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Kabyles, dégagez !

par Abdou B.

«Les vrais hommes de progrès sont ceux qui ont pour point de départ un respect profond du passé». E. Renan

L'Algérie de 2011 vole de victoire en victoire, enregistre des progrès époustouflants et inscrit des bonds qualitatifs qui laissent pantois tous les experts internationaux. L'égalité entre les sexes, la parité hommes /femmes dans les assemblées, au gouvernement, à la direction des entreprises et des médias publics placent le pays dans le tiercé gagnant en Méditerranée. Depuis l'abrogation de «la directive» qui oblige le secteur public de passer par le monopole de l'ANEP pour sa publicité, une révolution est en marche. Les entreprises publiques se concertent sans «tutelle», font faire des enquêtes et sondages pour savoir comment orienter leur argent en fonction des titres qui marchent. Ces dernières, qui ne comptent plus sur «les instructions d'en haut», revoient leur maquette, leur ligne éditoriale, la formation de leurs personnels et affrontent les concurrences. Le secteur public retrouve son autonomie et doit faire ses preuves dans la production, la productivité et l'exportation. La presse, elle, évolue en qualité en faisant reculer la propagande et l'esprit d'allégeance qui en faisaient des baltaguias, pour certains. Les journaux publics, qui coûtent très cher au Trésor public sans avoir de lecteurs, ont bénéficié de deux années de salaires pour les personnels pour se grouper en une ou deux coopératives et lancer un mensuel, un hebdomadaire dans chaque langue, un grand quotidien de grande qualité destiné à l'international et aller à la conquête de lectorats et faire face à la concurrence.

 Dans chaque wilaya ou existent de grands industriels et des groupes privés, il a été dégagé des terrains après des études sérieuses pour la construction de salles et de complexes cinématographiques. Les postulants (privés) seront exonérés d'impôts sur deux ans contre trois recrutements de jeunes par salle et un cahier des charges tiré au sort entre les médias, le français et l'anglais. Idem pour les distributeurs qui auront ainsi du travail. Pour le film national, les sociétés de production bénéficient de prêts à taux zéro, remboursables, d'un montant global de trente milliards de centimes libérés par tranches en fonction de l'avancement de chaque tournage. Les modalités de mise en route du système sont négociées au cas par cas par la société de production et l'un des trois centres du cinéma répertoriés dans le J.O. Après signature, la banque spécialisée (créée en juin 2008) prend en charge le dossier financier. L'objectif étant de commencer par 20 longs-métrages et trente courts entre 2011 et 2015 pour ensuite multiplier par deux la production de fiction.

 Le lecteur aura compris que les lignes qui précèdent ne sont qu'un 1er avril avant l'heure. L'Algérie a d'autres problèmes autrement plus sérieux à résoudre. L'autonomie de l'entreprise publique, la production de films, la suppression du monopole de l'ANEP (qui mettrait au chômage 3 ou 4 personnes), la création de TV privées (qui nécessiterait un cahier des charges tiré au sort), la réactivation simplement de celui de l'ENTV, l'extinction des programmes clonés sans existence juridique, le recrutement par un conseil de l'audiovisuel (sur la base d'un programme) du DG de la chaîne publique avant le décret présidentiel, ce ne sont là que des «trucs» sans importance devant les grands enjeux. A commencer par les Kabyles qui viennent marcher à Alger et qu'il faut cantonner dans leurs montagnes. Ceux qui monopolisent la légitimité révolutionnaire ou historique, périmée depuis une génération, devraient savoir qu'à Alger ou ailleurs, le colonialisme tuait et torturait en se moquant royalement de la langue maternelle du militant ALN/FLN. Mais voilà qu'en 2011, il serait exigé un certificat de résidence par des baltaguias qui protègent leur «houma», pour manifester à Alger. Comment cracher plus et mieux sur la tombe de ceux qui sont tombés sur chaque pouce du territoire national ? Certains ont trouvé, et l'histoire le leur retiendra. En attendant : «Kabyles, Chaouis, Oranais, Touaregs, Constantinois, dégagez !» Alger aux seuls» Algérois».

 La vraie réalité est bien visible sur le terrain. Et après avoir récité le baba de l'exorciste qui s'échine à réciter l'œuvre majeure de La Palice qui était que «l'Algérie n'est pas la Tunisie qui n'est pas la Bulgarie qui n'est pas l'Egypte qui n'est pas l'Australie qui n'est pas le Brésil», force est de faire des constats. Les hôpitaux sont en crise et les étudiants sont chauffés à blanc par la surdité et l'incompétence de leur administration au sommet. Les cheminots, vieille tradition mondiale, sont habitués à la grève. Les médecins, dirigés par des bureaucrates, se révoltent et se manifestent aux yeux du monde. Les émeutes, les routes barrées, les grèves de la faim, les chômeurs s'organisent en se moquant des chiffres officiels toujours à la baisse, toute l'Algérie, Kabyles et extraterrestres y compris, manifeste, marche et se fait entendre partout. Il ne s'agit ni d'un complot impérialiste ni d'une manipulation énorme managée par le libéralisme transnational et encore moins de la main gauchiste des «ennemis du pays». C'est le pays réel et profond qui bouge et qui finira par faire opérer des jonctions, trouver des leaders partisans ou non et faire ressembler, après bien des points communs, l'Algérie à la Tunisie, à l'Egypte, au Yémen, etc.

 La grande différence, à la lumière des grandes tragédies connues par les Algériens, est que ces derniers veulent un profond et rapide changement, mais de la manière la plus pacifique. Tout en sachant que M. Bouteflika n'a pas le même cursus que Moubarak, Ben Ali, Kadhafi et ne leur ressemble en rien, les Algériens attendent forcément beaucoup, tout de lui. Il sait que les organisations de jeunes liées aux partis de la majorité ne sont pas légitimées par la base, tout comme leurs tutelles partisanes et leur représentation parlementaire. Il sait, parce q'il l'a dit souvent, que nombre de ses ministres n'ont ni la compétence ni les savoirs et encore moins le charisme et le courage pour faire appliquer et suivre un programme quelconque. Il sait comme tous les observateurs que le gouvernement navigue à vue et change de cap à chaque avis de tempête. Engager des réformes avec un Parlement discrédité dont la dissolution est demandée de l'intérieur et avec des ministres exemptés de tout scrutin, avec une majorité creuse et explosée ? Ce serait aller droit au mur. Donner un cap et une dynamique au monde de l'entreprise, de la production en privilégiant la seule UGTA ? L'échec est consommé. La centrale est sous perfusion politique depuis longtemps. M. Bouteflika sait exactement où se trouvent les femmes, les hommes et les forces politiques à même de mener des réformes pacifiquement, dans le dialogue et l'ordre. Des appels rendus publics et d'autres lui sont régulièrement adressés. Ils ne proviennent sûrement pas des pyromanes fascisants qui paient des voyous pour «casser du Kabyle» à chaque fois que des Algériens entendent pratiquer des libertés constitutionnelles, donc obligatoirement protégées par la loi et les forces de police. Créer des divisions ethniques entre les Algériens, les valoriser par des médias lourds publics et les encourager par le silence «pédagogique» de la majorité, du Parlement, des élites, relève de la «criminalité» politique explosive pour l'unité nationale qui est un bien et un rempart collectifs. Les apprentis sorciers méritent l'arrestation et les tribunaux par la vigilance patriotique des pouvoirs publics au-dessus des combats politiques nécessaires, à préserver des petits rentiers incapables d'imaginer en dehors des fermetures et de la répression qui finissent toujours par échouer dans la violence.