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Enseigner: un métier, une conviction ?

par Hennouni Ali *

On sait que Freud tenait l'éducation pour un métier impossible. Sans doute, mais tous les enseignants s'accordent, néanmoins à dire que c'est aussi un métier passionnant.

Enseigner ; un métier, une conviction. Devenir enseignant, c'est entrer dans un service public (l'Education nationale), en qualité de fonctionnaire. Le service public est une activité d'intérêt général, régie par des principes et des règles. De ce fait, le fonctionnaire est investi d'un rôle social; il est au service de tous pour assurer les missions attachées à sa profession, dans le respect des règles et des valeurs de la République.

 L'enseignant, en sa qualité de fonctionnaire de l'Etat, est soumis au statut particulier de son corps d'appartenance. Cependant, à côté des règles de fonctionnement, il faut préciser que l'exercice de ce métier repose principalement sur des valeurs, celles de la République mais également sur une conception déontologique du métier. L'enseignant est rémunéré par l'Etat ; les APC (baladias) ont en charge la construction, l'équipement, l'entretien des écoles primaires, l'achat du matériel et des fournitures à usage collectif ainsi que le recrutement et la rémunération des agents de l'APC affectés aux écoles (les gardiens par exemple).

 L'école a pour mission d'instruire et d'éduquer:

 Instruire, c'est transmettre des connaissances. Pour cela, l'enseignant doit connaître les programmes et les textes fondamentaux, maîtriser les contenus disciplinaires et leurs modes de transmission (la didactique). Cependant, la finalité de l'instruction s'inscrit dans une perspective plus large, à visée éducative: instruire, c'est aussi former le jugement et cultiver l'esprit.

 Eduquer; c'est créer les conditions permettant à chaque élève de développer ses aptitudes, sa personnalité, son autonomie ; c'est l'aider à s'insérer dans la société, à développer son esprit critique, à construire sa citoyenneté en respectant les valeurs de la culture républicaine qui permet la vie en commun et l'accès à la connaissance.

 Eduquer, c'est conduire un enfant vers la vie, vers l'autonomie, ce qui ne se conçoit pas en dehors du cadre de la citoyenneté : l'enseignant doit respecter les principes des institutions républicaines car il éduque au sein d'un système dont il doit respecter les règles.

Qui est cet enseignant ? Quel est son métier ?

Enseigner; un métier, une mission ou un sacerdoce ?

Le métier d'enseignant ne se résume pas à mettre en œuvre une pédagogie préconstruite qu'il suffirait d'appliquer en classe pour que les élèves apprennent. L'enseignant doit faire des choix pour adopter ses pratiques aux particularités du contexte scolaire toujours différent d'une année sur l'autre, d'un moment à l'autre, d'un contenu de savoir à l'autre.

 Dans le domaine des apprentissages scolaires, l'attention se focalise le plus souvent sur la réussite ou non des élèves, sans que se pose la question des choix que doit faire en permanence l'enseignant et des dilemmes qui l'assaillent. L'objectif prioritaire de l'enseignant est de mettre en place un cadre fonctionnel pour faire la classe et donner du sens aux apprentissages.

 L'opacité des gestes du métier: les processus qui constituent la face immergée de la compétence des élèves et des maîtres échappent souvent au regard extérieur, comme à celui des enseignants eux-mêmes qui façonnent pourtant quotidiennement le cadre, les dispositifs et les situations qui permettent leur développement.

 Mais il n'y a aucun paradoxe, tant il est vrai que le caractère automatisé de ces pratiques courantes finit par les rendre invisibles. Du coup, ce qui se dérobe aussi à la conscience des enseignants, ce sont les gestes de métier qui confèrent son efficacité à la mise en scène des activités de l'école: «préparer», «prendre» et «faire» la classe, c'est construire un milieu de travail spécifique, organiser le travail des élèves et permettre à ces derniers de se constituer en collectif de travail.

Les compétences développées et mobilisées pour accomplir ces différentes tâches sont pour les enseignants tout comme pour celles de leurs élèves à travers la ritualisation dont elles font l'objet, à proprement parler «incorporées». Et, comme également pour tout professionnel qui, pour faire face à son travail, est contraint de s'engager dans une activité dont la caractéristique communément partagée est qu'elle s'exprime, du moins lorsque l'on a du métier, par les habitudes si répétées, des gestes tellement incorporés, qu'ils n'ont pas besoin d'être pensés.

