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Exit le wali ! Vive le wali !

par Mohammed Beghdad

Comme tout le monde le sait, chaque Algérien détient dans sa tête une conception de sa «douwaïla» propre à lui. Ainsi, preuves à l'appui, les lois, les décrets, les arrêtés, les circulaires d'application venus d'en haut ne sont que très rarement adaptés et pleinement exécutés sur le terrain d'en bas.

Des exemples À GOGO !

N'est-il pas vrai qu'un chauffeur de taxi déserte les lieux de la station comme il lui sied et à l'heure qu'il veut en l'abandonnant aux clandestins ? Ne se souciant guère de l'état d'âme des utilisateurs. Qu'un boulanger choisit le jour de son repos comme il l'entend ? Piétinant les lois qui lui avaient donné naissance à son commerce et l'autorisation de son ouverture. Qu'un citoyen jette ses immondices là où ça l'arrange comme il lui plait ? En méprisant tous les décrets exécutifs à cet effet et en écrasant notre dégradant environnement. Que la mairie ne daigne même pas respecter les délibérations qu'elle adopte ? Quoiqu'elles fassent office de textes entérinés. Qu'un commerçant vend et achète sans qu'il soit contrôlé ni par le fisc, ni par la réglementation ? Que nos rues et trottoirs soient sales et squattés à longueur d'années sans qu'ils soient nettoyés et dégagés ? Au mépris des arrêtés municipaux qui n'ont aucun droit signifiant. Qu'une banque ferme ses portes aux clients bien avant l'heure notifiée sur la pancarte à l'entrée, n'offusque presque aucun banquier ? Qu'un travailleur file de son poste de travail bien avant l'heure de sortie et l'administration ouvre ses portes et sert ses administrés comme bon lui semble ? Qu'un directeur n'ait aucun contrôle sur le désordre de ses employés ? Qu'un simple agent de bureau vous fasse courir et perdre des journées pour un ordinaire document à vous délivrer ? Que les scandales immoraux soient portés à profusion tous les jours à la une de nos journaux ? Qu'un pays comme la Corée du Sud dont le PNB était au même stade que le nôtre au lendemain de l'indépendance mais dont les croissances respectives sont actuellement diamétralement opposées ? Qu'un enseignant, lorsqu'il consent présenter son cours magistral que de nom, entre en retard dans une salle de classe et libère le plus souvent ses étudiants bien avant l'heure ou passe son temps à raconter sa vie et des histoires à somnoler les plus studieux? Que l'ouverture de l'année universitaire soit décrétée depuis le 14 septembre sans que les résidences et restaurants universitaires ne soient pas encore ouverts aux étudiants éloignés ? Que les cours privés débutent bien longtemps avant que les cours officiels au lycée n'osent commencer et sont encore au point zéro à l'université ? Qu'un texte du ministère de l'Enseignement soit interprété différemment dans deux distinctes universités ? Un pays dont les textes ne sont pas similaires dans tout centimètre carré de ses terres produit incontestablement de l'injustice, de l'incurie, du népotisme, de la gabegie et j'en passe. Je peux vous en donner sans limites des milliers et des milliers de questions semblables demeurant sans réponses depuis la nuit des temps. Me diriez-vous que c'est tout à fait normal au pays des mille et une « douwaïla » !

 Bien qu'il n'existe qu'une seule constitution dans le pays, ce sont des « douwailates » qui ont élu domicile un peu partout instaurant leurs propres règles, leurs spécifiques rites et leurs impénétrables omertas. C'est pour cette raison qu'on ne fait plus confiance à ce qui se trame en bas sans l'envoi d'inspections inopinées.      Il faut qu'un responsable d'en haut sorte hasardement sur le terrain pour voir de visu les instructions effectives dont lui-même a besoin d'être aussi souvent auditionné pour découvrir s'il a bien appliqué les directives de son supérieur immédiat et ainsi de suite. C'est un cercle vicieux dont on n'est pas encore prêt de s'en sortir si l'on ne revient pas aux normes des pays avancés. A la longue, tout le monde est lassé par ses imperfections qui nous minent la vie de tous les jours. Soit, on veut bâtir un réel pays, de vrais fondements avec des lois dont l'effet sera sensible dès qu'il atterrit sur la place, soit notre pays est voué à l'échec total, à sa morte lente, à son extinction et à sa pure disparition notamment en cette période de mondialisation.

