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Une cocotte à bout de nerfs

par Abdou B.

«La faiblesse de la force est de ne croire qu'à la force». Valer

Pour les plus craintifs un scénario à la tunisienne n'est pas envisageable, et pour les autres tout est possible. S'il est difficile de parier sur une situation algérienne, pourtant marquée par les mêmes ingrédients qui ont fait exploser la cocotte au visage de la famille qui régnait à Tunis, il est par contre, aisé de cibler les similitudes et de revisiter un passé récent, reproduit en Tunisie. Les partis reconnus et des leaders qui rentrent d'un long exil sont des situations vécues par l'Algérie. Le retour de MM. Aït Ahmed et Benbella, l'apparition publique du PAGS et S. Hadjerès, les agréments donnés sous le gouvernement Merbah a plusieurs partis, l'explosion de la presse privée, la politique en direct à la T.V, les marches et manifestations pacifiques, le dynamisme d'associations féministes, la défense des droits de l'Homme avec l'inusable Ali Yahia Abdenour, font partie de la mémoire nationale. Bien avant que le peuple tunisien n'occupe sa rue et chasse le dictateur et sa cour prédatrice. En cela, l'expérience algérienne, son histoire récente inspirent forcément l'évolution en Tunisie. Sur l'autre versant, celui des interdits, des censures, de la limitation féroce des libertés, de l'expression, de la création, de l'hégémonie, à la sieste rémunérée du parlement, à l'enrôlement de la justice et de la police, au contrôle de l'Internet, des écoutes téléphoniques et l'âge très avancé des principaux décideurs. Pour ces facteurs et d'autres, il est possible d'assister à des changements consentis ou forcés en Egypte, en Algérie, en Jordanie, etc. Dans la panique arabe généralisée le patron du FLN et le ministère de l'Intérieur se sont avancés à tenir des propos contredits tout de suite après par l'administration. A Béjaïa, une rencontre anodine culturelle est interdite. Les marches et les revendications qui devaient se faire de manière pacifique et organisée, selon les pouvoirs publics et la coalition présidentielle, sont interdites par le wali, devenu acteur politique, partisan, au mépris de la constitution et des lois. De son côté l'administration culturelle s'arroge la légitimité des décrets, pour la société, des normes et des valeurs qui indexent désormais, la création cinématographique. Imaginons que le cinéma américain soit dirigé par les trois ministères algériens qui disent la norme, donc la forme. Coppola, de Palma, Sean Pen, Eastwood seraient au chômage depuis 40 ans et les films sur le Vietnam, le racisme, l'Irak, la peine de mort, la chasse aux communistes et aux intellectuels seraient encore des scenarii refusés ou dans des tiroirs des censeurs «éduqués» de l'administration algérienne qui pérorent leur lâcheté.

 Un syndicaliste arrêté en possession d'une arme terrifiante capable d'expédier des SMS, mis en garde à vue, la chose est banale en Algérie. Elle l'était en Tunisie avant la libération des journaux et de la TV. Les proches du pouvoir, les barons de l'informel qui blanchissent des milliards pour des gens «d'en haut», les sectes qui chargent des conteneurs de gâteaux turcs, d'ananas venus de loin, d'allumettes, les bénéficiaires d'exonérations de taxes sans rien produire, ont été les vitrines en Tunisie et en Algérie. Dans ce dernier pays, l'informel, les paiements dans des sachets noirs, les bureaux de change du square Port Saïd, la disparition des trottoirs privatisés par les fraudeurs du fisc, le déploiement de forces gigantesques pour réprimer une marche pacifique, souhaitée auparavant par le FLN et le ministre de l'Intérieur, sont des réalités durables qui font bouillir encore plus la cocotte

 L'éventualité d'un remaniement du gouvernement n'intéresse pas du tout le pays profond, et encore moins les élites actives et l'opposition. Des transformations et des réformes radicales sont souhaitables et attendues par le pays et par les puissances occidentales qui comptent et qui sont partenaires de l'Algérie. Les droits de l'Homme, la liberté des médias, des activités politiques et l'égalité des sexes seront, de plus en plus, intégrés dans les relations Nord-Sud, aux côtés de l'investissement, du partenariat, du transfert de technologies. Sous la pression des oppositions, des médias, de l'opinion, des ONG, les gouvernements européens et l'UE, échaudés par l'épisode Ben Ali, seront plus regardants vis-à-vis des régimes dépendants pour les céréales, l'alimentation, les médicaments, les équipements militaires, de répression, les visas?Des ONG, des associations, des citoyens originaires de pays arabes vont être, de plus en plus mobilisés et tentés de saisir des tribunaux internationaux, des parlements et des médias européens et américains. Les exactions et les prédations commises par l'ex régime en Tunisie ont ouvert la boîte à surprises et font chauffer une série de cocottes.

 En Algérie, le MSP (membres de l'alliance qui gouverne) dénonce le verrouillage du champ politique. Le PT exige la dissolution de l'APN et le RCD, celle de toutes les instances élues. A l'évidence, il y a là des convergences claires, lisibles et pertinentes. L'ouverture des champs médiatiques, elle aussi, est une demande consensuelle entre des membres de la majorité et l'opposition. Alors que font encore à l'APN le MSP, le PT et le RCD, sachant que le pouvoir est convaincu de la supériorité de ses «analyses» (pourtant contradictoires), de sa science quasi divine et de l'immiscibilité de la moindre petite erreur de sa part? Les images de guerre civile qui ont fait des dizaines de fois le tour du monde, le traitement infligé par l'ENTV à la marche du RCD, réprimée avec violence, n'autorisent aucune fierté et font surtout chauffer la cocotte. Le président de la République, en personne, demande une enquête sur la série d'immolations par le feu qui prend de l'ampleur. Le président de l'APN qui n'est pas dans l'opposition, critique l'absentéisme des députés pourtant mieux , beaucoup mieux considérés que les docteurs qui enseignent à des centaines de jeunes, qui ouvrent et referment chaque jour des organismes humains. On fait appel, sans rouge au front à un clergé de fonctionnaires pour dire que le suicide par le feu est illicite. Et la mort par la harga, le terrorisme, les armes à feu, le sida et la drogue est-elle moins illicite. Si l'ENTV n'a pas envoyé des équipes en Tunisie pour filmer, interroger les uns et les autres, c'est parce que le déni de la réalité tunisienne est compatible avec des médias brejeneriens. Or, pour l'histoire du Maghreb, pour les historiens, pour les archives qui serviront demain pour des documentaires, des débats et des forums, il fallait tourner jour et nuit en Tunisie. Pour le J.T, les Algériens ont suivi des dizaines de chaînes, heures par heure, y compris pour voir des images du dispositif policier face au RCD. Moralité: la TV ici et ailleurs peut montrer honnêtement des faits, faire parler les acteurs concernés ou bien chauffer la cocotte par le mensonge, l'occultation, le déni qui humilient plus qu'autre chose. Et si les jeunes n'écoutent pas l'imam du coin, ils suivent les TV étrangères, l'Internet le plus sous développé du monde, jouent sur facebook etc. etc.