 Ces «gestes professionnels» qu'on peut définir à la fois comme des manières de faire partagées et personnelles, se construisent au fil de la carrière et au croisement de plusieurs histoires: celle de l'institution; du métier; de l'individu; de l'école; de la circonscription??. Par ses gestes, l'enseignant établit des rapports aux prescriptions, à la tâche à réaliser aux autres (collègues, administration, élèves, parents d'élèves???) aux valeurs et à lui-même.

 L'ensemble de ces gestes et des outils qu'ils mobilisent définit les techniques du métier d'enseignant. Ces techniques permettent de réaliser les tâches constitutives de ce métier: concevoir des tâches et des dispositifs pertinents aux compétences définies par les programmes; établir un cadre rendant possible le travail collectif et individuel des élèves (organisation du temps et de l'espace, création de repères, des règles de vie et de travail concernant la prise de parole, les déplacements, le rapport aux autres et aux exigences liées au «vivre ensemble» et à «apprendre ensemble»); formuler et faire comprendre des consignes; mettre et maintenir les élèves au travail, réguler ce travail (interventions différenciées en fonction des difficultés, étayage, gestion des alternances entre travail individuel et travail collectif?.. ) évaluation et institualisation (décontextualisations progressives visant à permettre aux élèves de passer de ce qu'ils ont fait à ce qu'ils ont appris).

«FAIRE FAIRE» pour «FAIRE APPRENDRE»:

C'est sans doute dans l'organisation du passage de ce que les élèves FONT à ce qu'ils APPRENNENT que réside l'une des difficultés majeures du travail de l'enseignant. En effet, ce que de nombreux travaux considèrent être le but de l'action «enseignementale», à savoir l'apprentissage des élèves, est trop souvent pris «au pied de la lettre» et présenté comme non problématique.

 «Le verbe APPRENDRE» mérite bien des guillemets, car l'enfant qui participe à une sorte de géographie culturelle qui soutient et donne forme à ce qu'il est en train de faire, sans laquelle il n'y aurait tout simplement pas d'apprentissage. Cette «géographie culturelle» n'est rien d'autre que le milieu de travail que constitue la classe, et s'inscrit dans une «histoire», celle du collectif d'élèves.

 Or, à l'instar de la guérison du patient pour le médecin, l'apprentissage des élèves pour l'enseignant est un but lointain et incertain vers lequel tend son action. Ce but est lointain dans le sens où cet apprentissage ne se fait pas dans l'instant. Il se distribue dans le temps et cette contrainte temporelle est donc à considérer aussi bien du point de vue de l'activité enseignante que du point de vue de celle des élèves. Cet apprentissage n'est pas immédiat non plus dans le sens où l'activité qu'il suscite est systématiquement réalisée grâce à des outils que l'enseignant fait évoluer dans le temps avec les avancées réalisées par les élèves, les significations qu'ils attribuent à leur action.

 Dans ce cadre, pour l'enseignant, l'apprentissage des élèves connaît diverses figures selon les moments. Le long terme, celui de l'année par exemple, vise l'acquisition de notions et de compétences qui feront l'objet d'une évaluation; le MOYEN TERME vise l'acquisition de procédés particuliers liés à un domaine de connaissances et le COURT TERME qui concerne la mise en place et la gestion d'une séance avec ses aléas et ses surprises, ses continuités et ses ruptures.

 L'activité de l'enseignant en classe consiste donc à organiser un milieu de travail collectif pour instaurer chez les élèves un rapport culturel à un objet de savoir, afin de modifier leur rapport personnel à ce savoir.

 L'objet de l'activité «enseignementale» est ici l'organisation collective du milieu-classe, la distribution des tâches aux élèves dans le temps, l'organisation d'un dialogue didactique, la construction du sens du «faire» et du «dire», sa reprise dans l'histoire du «groupe-classe»?.etc.

 En d'autres termes, l'objet de l'activité de l'enseignant consiste à avoir une «classe qui tourne»; il construit un milieu de travail pour faire agir les élèves: la cohésion du groupe va de pair avec la cohérence des acquisitions. Cette construction renouvelée d'un jour à l'autre ou d'une classe à l'autre se fait au prix de tensions, de conflits qui contraignent l'enseignant à composer avec lui-même.

