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«L'hiver démocratique» arabe : la difficile gestion du temps

par Pierre Morville

Les mouvements égyptiens et tunisiens, qui font partout des émules, ont remporté la 1ère manche. Il leur faut vite transformer l'essai.

Trois mois à peine. Le suicide d'un jeune vendeur de fruits a entrainé le départ de Zinedine Ben Ali, puis celui d'Hosni Moubarak. Des millions de manifestants en Tunisie et en Égypte, après des années d'autocensure sous une chape de plomb répressive, ont réussi à mettre à bas deux autocraties autoritaires. Ces succès ont fait trainée de poudre dans le monde arabo-musulmans faisant surgir, par delà les différences économiques, politiques, sociales ou culturelles, des espérances, des contestations, des revendications très souvent convergentes dans nombre de pays de la Lybie à l'Iran en passant par le Yémen, la Jordanie, Bahreïn, l'Algérie? Ils ont même inspiré 100 000 femmes italiennes qui ont manifesté à Rome, dimanche dernier, aux cris de «Berlusconi, basta !»

 L'imprévisibilité et la soudaineté de ce vaste mouvement a pris de court tant les gouvernements en place que les grandes puissances internationales. Pour des masses populaires surprises souvent par leur propre hardiesse, la question des débouchés politiques prend corps chaque jour. Avec les difficultés que l'on imagine.

 Dans des pays où le monopartisme ou la domination quasi absolue d'une seule formation politique est la norme, la transition démocratique bute sur la possibilité même d'une alternance, la faiblesse des oppositions légales, l'impuissance des pouvoirs en place à s'auto-réformer. Ceux-ci craignent souvent que la moindre réforme ne vienne ébranler un pouvoir autoritaire mais lézardé, sans bases populaires solides et parfois, derrière une unité de surface, profondément divisé en interne. Sauf sur sa propre survie.

Juin 2009 : Obama au Caire

Les hésitations sont également perceptibles dans les grandes puissances qui, par un faux pragmatisme parfaitement huilé par les ans, préfèrent toujours des partenaires décriés mais stables, aux risques d'un changement non-maîtrisé.

 Lors de la crise égyptienne, on bien vu que les États-Unis, loin d'être le «deus ex-machina» de la chute du pouvoir en place, a longtemps louvoyé sur l'attitude à prendre. Et pourtant, le discours de Barack Obama prononcé au Caire en juin 2009, laisse à relecture une impression de quasi prophétie : «L'Amérique ne prétend pas savoir ce qui est bon pour tout le monde. Mais je pense, sans aucune concession possible, que les gens souhaitent certaines choses : la possibilité de donner son avis sur la façon dont on est gouverné ; la confiance en l'État de droit et une administration de la justice égale pour tous ; un gouvernement transparent qui ne vole pas son peuple ; la liberté de choisir son style de vie. Ce ne sont pas seulement des idées américaines mais des droits de l'homme, et c'est pourquoi nous les soutiendrons partout (?) Quel que soit l'endroit du monde, le gouvernement du peuple et par le peuple implique des règles simples pour ceux qui exercent le pouvoir : il faut l'exercer par le consentement et non par la coercition, respecter les droits des minorités, placer les intérêts du peuple et les processus légitimes du processus politique au-dessus de votre parti. Sans ces ingrédients, les seules élections ne font pas une vraie démocratie (?)

 Mais si nous choisissons d'être prisonniers du passé, nous n'avancerons jamais. Je souhaite particulièrement dire ceci aux jeunes gens de toutes les fois, dans tous les pays : vous, plus que quiconque, avez la capacité de refaire ce monde».

 Beau texte dont l'histoire dira s'il a, ici ou là, inspiré certains animateurs des mouvements en cours. Toujours est-il que le président américain n'a pas ces dernières semaines, remémorer ses propres propos. Non qu'il les renie mais la crainte d'une déstabilisation accrue du proche et du Moyen-Orient plonge les États-Unis dans une perplexité anxieuse. Dans le même discours s'adressant aux peuples arabes et musulmans, Barack Obama avait dessiné des pistes sur les risques régionaux en cours : difficultés économiques, terrorisme, Afghanistan, nucléaire iranien, conflit israélo-palestinien? Les bonnes intentions ne manquaient pas et les États-Unis par la voix de leur président, s'engageaient à peser pour des issues positives. Vingt mois plus tard, les avancées concrètes se font attendre.

