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Horreurs arabes, espoirs algériens

par Abdou B.

« La guerre, c'est la guerre des hommes; la paix c'est la guerre des idées ». Hugo.

Les semaines se suivent et les secousses qui agitent le monde arabe se ressemblent, avec plus ou moins de blessés, des dizaines de morts, d'arrestations et des fractures dont l'intensité est propre à chaque pays. Au plan international, selon les modulations de la diplomatie de chaque grande puissance, selon le volume de ses intérêts économiques ou géostratégiques, les discours sont les mêmes. Plus ou moins enrobés, plus ou moins pressants, plus ou moins polis, les « conseils » des grands de ce monde ciblent les dirigeants arabes là où ça fait mal. Les droits de l'homme, la liberté des médias, le droit pour l'opposition et les citoyens de marcher, de manifester pacifiquement, les droits politiques et démocratiques sont des exigences non négociables pour l'Europe et les USA. Et pour mieux signifier aux régimes arabes leur faiblesse, les USA ont mis leur veto à une résolution arabe relative à la colonisation menée par Israël en Palestine. Dévalorisés, peu crédibles aux yeux du G8 ou du G20, les pouvoirs en question sont contestés, dans la violence et les douleurs, par leur rue depuis la chute brutale dans l'indignité de Ben Ali et Moubarek. Il y a bien entendu des slogans officiels rendus inaudibles par le saccadé des armes qui lâchent des balles réelles sur des manifestants, le bruit des grenades lacrymogènes, les sirènes des ambulances, les pleurs des familles des victimes, ceux des blessés et des futurs handicapés. Inaudibles, décalés de la réalité atroce des pays arabes, les slogans chuchotés à l'intérieur des frontières nationales, relatifs aux « ingérences » étrangères de plus en plus efficaces, à des vitesses différentes, passent par-dessus la tête de la majorité des jeunes. Ces derniers en Algérie ne savent presque rien du mouvement national, de la guerre de libération, des affres du colonialisme, de la décennie rouge. Branchés sur des ordinateurs, ils considèrent comme étrangers des dirigeants âgés, des partis au gouvernement qui n'ont rien à dire, loin de la société, des parlementaires qui n'ont strictement rien à faire, sauf faire semblant d'avoir un avis devant la caméra pour enfin lever la main. Un jour, ils ont une loi proposée contre la France coloniale pour, le lendemain, faire comme si l'initiative n'avait jamais eu lieu. Un député algérien est blessé pour avoir voulu marcher. Des centaines de Libyens sont assassinés par leur police. Au Yémen, à Bahreïn, en Jordanie, au Maroc, des êtres humains sont tués, blessés, arrêtés. Un prêtre est assassiné en Tunisie. L'Université se disloque alors que la presse écrite se découvre des titres « baltaguia »? Mais les partis au pouvoir et leurs supplétifs, le Parlement ne se sentent nullement concernés ni par les électeurs nationaux, ni par leur société et encore moins par des mutations du monde arabe, du monde dont la feuille de route se fait au G8 et au G20.

 Le colonel Khadafi avait fait promettre à ses opposants « une riposte violente et foudroyante ». Il reporte le sommet de la ligue arabe, sans commissaire aux comptes, qui dépense, dépense sans que personne ne puisse dire à quoi, à qui elle sert, elle garde un silence veule sur tout ce qui se déroule dans le monde arabe où les gens souffrent et meurent sur « le procureur libyen qui diligente une enquête » sur les massacres ordonnés. Un tel cynisme laisse de marbre les officiels algériens et les « institutions ». Comment être fier d'être arabe lorsque cette identité révulse les opinions internationales, est mise sous microscope, lorsque les gouvernants, les « représentants » des peuples sont « sommés », « conseillés », épinglés par les ONG, les gouvernements, les médias? Comment être fier devant le monde lorsque des voyous rémunérés se mêlent à des manifestants, chantent et dansent, manient des pétards dans la foule ? Des rancoeurs, des rancunes et des colères s'accumulent au détriment du pays, de sa cohésion interne au bénéfice de la corruption, du banditisme, de la violence. Les gardiens du temple semblent n'avoir ni un sens politique, ni de la compassion, ni des idées et encore moins la capacité d'écrire, de dire le monde arabe et l'Algérie. Des milliers d'orphelins manifestent à Baghdad, touchent-ils les officiels de ce pays qui sait mieux que d'autres depuis 1954 à ce jour ce que cela veut dire ? Demain, dans d'autres circonstances, des responsables au pays de Ben Boulaïd, Ben M'hidi, Abbane, Aït Ahmed et Boudiaf pourront-ils embrasser comme si de rien n'était des « chefs » qui massacrent, torturent, embastillent, bâillonnent leurs compatriotes parmi les plus démunis ? Les « gueux » et même les « baltaguia » repentis leur rafraîchiront la mémoire.