 Est-ce que cet intermède de soixante années d'indépendance ne va-il pas se refermer sur nous dans un jour proche sans lendemain ? Lorsqu'on recense notre énorme retard sur les pays affirmés qui ne cesse de se creuser et la fracture sociale béante qui s'est ancrée Ne nous sommes-nous en train de redevenir colonisables à souhait ? Qu'un jeune d'aujourd'hui ne rêve qu'à fuir son pays n'est-il pas un signal d'alarme pour tout l'avenir du pays ? C'est tout le contraire de son ascendant d'avant 62 qui n'aspirait qu'à la lutte et à la libération du pays. Ne sommes-nous pas tous responsables de ce marasme de nos jeunes qui sont censés être les guides de demain de ce pays ? Pourquoi attendons-nous pour passer, de manière catastrophique, de ce qu'il en reste du flambeau ? N'est-il pas un manque de confiance que nous réservons à ces générations qui pourtant sont le fruit de nos politiques et ne sont aucunement responsables de leurs destinées ? On peut condenser toutes ces questions par où va-t-on avec cette politique de la fuite en avant et qui va nous mener inévitablement vers le gouffre tant prévenu ? On a besoin d'une transformation de fond en comble, le replâtrage ne suffit plus qu'à accroître le mal et à entretenir le désarroi profond. On a besoin d'ouvrir nos cœurs et dialoguer sans s'ennuyer.

AU SUIVANT !

Le changement presque radical opéré la semaine dernière par la nomination de 40 walis montre bien que la gangrène mène la danse au niveau local. Sinon comment expliquer ce processus si toutes les wilayates étaient dans la normalité ? Peut-être ne sont-elles pas non plus au même degré de développement ?     A première vue, cette annonce a été sans doute envisagée pour secouer les esprits et déjouer les alliances maffieuses qui se sont amarrées en brouillant à tout ce qui arrive du point culminant. L'objectif recherché est également de fouetter les entendements, casser la routine et déséquilibrer la monotonie. Attendons quand même la suite des évènements pour mieux apprécier. L'avalanche procédée donc le week-end dernier dans 83,33% du corps des walis va certainement provoquer des bouleversements locaux et dans ses mœurs administratives. Principalement ceux qui avaient amassé des acquis illicites lors des gouvernances précédentes vont devoir revoir leurs projets ou convertir radicalement leurs stratégies. C'est une véritable course contre la montre. Il faut qu'ils fassent vite pour se positionner sinon ils risquent d'être doublés, d'êtres relégués aux rangs derniers. Surtout que le budget pharaonique, de 386 Milliards de Dollars, alloué au plan quinquennal 2010-2014, dépasse toutes les fictions et suscite déjà toutes les convoitises impensables. Qu'ils s'adaptent à la nouvelle donne semble être la priorité urgente de leurs desseins.

 En tous les cas, le chamboulement a sonné le glas pour certains et inversement provoqué l'espoir pour d'autres. L'état n'a pas de visage, il peut changer d'un instant à un autre par le renouvellement du premier responsable d'une wilaya. On peut bien comprendre pourquoi ce mouvement va fausser d'énormes calculs de ceux qui se dorlotaient sur leurs lauriers et caressaient avec excès toutes les illusions. Mais que vont-ils devenir ? Ils sont obligés de reproduire l'ascension. Ils n'abdiqueront jamais. Ils ignorent jusqu'à quel étage va durer leur nouvelle ascension. Une fausse note et la chute peut être brutale.

Tels des carnivores !

Mais d'abord comment s'appelle-t-il le nouveau ? D'où est-il ? Est-il originaire de quelle ville ? A quelle tribu appartient-il ? On cherche à inventer des alliances, coûte que coûte et quelque soit le chiffre à débourser. Peu importe qu'elles soient tribales, familiales, amicales ou financières. Elles sont très primordiales pour la suite des évènements. Leurs états généraux sont sur le qui-vive. Leurs paupières restent grandes ouvertes depuis que la nouvelle est tombée à pic tel un couperet sur leurs têtes. Leur passé était doré.

 Leur avenir sent fortement la nausée. Il faut vite se recaser. Ce sont les questions qui sont légion ces jours-ci un peu partout dans les 40 wilayates désorientées.

 Il faut totalement se renseigner sur la nouvelle personne, quitte à se déplacer dans sa précédente wilaya, dans sa ville natale ou la ville de son enfance pour rassembler le plus d'informations à leurs interrogations. C'est une question de survie, de luttes contre l'oubli. Dans l'état actuel où en sont les choses, le moindre petit détail vaut son peson d'or. Quelles sont ses habitudes ? Quels sont ses hobbys ? Quels sont ses plats préférés ? Qui sont ses amis ? Quelle chose aime-t-il le plus ? Quelles sont ses faiblesses, ses lacunes ? Que préfère-t-il le plus ? Quel âge a-t-il ? Combien possède-t-il d'enfants ? Par où est-il passé dans sa carrière et quel a été son itinéraire ? De quelle région est-il son gendre ? Où passe-t-il ses vacances ? Des questions plus ahurissantes les unes que les autres qui n'ont rien à voir, en principe, ni de près ni de loin avec sa mission. La spéculation de la vox populi est à son apogée.

