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Le harcèlement sonore, une autre forme de persécution

par Farouk Zahi

Alors que tout semble assoupi, une gutturale voix d'homme interpelle le dormeur quand ce n'est pas un coup d'avertisseur sonore qui déchire la quiétude de la nuit. Le quidam attend impatiemment ses passagers qu'il compte embarquer dans son véhicule, pour un voyage aux aurores. Le bruit de l'embarquement durera de longues minutes ; il sera ponctué de portières qui grincent, de ballots jetés bruyamment dans le coffre du véhicule, de râles pâteux et d'invectives à l'endroit d'enfants encore endormis. Le moteur relancé, présage d'un départ imminent ; oh que non, on attend le chef de famille qui doit s'assurer encore de l'herméticité du logis. Après quelques rudes coups à la porte, on dévale bruyamment les escaliers pour donner enfin, le dernier coup de portière. Le moteur s'emballe, les pneus crépitent rageusement sur le gravillon et on attend l'œil aux aguets que le bruit disparaisse, englouti par la nuit. On se cale la tête dans l'oreiller et on tente de ressombrer dans le sommeil interrompu. Crachotement, raclement de gorge, "Allah Ouakbar" à décibels déliés?c'est l'annonce de la prière du "Fadjr".

La cité se réveille par des bruits de portes et d'ustensiles qui s'entrechoquent. Des pas pressés dévalent les escaliers, disparaissent et reviennent après le deuxième crachotement des mégaphones du deuxième " adhan ". Le retour en groupe est tonitruant, on discute de tout et de rien. Le brouhaha durera encore quelques minutes, les portes claqueront l'une après l'autre pour un calme tout à fait précaire. Les quelques camions et bus, stationnés ici pour les besoins du gardiennage, vont entamer leurs départs successifs par des vrombissements de moteur diesel qui mettent " un certain temps " pour chauffer. Cette effervescence est notable tout au long du Ramadhan. Salat el Qiem (atahadjoud), prière subrogatoire, en dépit des recommandations religieuses, est menée avec ostentation. (*). Des fidèles d'ici et d'ailleurs ne se gênent aucunement pour perturber le repos du voisinage sachant bien qu'il est constitué aussi, de personnes vulnérables. L'œil maintenant fixé au plafond, on espère une accalmie pour tenter, une fois encore, de se rendormir quelques instants. Point de répit, les commerces commencent à ce moment précis à enrouler dans le vacarme, leurs rideaux métalliques. On se promet toujours de graisser les rails, mais on oublie à chaque fois. Il est déjà 7 heures du matin, l'œil glauque et la bouche amère, on se lève du mauvais pied. Les camions livreurs et les jets de caisses pleines de bouteilles qui s'entrechoquent achèveront les dormeurs du petit matin qui viennent à peine, de rentrer de leur boulot nocturne. Le vieux poissonnier du quartier enfourchera bientôt sa pétaradante motocyclette pour se rendre à la pêcherie, à l'effet d'acquérir un ou deux casiers de sardines. Une accalmie de courte durée enveloppera les lieux ; mais ce n'est qu'un leurre auquel il ne faut pas trop se fier.

Le tumulte du Ramadhan, inscrit dans les mauvais souvenirs, ne sera rien à côté de ce qui nous attend. Les noces et les circoncisions étaient fêtées, jadis, le week-end. Il n'en est plus question présentement ; on fait la noce tout au long de l'année. Les espaces clos des salles des fêtes, permettent de festoyer en toutes saisons. S'il arrivait de veiller joyeusement, une fois par hasard avec la fête des voisins, il n'est plus possible avec la proximité d'une salle des fêtes qui déverse et ses décibels et son répertoire musical redondant. Supplice auditif, s'il en était, on le subit stoïquement et sans recours. Les bagarres généralisées n'étant pas rares dans le contexte, on en devient les spectateurs des premières loges.

En dehors de ces faits indépendants, généralement, de notre volonté, il y a les aléas de la cohabitation quotidienne. Elle est ponctuée de hauts et de bas. Le summum est atteint par ces chantiers qui n'en finissent pas. Si le voisin de palier a achevé sa peinture au cours de laquelle, il nous aura gratifiés de raclements d'échelles et de bidons sur le parquet, celui du haut jouera de la perceuse assez longtemps pour vous mettre les nerfs en boule. Le bruit du mur qu'on perfore traverse les cloisons les plus épaisses et n'est curieusement déclenché qu'au moment de la sieste. Quant aux sourds et lancinants coups de marteaux, leur onde de choc parviendra jusqu'à vous par l'intermédiaire des structures du bâtiment. Les soubresauts d'un climatiseur mal arrimé, accompagneront durablement votre sommeil. Le ballon qui rebondit nerveusement sur le parquet du voisin du dessus, le canapé qu'on tire énergiquement, le bruit torrentiel que fait la trombe d'eau de la chasse (quand il y a de l'eau au robinet) l'impact des talons aiguilles sont devenus par la force des choses, un bruitage d'ambiance. L'envie de se lover dans ses draps une matinée de week-end, n'est pas à la portée du premier venu. Les velléités seront vite contrées par les vendeurs à la criée en camionnettes. Le conducteur pressera spasmodiquement le klaxon, son compagnon juché à l'arrière s'époumonera à crier " batata?.batata? ", ce sera autour de " javel?sanibou.. ". Le carrousel sera clôturé par un incompréhensible " yao..oya? ", cri de guerre du brocanteur. Ainsi sera " dégraissée " une matinée qu'on espérait grasse. On se dit en son for intérieur, qu'une petite sieste pourra réparer le sommeil perdu, mais le spectre de la chignole ressurgit dans toute son horreur.

Mais où est donc passée la municipalité, elle qui est chargée par les textes fondateurs de la collectivité locale de la quiétude et de la salubrité publique ? Que ne nous a-t-on pas susurré, le degré plus qu'honorable de formation politique et de formation tout court, de la couvée d'élus issue des élections locales d'octobre 2007. Au vu de l'état de décrépitude de nos espaces de vie, urbains et ruraux, il semble que la majorité des collectivités locales communales n'a jamais été aussi mal gérée. L'indicateur cardinal d'une bonne gestion locale étant l'état de propreté du tissu urbain, or jusqu'à ce jour, les déchets ménagers et les gravats s'amoncellent à tous les coins de rue. La seule et probable exception serait les voies d'accès principales qu'emprunte la hiérarchie. Nous ne répéterons jamais assez en disant, encore, que les ordures ne sont pas l'affaire exclusive de la benne-tasseuse. Même archaïque, le ramassage s'est toujours fait dans les ksour et les casbahs avec des moyens adaptés au contexte. Ces lieux séculaires n'avaient aucun complexe à utiliser le baudet. Le marché actuel de l'outillage mécanique offre un large panel de petits véhicules et de bennes tractées à la dimension de nos vieilles ruelles.

(*)Cette prière fait partie des nawafils. (prières subrogatoires) D' après Zayd ibn Thabit, le Messager d'Allah (saws) a dit: "accomplissez vos prières chez vous, car la meilleur çalat que l'on effectue est celle faite à la maison, sauf celles qui sont obligatoires. "El Boukhary:6113 et Muslim: 781(www.mejliss.com/archive)