 Dire que les Algériens, l'Europe et les USA attendent d'importantes décisions, des réformes profondes et rapides, une démocratisation volontariste de la part de M. Bouteflika est une évidence. Ces grandes puissances, qui ont des responsabilités mondiales diversement appréciées par les peuples d'un côté et le premier cercle dans les pays arabes de l'autre. Les décideurs mondiaux font plancher leurs experts munis de rapports, de technologies, d'écoute, de surveillance par satellite. Ils ont la cartographie la plus complète des gisements du sous-sol, des terres cultivables, du niveau des barrages et surtout ce qui les intéresse. Ils ont les fichiers des biens et des comptes que possèdent les dirigeants et officiels arabes en dehors de leur pays. Ils savent exactement ce que pèse chaque parti au pouvoir ou dans l'opposition, la crédibilité des acteurs politiques, culturels, économiques, diplomatiques et éventuellement les casseroles traînées. Des pays qui constituent pour l'Europe et les USA, ensemble ou en concurrence, des enjeux d'inégale importance. L'Arabie saoudite, l'Egypte, le Koweït sont à ce jour de précieux alliés pour les USA pour de nombreuses raisons. Les pays du Maghreb n'ont pas la même valeur pour les USA. Ceux qui ont des hydrocarbures (Algérie ? Libye) sont obligés, quel que soit leur régime et quel que soit le parti qui gouverne aux USA, de vendre leurs richesses pour des raisons évidentes et d'importer des biens et services, de la technologie, des céréales, des voitures, du? chocolat, etc. Les USA sont aujourd'hui vivement contrariés par l'irruption des peuples arabes avec lesquels ils doivent nouer désormais d'autres liens, à commencer par conseiller, avertir sinon laisser tomber des dictateurs qu'ils ont longtemps soutenus et qui ont, depuis le début de l'année, du sang sur les mains. Les USA souhaiteraient, bien entendu, la stabilité et le statu quo au Maghreb. Aujourd'hui, les populations s'imposent de plus en plus là où les régimes perdent du temps et du terrain. La France, qui a des liens anciens et divers avec le Maghreb, a fermé les yeux sur tous les régimes successifs depuis les indépendances, avec des hauts et des bas pour ce qui est de l'Algérie. La chute de Ben Ali, de Moubarek, les mésaventures de Michèle Alliot-Marie, de l'ambassadeur de France en Tunisie, les premiers remous au Maroc, la pression des communautés maghrébines dans l'hexagone, celle de l'opposition, des médias, des élites et des ONG vont compter de plus en plus. Ce ne sont plus « l'impérialisme » américain et le néocolonialisme qui s'accommodaient du calme et du statu quo qui constatent que ce sont les peuples qui faussent les vieilles donnes et qu'il va falloir en tenir compte. Le monde a changé, comme l'impérialisme et le néocolonialisme qui sont devenus la mondialisation. Les peuples eux aussi évoluent et avancent. Leur trouver une tutelle américaine ou autre relève du mépris, de l'arrogance d'esprits aux ordres habités par le déni du réel: les peuples ont les capacités et la volonté de faire de la politique pour participer à la gestion de leur vie. Pour le moment, les « ingérences » qui défendent un Internet et des médias libres, les libertés démocratiques, celles de marcher, manifester, critiquer, se syndiquer sont bonnes à prendre pour les peuples qui en sont trop souvent privés. Pour se rapprocher de peuples longtemps occultés, les « impérialistes », pour ne pas insulter l'avenir et ne pas être surpris par le présent, peuvent décréter publiquement un embargo sur les armes et équipements antiémeutes, les grenades lacrymogènes et sur les arsenaux vus à la TV. Ce type d'ingérence, difficile à dénoncer par les pouvoirs arabes, serait fortement applaudi par les populations. Ces dernières ont de la mémoire pour ce que font les grandes puissances, les régimes arabes et leurs supplétifs locaux. Un tel embargo serait générateur d'argent économisé pour des centaines de crèches, pour que les femmes puissent travailler, se reposer, faire du sport? L'horreur des images diffusées par la reine mère Al Djazira, les chaînes françaises et américaines glacent le sang. Des corps sanglants sur la chaussée, des hôpitaux sous-développés submergés par les cadavres et les blessés, des familles en pleurs et en deuil, une jeunesse enragée, des adultes dépassés, des gouvernants et des partis « au pouvoir » vieillis, accrochés comme des vampires au fauteuil dans des zones dites « vertes » mais qui font gris caserne, des milliards qui sortent par tonnes? Ce sont là les tristes réalités du monde arabe. C'est leur vulgaire nudité offerte au monde civilisé par des dirigeants qui refusent jusqu'au dernier souffle de quitter la djahilia et libérer des peuples égaux à tous les autres.