 La 1ère difficulté à la satisfaction des exigences populaires tient à un contexte économique plus qu'incertain : l'économie mondiale est durablement inscrite dans une crise multiforme, financiaro-bancaire, hier, aujourd'hui, budgétaire, demain, monétaire.

 Les anciennes puissances industrielles sont rentrées dans une phase longue de faible croissance et de récession, toutes les économies, y compris celles des pays émergents sont sous la menace d'une forte reprise de l'inflation qui est déjà tangible sur le marché des matières premières, notamment alimentaires. Les effets de ces dernières hausses ont été au cœur des 1ères manifestations en Tunisie, en Égypte mais également en Algérie.

Les vraies difficultés économiques sont à venir

Ces contraintes seront en tête du programme de travail des nouveaux gouvernements avec des marges de manœuvre guère élargies : l'assainissement nécessaire d'une économie de marché détournée aux profits de petites minorités est certes, gage à terme d'une nouvelle croissance mieux partagée, mais elle prendra du temps et ne fournira pas dans l'immédiat les marges budgétaires à la résolution des problèmes d'urgence. A Bahreïn, en Lybie, riches pays pétroliers, comme au Yémen démuni, les pouvoirs en place doivent eux aussi répondre à des revendications sociales concernant l'emploi ou les salaires. Sollicités, l'Amérique du Nord et l'Europe rechignent à fournir leur assistance, ayant déjà fort à faire avec leurs propres difficultés économiques. Le long défilé des G 20 et G8 divers démontre à chaque échéance la quasi impossibilité d'une «régulation économique internationale», encore plus celle du codéveloppement promis par une«mondialisation souriante». Ce contexte difficile renforce les égoïsmes nationaux et la frilosité des gouvernements.

 La Chine, forte de sa croissance à deux chiffres depuis plusieurs années, est devenue officiellement cette semaine, la seconde puissance économique mondiale. Mais dans le classement des revenus par habitant, elle n'occupe que la 93ème place. Cet immense pays qui craint par-dessus tout un fort rebond de son inflation, souffre également de grandes poches de misère : elle compte 22% de chômeurs. Surtout soucieux que la contamination démocratique n'affecte son propre ère d'influence voire donne des idées aux Chinois eux-mêmes, Pékin réclame avec insistance qu'en Égypte reviennent le plus rapidement possible «la stabilité social et l'ordre». Les médias, télévisions et portails Internet chinois n'ont consacré qu'une courte dépêche à la démission d'Hosni Moubarak, n'évoquant ni les revendications sociales et les manifestations, pas plus que l'autocratie et la corruption, deux sujets sensibles, en Chine aussi.

Ahmanidejad s'est lui, réjoui de la «révolution égyptienne». Le régime iranien a publiquement salué la chute de Moubarak. Il avait même, note Pascal Boniface de l'IRIS, exhorté le peuple égyptien à s'en débarrasser.

Juin 2009 : la «révolution verte» iranienne

L'agence de presse iranienne s'est ainsi félicitée de la coïncidence de la chute de Moubarak avec l'anniversaire de la révolution islamique le 11 février 1979 : «C'est le jour de la victoire des peuples de la région et l'échec des États-Unis et du sionisme».

