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Les nouvelles révolutions populaires

par El Yazd Dib

Nous vivons une ère où la carence des idéologues n'est plus une tare. La vie peut continuer sans dogme ni maître à penser. L'idéologie, qui mouvait hier toute révolution, s'est vite dépiécée pour se convertir telle une dame de charme,

dans un autre charme. La liberté et ses corollaires.

Le temps des gauchistes barbus, engagés entonnant l'internationale ou vantant les vers de Maïakovski ou récitant le credo de León est dévolu. Le marxisme dans son sens grégaire et son antinomie Ricardien se sont dissipés, depuis que l'université ne produit plus d'élite. Mais de futurs demandeurs d'emploi. Le temps n'est plus aux barbus d'un autre genre, prônant la théologie comme remède aux maux mondiaux. Il est cependant, ce temps à une frange pubescente à peine sortie d'une adolescence duveteuse. Une jeunesse fondant l'expression au bonheur social. Qu'importe la couleur d'une révolution, rouge rose, verte ou blanche le cout est faramineux. Ça se paye rubis sur ongle. Sans négociation. L'idéal intrinsèque de cette levée forcée contre l'ordre établi s'assigne pompeusement un idéal de démocratie. La société qui se renouvelle à la mesure des nécessités engendrées à leur tour par de nouveaux besoins, est arrivée à une symphonie collective postulant à l'unanimité le changement sans pour autant en savoir l'aboutissement final. Cette société ne doit fonctionner que par les faveurs enivrantes de la démocratie. Quel pays ne se dit-il pas démocrate ?

On considère que la démocratie est un dénominateur commun à toutes les formations civiles ou politiques, mais l'on oublie vite lors d'un éventuel affrontement civil ou politique, qu'il devait être interdit de maudire l'autre s'il n'arrive pas à partager , dans sa diversité, l'opinion contradictoire que l'on tente d'imposer au lieu d'opposer. Cette démocratie, car prise du mauvais coté, commence à causer par ailleurs de sérieuses dérives. En son nom, il est fait abstraction des libertés et des droits consignés dans la case des proscrits pour atteinte aux fondements du système. En son nom encore il est fait abstraction de toute expression manifestée à l'égard d'un non dit ou d'un déni de droit. Tellement le système de gestion des affaires publiques s'est réinitialisé, en faisant de la sourde oreille, une tacite réponse aux différentes manœuvres tendant à son renversement ; ce système avait pu résister par-devant tous les obstacles. Si une ou deux journées d'émeutes ont pu en ce 05 octobre 1988, procéder au changement radical de l'essence même du régime ; les trois années de la grande émeute en Kabylie ou ailleurs n'ont pas pu en effet oser entraîner le moindre recul dans la trajectoire que s'est tracée ce régime. Une fois la façade du pays s'est parée d'une législation à connotation démocratique à afficher au reste du monde, textes fondamentaux à l'appui ; l'autre reste n'est qu'une affaire de souveraineté nationale. Les émeutes successives jusqu'à celles de janvier dernier n'ont été qu'une accumulation ayant pour but d'acculer le pouvoir à faire sa mue ou l'obliger à se la faire par autrui. La fin ne se conçoit pas exclusivement dans l'annonce de la levée de l'état d'urgence ou sa prompte levée ; l'essentiel restera l'essentiel. Ce jeu du chat et de la souris que l'on nous vend chaque samedi ne peut durer. Alors que va-t-on faire maintenant ? Continuer à demander à marcher chaque samedi ? Se remettre en cause ? Ou chercher les vraies causes ? La solution peut être simple ou incertaine. Ou des mesures urgentes* doivent être prises volontairement et unilatéralement par le pouvoir ou l'aventurisme prendra de l'ampleur.