 L'Algérie de Novembre, pour laquelle la planète sait ce qu'ont payé les Arabes, les Kabyles, les Chaouis, les jeunes, les femmes, les vieux, les laïques, les communistes, les musulmans qui pratiquent et les autres, les étudiants et les paysans, mérite autre chose que la division planifiée et organisée par des officines. Ceux qui ont fait le maquis et qui sont encore vivants n'ont sûrement pas oublié que le colonialisme, avant de torturer et tuer, ne connaissait pas nos accents. Avait des traducteurs. Les survivants sont une mémoire qui a d'énormes responsabilités en 2011. L'arrogance, l'incompétence de fonctionnaires sous influence qui la « jouent » nationalistes à la limite moudjahid, sans avoir connu la « montagne », sont des fossoyeurs, porteurs de méfiance, de colère, d'émeutes, de dégradations. Les bonnes nouvelles existent cependant. La police en Algérie n'a pas utilisé à la place du 1er Mai des armes à feu et a respecté l'intégrité physique des manifestants, quels que soient les ordres reçus. L'Armée nationale, composée de fils du peuple, se tient pour le moment loin du champ politique, à l'image des armées tunisienne et égyptienne qui se sont tenues aux côtés des populations. Ces différenciations par rapport aux horreurs arabes sont de bon augure dans une région où l'effet domino n'est pas une vue de l'esprit et où les mesures sociales nécessaires ne sont plus suffisantes. Depuis longtemps.

 Les peuples privés de l'Internet, coupés du monde, se servent du mobile pour demander de l'aide à l'Occident et espèrent des ingérences pour les délivrer de leurs bourreaux assoiffés de sang, de pouvoir, de richesses. Des tribunaux internationaux, des ONG, s'auto-saisissent ou seront saisis par les peuples. C'est là le triste résultat obtenu par des gouvernements et leurs sous-traitants qui hurlaient au loup au moindre éternuement d'un opposant.

 Les Algériens, toutes régions et sensibilités confondues, espèrent des réformes vitales, rapides et pacifiques. Les appareils liés à l'informel, corrompus, souhaitent la continuité et le statu quo mortifère, tellement sont énormes les fortunes, les privilèges, les pouvoirs bien à l'abri de la 49ème wilaya. M. Bouteflika reste pour le moment un espoir pour le pays qui n'a plus le temps « oriental » d'une « transition » sans fin ni celui de compter d'autres blessés, des immolations et ? à Dieu ne plaise ? des victimes.

Le temps joue contre l'Algérie, les Algériens et contre M. Bouteflika.