 Le pauvre malheureux ! Il est mis sous la loupe des citoyens et du microscope des affairistes occultes. On cherche à imaginer ses propos, à les boire et à lui servir d'estrade et de marches pour escalader ou d'un tapis pour marcher. On n'évoque très rarement ses diplômes, son CV, son domaine de compétences, l'université ou la grande école qu'il a fréquentée. L'heure n'est plus à la rigolade, elle est grave. Le climat est très lourd. Il est broyé avec tous les malaxeurs des surpris, mélangé à toutes les sauces et dévoilé à toutes les unes des cafés luxueux et populeux. Ça va être la bataille des coudées franches lors de sa présentation à ses nouveaux subordonnés. Il va falloir se bousculer pour se frayer un petit chemin sinueux afin de le voir en chair et en os. Enfin, il est là ! La curiosité est pleine. L'émotion est forte.

 Il faut se faire pitié devant lui pour susciter sa miséricorde ou son éventuel pardon. Les larmes de crocodiles seront légion dans le coin. Son prédécesseur va être critiqué sans aucune retenue ni pudeur par ses adulés d'hier qui applaudissaient à tout rompre pas plus tard que le matin du jeudi dernier. Ses tares seront étalées sur la place publique dès lors qu'ils sont absolument certains qu'il ne va plus remettre les pieds sur les lieux. Bon débarras ! Les vautours volent et tournent au dessus du cadavre inanimé avant de le réduire en miettes. Il est foulé sans rémission et sans aucun état d'âme. Quant au nouveau, sa côte ne cessera de crever le plafond et verra son étoile monter. Il est moulé à tous les bienfaits, encensé sur tous les toits de la wilaya. Il est caressé doucement et affectueusement dans le sens du poil. A son passage, il faut occuper la bonne place pour être bien remarqué et se faire flasher au moindre regard. La bousculade est à son paroxysme. Les espaces vont être étroits et très chers à glaner. Il faut se muer tel un caméléon. Le nif est à mettre au placard et la brosse doit s'activer de plus en plus belle et retrouver tout son lustre d'antan. Elle doit devenir plus luisante qu'auparavant et prête à l'assaut à n'importe quel moment. On ne doit pas clore les paupières ne serait-ce qu'une seconde. Un petit relâchement peut être fatal au moment opportun.

 La wilaya est leur centre de gravité, leur point de fixation. Ils ressemblent identiquement aux loups en chasse qui rodent autour de leur proie guettant la moindre offensive. Il faut surveiller ses adversaires au couteau. C'est maintenant que tout se joue. L'échine, qui résiste à se courber, est à lui souhaiter le plus incurable et impitoyable mal de dos. La colonne vertébrale doit prendre la forme d'un arc de plus en plus axé vers le bas. Ce sont là quelques souhaits pour les gens qui veulent abattre la grande « Dawla » et rester dans leur protégé « douwaila ».

 La question que l'on peut se poser: Est-ce qu'avec ces nuisibles « douwaïlates » érigées un peu partout, l'Algérie, après presque soixante années d'existence, est-elle capable d'affirmer que l'on forme une uniforme et compacte « Dawla » ? Au sens moderne comme on le distingue dans les pays dits développés. La réponse est loin d'être élucidée.

À LA RECHERCHE DES compÉtences

Par ailleurs, il existe une grande majorité de citoyens dans ce pays qui aspirent à vivre dans un état moderne et développé où les lois du pays priment sur tout autre chose. La loi au-dessus de tous, pas un seul dessus. C'est au nouveau locataire d'aller vers eux, s'enquérir de leur situation, mesurer leur température. Il faut que le changement d'un wali soit un événement, synonyme d'une transformation pour nos jeunes dont les yeux sont constamment rivés vers la mer méditerranée, leur boussole dirigée inlassablement vers le nord, au-delà de l'atlantique et vers l'océan pacifique, vers l'évasion, vers une Harga sans retour et sans détour. Quant aux compétences, il faut aller les chercher là où elles moisissent, les faire ressortir du placard du refuge des archives.

 Il y en a marre de s'appuyer sur ces sois disants personnes qui se prennent pour des notables de la ville après soixante ans d'indépendance et qui ne visent dans leur majorité qu'à étendre leur pouvoir, leurs profits et leur main mise sur la ville qu'avec des élections ils se retrouveraient sur le carreau en queue de liste. Les associations dont l'action tourne autour de l'embellissement de leur compte en banque sont aussi parmi les plus néfastes.

 Comme il existe des entrepreneurs véreux, il se trouve également des bâtisseurs qui ont quitté le navire de cette profession qui a été souillée par les sans scrupules.

 Il y a longtemps qu'ils ont rangé leurs armes légales, ils ont perdu la lutte de concurrencer la médiocrité, la corruption et le fifty-fifty.

 Le défaut d'une peinture qui s'écaille ou d'un trottoir défoncé après quelques mois de sa pose, ne les surprend guère. Ce qui les fait fuir le plus, c'est l'odeur de l'argent sale au détriment de la qualité, de l'honnêteté et du sauvetage du métier. Que vive l'Algérie !