 Ces derniers jours, des milliers de manifestants iraniens se sont pourtant heurtés aux pasdarans pour réclamer à nouveau des élections libres, démocratiques et non-truquées. «Les populations tunisienne et égyptienne ont réussi là où la population iranienne a échoué en juin 2009. S'il y a un souffle révolutionnaire, il pourrait ranimer la flamme de la révolte contre le régime en Iran», commente Pascal Boniface qui évoque néanmoins le poids des pesanteurs : «L'Égypte sera plus exigeante à l'égard d'Israël mais ne va pas lui devenir hostile (?) Est-ce une défaite pour les États-Unis ? Pour l'instant, ils semblent contrôler la situation. Ils ont lâché Moubarak comme l'armée égyptienne l'a fait. On peut penser que cette opération a donné lieu à des consultations intenses entre Washington et les militaires égyptiens. Les États-Unis n'ont pas vu venir la révolution en Égypte, mais ils se sont vite adaptés et gardent une forte influence et de nombreux moyens d'action dans le pays».

Le régime d'Ahmadinejad fait donc mine d'avoir «insufflé l'esprit» de la révolution islamique 1979 alors que, tout comme la révolution verte de juin 2009, les mouvements tunisiens et égyptiens se caractérisent très majoritairement comme «nationaux, démocratiques, pacifiques et séculiers».

Les contestataires iraniens sont toujours violemment réprimés mais les mouvements égyptiens et tunisiens ont eux, remporté la 1ère étape : exiger le départ de deux vieux autocrates et faire que la nécessité de reconstruire un nouveau système est acceptée par l'ensemble des acteurs, armée en tête. Les forces militaires ont en effet un rôle essentiel et largement progressiste, dans les deux processus. Qu'en sera-t-il demain ? Aux commandes de tous les leviers de pouvoir en Égypte, gardienne sourcilleuse de la transition pacifique en Tunisie, les deux armées sauront-elles «passer la main» ?

La question se pose d'autant plus que les forces d'opposition politiques traditionnelles aux régimes de Ben Ali et de Moubarak, souvent d'inspiration islamiste mais pas seulement, étaient jusque là contraintes à une extrême discrétion si ce n'est à l'exil, la clandestinité ou la prison. Avec la «cyber opposition», de nouveaux militants, beaucoup plus jeunes, éduqués, sont apparus en force, désignés souvent sous l'appellation de «Jeunes démocrates». Ils ont de l'audace, de l'imagination et des idées. Mais face aux élections qui vont venir dans les six mois, il faudra également des partis et des programmes. Au-delà des grands idéaux, seront également nécessaires des profondes réformes constitutionnelles et surtout des solutions très concrètes aux difficultés que rencontrent quotidiennement les peuples. Une tâche difficile, harassante, souvent décevante, mais, malgré les obstacles qui ne manqueront pas, combien exaltante !

Gesticulations françaises

Chaque mercredi amène sa moisson «d'informations chaudes», avec la publication du Canard enchaîné. La semaine dernière, on passait que Michelle Alliot-Marie avait sauvé son poste après une gentille admonestation présidentielle.

Badaboum ! On apprenait hier que, lors de son déplacement familial tunisien, ses parents avaient conclus des opérations immobilières «amicales». Malgré leur très grand âge (95 ans), leur fille Michèle n'était au courant de rien !

En début de semaine, Michelle Alliot-Marie constatant sa chute vertigineuse dans les sondages, avait décidé d'enfourcher une «noble cause», bien à même de la faire remonter, elle et le président, dans l'estime affectueuse de leurs concitoyens. Michelle et Nicolas pensaient trouver la perle rare avec «l'affaire Cassez». Qui est Florence Cassez ? Une jeune femme très séduisante, condamnée à des dizaines d'années de prison au Mexique pour une complicité de kidnapping, après un montage policier et juridique fort douteux. Il y a des chances sérieuses que Florence Cassez soit innocente et injustement condamnée, y compris par la Cour de Cassation mexicaine. De là à la transformer en moderne Jeanne d'Arc est le pas de clerc que la diplomatie gouvernementale toujours très mal inspirée, n'a pas hésité à commettre. Pour sauver l'héroïne devant une France supposée frissonnante, Nicolas Sarkozy a menacé Mexico. La réplique sud-américaine ne s'est pas fait attendre : annulation des 300 festivités qui devait célébrer en 2012 l'amitié franco-mexicaine. Fermez le ban !