 PREPARER LA CLASSE: La préparation de la classe se fait habituellement en dehors des heures de classe, bien que des réajustements se fassent en cours de travail. Cette préparation consiste non seulement à planifier les enseignements, à choisir les dispositifs, les tâches pour chacun des domaines d'activité, les supports pédagogiques nécessaires?.mais elle concerne également l'organisation matérielle de la classe, l'aménagement des divers lieux de vie et de travail et aussi les affichages. On peut distinguer:

1-l'organisation matérielle (emplacement des tables, lieux de rangement des travaux, des jeux, des supports pédagogiques, documents, outils).

2- L'organisation temporelle (planification des enseignements, emploi du temps).

3- La planification des disciplines (sur l'année, le trimestre, le mois, la semaine). (organisation annuelle, mensuelle, hebdomadaire).

Pour l'aider, l'enseignant a à sa disposition plusieurs outils: les textes officiels (programmes, livrets d'accompagnement, guides du maître, livrets d'application des programmes, livrets d'aide à l'évaluation?etc.); de nombreuses revues pédagogiques, des manuels, les recherches en éducation, en didactique et à présent, les logiciels, les sites sur Internet particulièrement florissants. Face à cette abondance de diverses natures, l'enseignant doit développer son esprit critique pour trier dans la profusion de documents qu'il rencontre ceux qui méritent son attention car tous ne sont pas de qualité, loin s'en faut. De plus, il faut garder à l'esprit que les outils, supports, dispositifs, n'ont pas de vertu en eux-mêmes, ils ne sont que des supports qui prennent sens par l'usage qu'on en fait.

 PRENDRE LA CLASSE: sous ce terme de «prendre la classe», on entend plus particulièrement le mode de gestion du groupe d'élèves, tout ce qui concerne «la discipline» puis dans le sens comportemental. La question de la discipline scolaire est fréquemment évoquée par les enseignants comme un préalable nécessaire aux apprentissages et difficile à installer. C'est ce qui préoccupe le plus les débutants, comment faire pour «tenir la classe»? Le problème des incivilités, le non respect des règles, de la violence (voir l'article paru au «Quotidien d'Oran» le 27-05-2009), n'est pas un phénomène scolaire; c'est devenu une préoccupation sociale et nationale amplement relayée par les médias. Pour autant, on constate que le respect des règles de vie en communauté passe d'abord par un respect réciproque des personnes, entre adultes et élèves. Viennent ensuite divers modes de gestion qui, pour être efficaces, s'appuient souvent sur un processus de ritualisation. Il ne faut pas comprendre la ritualisation au sens restreint, c'est-à-dire la concevoir comme une simple répétition avec régularité de certaines pratiques. Dans mes propos, la ritualisation revêt un caractère plus complexe comme on peut l'appréhender par cette définition: c'est un système codifié de pratiques, sous certaines conditions de lieu et de temps, ayant un sens vécu et une valeur symbolique pour ses acteurs et ses témoins, en impliquant la mise en jeu du corps et un certain rapport au sacré».

Ritualiser, c'est donc inscrire dans un contexte particulier, des comportements collectivement partagés qui acquièrent du sens parce qu'ils instaurent les conditions d'accès aux objets de savoir. A l'école, le caractère sacré se traduit par le rapport aux savoirs et aux valeurs. La ritualisation concerne le sens donné aux pratiques qui remplissent plusieurs fonctions:

1- Une fonction chronogénétique relative à l'avancée du savoir dans la classe.

2- Une fonction topogénétique relative à la délimitation des places de chacun des élèves dans le rapport à ce savoir et aux processus de construction dont il fait l'objet.

3- Une fonction contractuelle et une fonction intégrative; elles permettent l'instauration de la relation didactique (qui lie le maître, les élèves et le savoir) ainsi que l'appropriation des connaissances dans un collectif de travail, au sein duquel se construit une mémoire qui structure l'action des élèves et rend possible l'acquisition de routines.

La ritualisation contribue à l'apprentissage du métier d'élève par la fréquentation du savoir par des activités scolaires liées au mode de son traitement.

