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Démocratie à la carte américaine

par Abed Charef

La démocratie était un système de gouvernement. Elle est devenue un label, décerné conjointement par les Américains et par Bernard Kouchner.

L'Irak est-il une démocratie ? Oui, selon une curieuse classification américaine. Malgré la guerre civile, la torture, les disparus, les violations massives des Droits de l'Homme, le scandale d'Abou Ghreib, et la présence des troupes étrangères, l'Irak peut bénéficier d'un « label » de démocratie généreusement décerné par les Etats-Unis.

 Ce paradoxe est le résultat d'une manière très particulière de classer les pays du sud de la part des Américains. Une classification basée non sur des règles telles que les imaginent les idéalistes, les militants de la démocratie et des Droits de l'Homme, mais selon la capacité de tel ou tel pays à faire preuve de docilité envers les Etats-Unis et à se montrer conciliant avec les intérêts américains.

 En fait, les Etats-Unis classent les pays non occidentaux en quatre grands ensembles. Le premier est celui des démocraties. L'Irak, mais aussi Israël, considérée comme la seule vraie démocratie au Moyen-Orient, selon les Américains, appuyés sur ce point par les autres pays occidentaux d'ailleurs. Cela tient à un formalisme électoral qui apparait souvent futile. Certes, en Israël, les habitants juifs votent très librement pour choisir des dirigeants, à qui est confiée la mission d'occuper le territoire des autres, d'agresser les voisins et de réprimer les Palestiniens, dont les Droits sont bafoués depuis des décennies.

 Israël occupe une terre reconnue comme appartenant à d'autres depuis plus de quarante ans. Aucune sanction n'a été prise contre lui par les Etats-Unis. Par contre, l'Irak a subi une guerre féroce de la part d'une coalition internationale menée par les Etats-Unis six mois après avoir occupé le Koweït. Cette différence de traitement est motivée par le caractère démocratique d'Israël, qui a le droit de tout faire, et par la nature dictatoriale du régime de Saddam Hussein, qui doit être abattu à n'importe quel prix, y compris par le mensonge.

 A l'opposé des « démocraties » labellisées, il y a les dictatures, comme celles de l'axe du Mal. L'Iran en fait partie. Pourtant, en Iran, on retrouve le même formalisme électoral qu'en Irak, la même domination d'une communauté religieuse. Cela va jusqu'à la caricature : les Chiites qui dirigent l'Irak ont longtemps été exilés en Iran, où ils gardent de solides attaches. Cela ne gêne pas pour autant les Américains de porter les uns à bout de bras, et de préparer peut être une guerre contre les autres. Pourquoi ? Parce que les premiers ont abdiqué, et scellé leur sort à l'Amérique, alors que les autres veulent exister.

 Ce paradoxe ne se limite pas au monde musulman. Il s'étend aux autres continents, comme l'Amérique latine, où la Colombie, dirigée par une caste militaire, appuyée par des milices paramilitaires et des narcotrafiquants, bénéficie de tout l'appui américain, alors que le Venezuela et la Bolivie, d'authentiques démocraties électives, sont poussés à la faute qui permettra peut-être de les inclure au sein de l'axe du Mal. Entre ces deux extrêmes, démocraties et dictatures, il y a des nuances, formellement classées en deux groupes.

 Le premier groupe est celui des régimes auxquels est accordé le label de « bonne gouvernance ». Il s'agit des régimes autocratiques, pro-américains, qui connaissent une certaine embellie économique, avec souvent un taux de croissance élevé, sans pour autant être des démocraties. Ils sont très nombreux en Afrique et dans le monde arabe. Ce sont des pays fragiles (Jordanie, Tunisie, Ghana, etc.), qui bénéficient d'un silence complice tant qu'ils se montrent dociles.

 Le concept de bonne gouvernance a été inventé au milieu des années 1990 pour justifier le renoncement à la démocratie. Après avoir utilisé la démocratisation comme slogan et moyen de pression sur de nombreux pays pendant des décennies, les occidentaux ont lancé ce nouveau concept pour signifier à leurs «amis» qu'ils sont prêts à se monter compréhensifs sur les violations des règles démocratiques, pour peu que les affaires marchent et que la domination occidentale soit acceptée. C'était aussi une attitude à la limite du racisme. On admettait en effet que certains pays n'étaient pas aptes à la démocratie, et qu'ils devraient se contenter de progrès économiques, en attendant des temps meilleurs.

 Assez proches d'eux, se trouvent les pays dits « autoritaires ». Ceux-ci subissent souvent une certaine instabilité, avec des difficultés économiques, mais conservent des positions relativement autonomes malgré les pressions. En période de tension, ils peuvent basculer rapidement parmi les groupes des dictatures. Mais dès que des rapprochements sont signalés, ils peuvent intégrer celui de la « bonne gouvernance ». Syrie, Algérie, Chine, Vietnam, et d'autres pays héritiers -ou prisonniers- d'un passé militant figurent dans ce groupe. Ils ont un long chemin à faire pour devenir des démocraties. Encore faut-il savoir laquelle. Celle qui permet une libération de leurs peuples ou de leurs sociétés, ou celle qui mène à la servitude ?