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Obligation de lecture

par Ahmed Saifi Benziane

Le ministre de l'Education nationale et la ministre de la Culture viennent d'annoncer la construction et l'équipement en bibliothèques de 2.000 lycées, 5.000 CEM et 18.000 écoles primaires en application, dit-on,de la décision du Président de la République.

Non pas suite à une enquête, une étude, de recommandations des acteurs concernés ou autre bureau d'études spécialisé en éducation, mais par décision du Président de la République. Soit. Il est vrai que la lecture demeure le moyen le plus indiqué pour se cultiver, entretenir la mémoire et développer la maîtrise de la langue en faisant des découvertes qui fondent la vie.

 Il est vrai aussi que le constat fait par plusieurs pays et particulièrement les pays développés, concernant les nouvelles générations, fait ressortir le peu d'engouement pour la lecture, lui préférant l'outil informatique, Internet, la télévision, les jeux vidéo. Suffit-il alors que les établissements scolaires soient dotés de bibliothèques pour que nos enfants se mettent à la lecture ? Pour répondre à cette question, il est utile de comprendre comment va s'y prendre notre couple de ministres pour mettre en œuvre ce programme national émanant du Président de la République.

 D'abord, il s'agira de construire près de 25.000 bibliothèques ou les aménager dans les établissements, en pensant à recruter 25.000 bibliothécaires pour veiller à l'état de livres, les inventorier, les classer, les prêter, les récupérer. Ensuite, il faudra plusieurs milliers de rayonnages et plusieurs centaines de milliers de livres à commander dont une grande partie viendra très probablement par la voie de l'importation, si l'on considère que nos éditeurs réunis ne pourront pas faire face à une demande aussi importante. Se poseront alors les autres questions de savoir qui va construire, qui va produire les rayonnages. Qui va surtout importer les livres ? Si l'on compte en moyenne mille ouvrages par établissement, on atteint facilement le seuil des 25.000.000 d'ouvrages.     Cela fait une belle affaire pour ceux qui s'y intéressent. Le coût de l'opération n'est pas important au regard de l'enveloppe du ministère de l'Education nationale qui avoisine 11 milliards de dollars, soit presque ce qu'allait coûter l'autoroute Est-Ouest avant les successives réévaluations.

 Mais là n'est pas la question puisque le gouvernement a pris l'habitude de répondre aux problèmes sociaux par des chiffres et des infrastructures. La question est de savoir si nos enfants vont lire une fois tous ces investissements réalisés.

 Les Américains ont tenté il y a quelques années une expérience particulièrement en direction des populations noires pauvres, qui mérite que l'on s'y attarde. Des bibliothèques de quartiers ont été réalisées, meublées et dotées en livres. Mais comme tout marche à base d'argent là-bas, on a proposé aux enfants un dollar par lecture d'un livre avec fiche de synthèse. L'intérêt pour la lecture a du coup augmenté et à terme ils en ont récolté les fruits. On ne peut pas dire que Benbouzid ni même Toumi auront les moyens pour être aussi généreux car non seulement les enfants, mais même les adultes seront intéressés. Mais auparavant n'est-il pas utile de préparer le terrain ?

 A savoir rétablir la place de l'école dans la société, lui faire jouer son véritable rôle au lieu de continuer à la considérer comme une garderie d'enfants et d'adolescents ? D'ouvrir le débat sur la violence exercée par les élèves entre eux et les enseignants envers les élèves ? Il n'est pas rare en effet de voir un enseignant ou une enseignante user de la force envers des élèves ou au moins de l'humiliation pour différentes raisons dont certaines relèvent de la psychanalyse. Devant le silence des parents et des associations, certains enseignants battent les enfants dans l'impunité la plus totale malgré les lois.

 A partir de là, il y a lieu de réfléchir et surtout d'agir sur la situation d'un enfant qui vit en permanence la violence.

 Dans sa famille, dans la rue, mais aussi à l'école. Entouré de violence et versant soit dans le traumatisme ou la délinquance, comment un enfant va-t-il trouver la quiétude pour lire obligatoirement et prouver qu'il a lu ? En décidant d'un programme aussi important en infrastructures et en argent que celui que comptent mettre à exécution nos ministres, sur décision du Président de la République, il faut bien se demander jusqu'à quand va-t-on engager une société qui reste en dehors du jeu de la gouvernance. Pourtant, une démarche réaliste voudrait que soit lancées des opérations pilotes à travers quelques établissements, les évaluer et ensuite décider de leur généralisation ou changer d'optique. L'argent sera moins gaspillé et on accordera plus de sérieux au lancement d'un programme.

 Il n'est pas dégradant de copier, mais il est impardonnable de passer sur l'adaptation aux conditions sociales. Et lorsqu'on parle de réforme, en toute chose, il faut dresser un état des lieux.

 Commencer par exemple à faire de nos diplômes l'aboutissement d'un enseignement de qualité qui ouvre les voies à l'enseignement supérieur ou aux métiers. C'est à cette condition qu'il peut être fait obligation de lire parce que chez l'enfant, on aura développé le goût de la lecture au lieu de l'obliger, par une note, pour justifier des dépenses dont on sait d'avance comment elles vont être engagées.