 Les rituels proposent aux élèves un cadre stable et repérable, ils introduisent un sentiment de sécurité, réduisent l'incertitude, délimitent ce qui de l'ordre public et du privé, assignent les places, codifient les comportements; ils soudent la communauté, définissent une identité scolaire. Ils assurent la continuité entre l'acte et l'intention, ils signifient la rencontre avec des valeurs. Les rituels se vivent d'abord par le corps car c'est dans le «faire» que se découvre la règle; ils permettent d'apprendre le métier d'élève.

Quels types d'activités peuvent se ritualiser assez aisément? On peut en identifier quelques uns des plus usuels:

1- Dans la cour, la mise en rang, l'accueil.

2- Le salut au drapeau (l'hymne national).

3- L'entrée en classe.

4- La présentation de chacun, le rôle du maître, des élèves.

5- Les coutumes à installer: règles, exigences, posturales (debout, assis, quand?...).

6- Le statut de la parole, des déplacements en classe?.

FAIRE LA CLASSE: faire la classe est étroitement lié aux deux autres dimensions du métier déjà évoquées: préparer et prendre la classe. Ici, il s'agit plus particulièrement des moments où le travail du maître est le plus visible lorsqu' on observe une journée de classe. Il n'y a pas de priorité ou d'ordre entre ces trois dimensions; elles sont imbriquées: bien préparer sa classe ne garantit pas de bien la faire, mais c'est nécessaire comme c'est nécessaire une prise en main de la classe.

Plusieurs moments sont à considérer:

1- présenter le travail à accomplir.

2- Contextualiser la situation d'apprentissage (prendre appui sur la mémoire didactique, rappel des séances précédentes, permettre aux élèves de se placer dans le bon registre de la connaissance, le bon «domaine d'activité»).

3- Mettre en place la situation d'apprentissage; organiser le milieu de travail (humain, matériel, temporel, spatial?).

4- Mettre au travail l'élève, lui donner la consigne.

5- Installer une dynamique: alterner travail individuel/collectif, manipulations, conceptualisation.

6- Gérer le travail d'apprentissage; maintenir l'attention, étayer les efforts, instaurer les interactions, faire des relances au bon moment.

7- Evaluer.

8- Clore la séance; revenir sur les objectifs du début de la séance et faire également un ancrage dans le futur.

Un observateur non averti ne peut saisir toutes ces dimensions du travail d'enseignant.

 Cette présentation permet d'en identifier les principaux aspects et de pouvoir les analyser. Cependant, il ne faut pas se limiter au seul travail de classe pour comprendre l'ampleur et les enjeux de ce métier.

 Les autres paragraphes; le cadre réglementaire, les courants pédagogiques, la polyvalence du métier, les relations avec l'inspectorat, avec les partenaires et l'équipe pédagogique permettent également d'en saisir toute la complexité.

Si enseigner c'est faire des choix, ces derniers sont généralement vus sous l'angle du sens en sous-estimant la nécessité dans laquelle se trouve l'enseignant, de trouver des solutions efficientes pour organiser le travail des élèves. Il construit ainsi une pratique qui est issue d'expériences diverses dans différents milieux, d'emprunts à des collègues, à des théories? c'est de cette manière que l'enseignant façonne son propre «style» pédagogique qui participe d'un «genre» commun: enseignant d'école primaire.

NB: La liberté pédagogique:

Il reste à souligner que l'enseignant doit se conformer aux instructions officielles; il est de son devoir de respecter les programmes et faire en sorte que les objectifs d'apprentissage soient atteints par tous les élèves de sa classe. Il reste, toutefois, libre de ses choix pédagogiques. Il peut en effet choisir les démarches d'apprentissage qu'il estime les mieux adaptées à ses élèves et aux contenus, à condition que les objectifs définis par les textes soient atteints et que les exigences d'éthique et déontologie soient préservées: il appartient aux enseignants de choisir la voie qui conduit efficacement tous les élèves à toutes les compétences fixées par les programmes.

Toutefois, l'enseignant doit se documenter et se tenir au courant des recherches en didactiques et en pédagogie. De même, il tirera profit des recommandations notées dans les textes officiels, notamment dans les nouveaux programmes.

*Président de l'association des parents d'élèves. C.E.M Djebli Mohamed (Sidi Ali).

Voir les articles parus dans Le Quotidien d'Oran:

- La violence scolaire (27-05-2009).

- L'échec scolaire (15-06-2009)