions introduites sous Liamine Zeroual, la loi algérienne maintient en effet la possibilité de créer des formations à caractère politique. C'est une liberté essentielle dans toute démocratie : la liberté de créer des partis est la première condition du pluralisme.

Mais en douze ans de pouvoir, M. Bouteflika n'a pas cru nécessaire de respecter cet aspect primaire de la vie démocratique. Par son attitude, il a même poussé vers la porte de sortie certains anciens hauts responsables de sa génération, qui voulaient engager une nouvelle carrière. Parmi eux, deux anciens ministres des affaires étrangères, Ahmed Taleb Ibrahimi et Sid-Ahmed Ghozali, dont la carrière politique a virtuellement pris fin en raison de l'attitude de M. Bouteflika.

Ce verrouillage de la vie politique a été accompagné, tout au long des deux mandats de M. Bouteflika, par un verrouillage hermétique de médias lourds, où aucun opposant n'a eu la possibilité de s'exprimer. A l'exception des périodes électorales où quelques lièvres sont admis à l'antenne pour donner un minimum de crédibilité au scrutin, radio et télévision retournent à une gestion digne de l'âge de pierre, avec des journaux qui égrènent les messages du chef de l'Etat et des débats qui glorifient l'action du gouvernement.

 Et là encore, la loi, ou ce qui en restait, était pourtant limpide. La liberté de la presse est consacrée par la constitution et la loi. Et, plus que la loi, les pratiques modernes en matière de liberté de presse et d'activité politique auraient du pousser les dirigeants algériens à agir autrement, au moins pour faire semblant d'être de leur temps. Il n'en a rien été. Un système absurde a été maintenu, si absurde que la plupart des ministres, par exemple, le critiquent en privé, le considérant comme nuisible, voire dangereux. Les Algériens empêchés de faire de la politique la font dans la clandestinité. Et ceux qui ne peuvent s'exprimer dans les médias algériens le font dans les grandes chaînes étrangères, ce qui a entrainé un effet désastreux : la télévision algérienne a perdu toute crédibilité et tout impact sur la société, et l'opinion algérienne est désormais façonnée par les chaînes étrangères.

C'est pourtant ce même pouvoir qui annonce aujourd'hui son intention d'engager de profondes réformes, avec une révision de la constitution et des lois les plus importantes. Pourquoi faire ? Mystère. Le même pouvoir, avec ses pratiques, ses hommes, ses méthodes de gouvernement, sa manière de gérer la télévision, est toujours là. En entier. Avec son président, ses ministres, son gouvernement, sa bureaucratie et ses réseaux occultes. Pourquoi ferait-il aujourd'hui ce qu'il a refusé de faire hier ? Pourquoi adopterait-il aujourd'hui un comportement démocratique civilisé après avoir si longtemps rejeté, avec dédain, tous les appels en ce sens ?

C'est toute la question qui agite le pays. Il y a certes cette révolte qui balaie le monde arabe et menace de déferler sur l'Algérie, et qui devrait inciter le pouvoir algérien à tenter de prendre les devants, pour s'engager dans des changements nécessaires. Mais en réalité, peu de gens y croient. Car le pays a accumulé des handicaps devenus, avec le temps, insurmontables.

Le pouvoir actuel ne semble pas capable de penser et de mener le changement. De plus, tout changement signifierait, à terme, la disparition du système actuel. Or, on voit mal un pouvoir assis sur un puis de pétrole accepter de céder, ou même de partager. Enfin, les structures du pouvoir ont atteint un tel niveau d'indigence qu'elles ne sont pas capables de piloter une opération de changement.

La manière d'engager ces réformes le confirme amplement. La démarche est entamée par l'annonce de la révision de la constitution et de certaines lois. Or, le premier problème du pays n'est pas dans le contenu des lois, mais dans le rapport entre le pouvoir et la loi : le pouvoir algérien et ses hommes sont au-dessus de la loi.

La première réforme, sans laquelle rien ne peut se faire, ne demande aucun changement de texte. Elle exige simplement que tous les détenteurs de l'autorité, président de la république, ministres, walis, hauts fonctionnaires, agent de l'état, etc., se plient à la constitution et aux lois. Celles qui sont déjà en vigueur. Ensuite, il sera toujours possible de voir ce qui ne marche pas, et de changer ce qui doit l'être.

Autrement, la réforme envisagée se résumera à une opération absurde : remplacer des lois non respectées par d'autres lois qui ne seront pas respectées.