 L'onde de choc subie par toute la région, suite aux secousses à mélodie révolutionnaire pour leurs initiateurs en Tunisie et en Egypte, ne s'arrêtera pas en si bon chemin. Tous les Etats arabes, républiques, monarchie ou ni l'une ni l'autre (Libye) ; verront à des pondérations diversifiées leur révolution réussir. En fin de compte, chaque peuple conçoit selon ses besoins les contours de sa mouvance. Si Tunis n'a jamais eu de « révolution », les événements du 15 janvier peuvent valablement en tenir lieu. La postérité devait garder ces jours suivant un canevas tracé par les scripteurs du moment. Si au Caire, la première et dernière révolution date de 1952, celle du 25 janvier est de toute autre nature. Loin du cercle des officiers libres, d'une junte militaire ou d'un enjeu de destitution monarchique, la jeunesse égyptienne est parvenue à faire déboulonner un révolutionnaire rechapé et embourgeoisé. Le scenario est semblable à Tripoli. Une jeunesse, voire une vielle jeunesse (42 ans) est née sous un portrait plissé aux yeux cernés, cheveux ébouriffés, vêts biscornus et discours providentiel. Un bédouin «mercédèsé». Leur guide n'est ni président, ni roi. C'est un argumentateur. Dialecticien, le prétend t-il. L'un des derniers que l'humanité ait connu. Il ne s'est pas placé dans des notions de surréalisme, ni dans celle prolongeant le dadaïsme ou contrariant le cubisme. Il fait, le monsieur dans l'hégémonie des groupes et la domination mentale des foules. Un beau cursus. Seulement à un grain de distanciation avec ses p'tits enfants benghaziens, sa révolution à lui n'est qu'une page jaunie par l'altération incommode de l'histoire. Ses comités, sur-comités, sous-comités donnent l'impression que le pays est sans tête. Il n'y a que la base populaire, abstraite et impersonnelle qui commande les affaires de cette « républiquia » (osez traduire el djamahiria !). Il ne s'offense pas de laisser gambader ses platitudes tantôt sur un fond panarabique, tantôt une toile africaine. C'est tout à fait vrai, que quand quelqu'un croit détenir les miracles d'un prophète, il permet en toute aisance aux autres de compatir à son sort d'aliéné. Son coup de 1969 n'est plus de mise et s'est effiloché par l'usure du temps. Ce genre insurrectionnel est devenu la pire pathologie démocraticide que les putschistes eux même condamnent. Même au Bahreïn, royaume familial, la protestation populaire n'est pas d'ordre militaire. Pas un coup de force. Seulement un coup de gueule. L'on crie. L'on ne tue pas. La révolution de ce jour est une passion qui brule cette génération de puces, de claviers et de wifi. Elle ne cherche pas les épopées ou les légendes. Elle s'inscrit dans une exigence factuelle et actuelle. Vivre bien, librement et en toute égalité. Elle pense que la vie est au bout d'un clic ou d'une touche de modem cellulaire. Le virtuel leur est ce que la rêverie et l'illusion furent pour nous. A la différence que l'anonymat qu'offre un compte sur facebook n'est pas la rébellion au grand jour de nos anciens jours. La clandestinité leur est donc garantie. L'intrépidité n'est pas aussi identique. Si elle est graduelle, la cruauté qui tombe sur les têtes est la même. Les bombes lacrymogènes furent des bombes incendiaires et au napalm. Les policiers, parfois semblables, parfois pires. Les escadrons anti-émeute, agissaient alors à huis-clos. En ce jour à Benghazi ils le font en vase clos.

 Les nouvelles révolutions populaires, ou la prise de conscience révoltante des jeunes ne sont donc pas érigées contre un occupant étranger ou visent l'indépendance d'un territoire. Leur action n'est pas dirigée à l'encontre d'un roumi, d'un british ou d'un transalpin. Elles se font justement face à leurs concitoyens, à la limite contre ce droit d'ainesse politique. La gérontocratie qui métastase le pouvoir. Elles visent d'abord, ces révolutions l'indépendance des esprits et des opinions. La libération du territoire dans lequel, ils doivent librement s'épanouir. Elles aspirent ensuite à rendre possible sur le sol de leurs auteurs, l'état d'esprit et l'opinion sans contrainte de ceux qu'ils ont en image sur leurs webcam. Ces jeunes pour les raisons d'une révolution se transforment tous en de potentiels correspondants de presse. Sans agrément, sans statut, juste à l'aide de leurs petites boites magiques, les portables ils font voir à des milliers de téléspectateurs, des scènes de monstruosité, de bastonnades et de massacre. Leurs agissements sans bureau politique, sans coordination, sans chancelleries ; sont arrivés quand bien même à fléchir les dures positions des grandes puissances abritant sous leur protection les potentats et les dictateurs. Ces nouvelles révolutions prennent d'autres allures. La spontanéité y est un élément principal. La récup croupit autant dans les à-côtés de cette spontanéité, qu'elle guette l'accouchement quand elle ne le provoque pas.

* Voir le Quotidien d'Oran du 10 février 2011. « l'Algérie à déjà payé et chèrement ». (agenda des actions politiques d'appui à la démocratie) de votre serviteur.